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Femmes migrantes : quand le Code de la famille algérien s’applique en France

Arrivées en France par le biais du mariage, certaines femmes sont victimes de violences et d’abus sans pouvoir recourir à la justice. Au risque de se voir expulser, elles gardent le silence
Le Code civil français dans son article 3 stipule que toute personne est soumise, pour son statut personnel, à la loi du pays dont elle a la nationalité (AFP)

LYON, France Manel était encore étudiante en Tunisie lorsqu’elle s’est mariée à un Franco-Tunisien en 2010. Elle quitte le pays en 2012 pour le suivre en France. Loin de « vivre la vie en rose » comme elle l’imaginait, elle subit isolement et violence de la part de sa belle-famille. Après un divorce difficile, et n’ayant pas pu faire reconnaitre la violence dont elle a été victime, elle est aujourd’hui sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière. Sans papier en France, elle se bat pour obtenir une régularisation.

Maître Dalila Meziane est avocate. Rattachée au barreau d’Alger, elle défend à Lyon les femmes migrantes victimes de violences conjugales, dont Manel, à titre gracieux précise-t-elle.

« Le mari de Manel voulait la mettre à disposition de sa mère. Il ignorait tout de la vie de couple. Il l’a privée de tous ses droits, comme lui ouvrir un compte bancaire, avoir un téléphone, une sécurité sociale. Le comble, c’est que lors d’une audience, la juge a critiqué Manel car elle portait préjudice à un futur policier [métier auquel se destine son mari] ».

La loi française condamne pourtant bien les violences conjugales, même au sein d’un couple dont la victime est étrangère, comme le précise l’article 313-12 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers : « Lorsque la communauté a été rompue à l’initiative de l’étranger en raison de violences conjugales qu’il a subies de la part de son conjoint, le préfet peut accorder le renouvellement du titre de séjour ».

Mais dans les faits, prouver qu’il y a violence reste difficile, particulièrement lorsque le conjoint étranger vit dans l’isolement et ignore ses droits. C’est le cas de Manel, qui n’avait par ailleurs accès à aucun document administratif, restés entre les mains de son mari.

« Le conseil que je donne aux femmes migrantes, avant qu’elles ne se marient, est de conserver des copies de tous les documents, visa, contrat de mariage, etc. Dans le cas de Manel, il y a eu rétention de documents administratifs. Elle n’avait rien pour justifier de sa situation, ni même son contrat de mariage », indique Maître Meziane à Middle East Eye.

La méconnaissance de leurs droits ainsi que l’isolement dont certaines femmes sont victimes compliquent l’accès à une protection. Elles n’ont en outre pas le réflexe de prouver les violences en récoltant des preuves avant d’entamer une procédure de divorce, comme ce fut le cas de Manel : « J’ai fait confiance à la police lors de ma première plainte. J’ai signé un dépôt de plainte sans le relire. J’ignorais mes droits à cette époque, et ne savais pas comment prouver la violence dont j’avais été victime », confie-t-elle à MEE.

Femmes et étrangères, une double peine

Les épouses de Français ou de résidents étrangers reçoivent, dès le mariage, un titre de séjour d’une année, et il leur faut attendre au minimum deux ans pour obtenir un titre définitif. Durant cette période, elles dépendent entièrement de leur époux pour chaque démarche administrative. Si des violences surgissent au sein du couple, l’épouse est en droit de déposer plainte mais elle s’expose au risque de perdre son titre de séjour en cas de rupture du lien conjugal. En situation irrégulière, elles peuvent alors recevoir une obligation de quitter le territoire.

De plus, sans papier et dans l’attente d’une décision administrative, ces femmes n’ont pas la possibilité de travailler légalement. « Cela crée des situations dramatiques. Certains dossiers sont instruits pendant des années. Une fois, un cas a pris dix ans ! Dans son discours, le ministère des Droits des femmes est attentif, sauf qu’il n’arrive pas à faire appliquer sa volonté à ses subordonnés », s’insurge Boualem Azahoum, militant lyonnais dans une association qui vient en aide aux femmes migrantes victimes de violence.

Déjà en 2010, la Cimade, une organisation nationale qui vient en aide aux migrants, tentait de sensibiliser le public sur cette problématique à travers le témoignage d’une femme originaire d’Afrique subsaharienne, exploitée et abusée par son patron qui l’employait sans la déclarer car elle était sans papier.

Le magazine féminin Causette relatait lui aussi il y a quelques mois dans ses colonnes le cas d’une femme migrante contrainte de se prostituer en attendant que son dossier, à l’étude depuis un certain temps, soit résolu.

Outre les difficultés liées à la nationalité et aux conditions du séjour, qui déterminent le statut de la victime lors du dépôt de plainte, il existe également une méfiance à l’encontre de ces femmes de la part de l’administration française, qui soupçonne un mariage frauduleux. Certains maris utilisent d’ailleurs cet argument lors du divorce, sans non plus avoir à en faire la preuve.

Boualem Azahoum pointe les défaillances de la loi française : « Il existe un pouvoir discrétionnaire du préfet dans l’application de la circulaire 313-12 concernant les violences conjugales, qui diffère selon les préfectures. La définition de la violence n’est pas la même pour tous les préfets, il faudrait donc une loi identique partout qui protège toutes les femmes de la même manière ». Selon le militant, le certificat médical, les rapports des assistantes sociales et les certificats d’hospitalisation ne sont pas toujours pris en compte par l’administration préfectorale. Malgré plusieurs relances, celle-ci a refusé de répondre aux questions de MEE, tout comme le ministère des Droits des femmes. 

Maître Meziane va plus loin, dénonçant le double discours de la France sur la question des droits des femmes : « Il existe une contradiction dans la politique française vis-à-vis des femmes migrantes car celles-ci restent liées au statut de la femme dans leur pays d’origine », explique-t-elle.

« Alors que la loi condamne les violences conjugales en France, ces femmes ne peuvent pas dénoncer les violences dont elles sont victimes car elles risquent de se retrouver sans papier. La France les renvoie aux lois de leur pays d’origine et, parallèlement, critique les conditions de vie des femmes dans ces mêmes pays. Comment la France peut-elle soutenir la démocratie ailleurs et renvoyer ces femmes aux lois de leur pays d’origine ? »

Quand le code du statut personnel algérien s’applique en France

« Le Code civil français dans son article 3 stipule en effet que toute personne est soumise, pour son statut personnel, à la loi du pays dont elle a la nationalité. Or, le Code de la famille algérien, la Mudawana marocaine dans sa rédaction actuelle, le code du statut personnel égyptien, par exemple, sont foncièrement inégalitaires et discriminatoires à l’égard des femmes, en matière de mariage, divorce, filiation, héritage. Un homme résidant en France qui veut divorcer aisément et à son avantage pourra donc effectuer la procédure dans son pays », précise Claudie Lesselier dans l’étude « Femmes migrantes en France », publiée par le Centre d’Enseignement, de Documentation, et de Recherche pour les Études Féministes (CEDREF).

Maître Meziane confirme : au cours de l’une de ses affaires, le juge a indiqué que la loi applicable était la loi algérienne, même si le jugement avait lieu en France. « Ainsi, j'ai été contrainte de conclure selon les termes de l'article 54 du Code de la famille algérien, sur lequel le jugement a été rendu, et ma cliente s'est retrouvée à régler une somme pour rachat de sa liberté. Elle a dû débourser 150 euros pour obtenir le divorce. Il y avait rupture de communauté de vie depuis treize ans. »

« Le Code de la famille algérien s’applique donc en France. Ma cliente m’a supplié d’accepter afin qu’elle obtienne le divorce. »

Une aberration au regard de la différence de statut juridique dont jouissent les femmes dans les deux pays. Dans le Code de la famille algérien par exemple, le droit pour l’épouse de demander le divorce est limité à sept situations particulières, une approche restrictive qui ne s’applique pas au mari.  

Maître Meziane souligne au contraire que « les femmes migrantes sont des résidentes légales en France, et qu’elles doivent donc bénéficier des mêmes droits que les résidentes nationales ».

Afin de remédier au flou juridique, une commission d’experts chargée de contribuer à la refondation des politiques d’intégration en matière de droits des femmes a formulé des recommandations dans un rapport pour le ministère des Droits des femmes intitulé « L’Égalité pour les femmes migrantes ». Parmi les recommandations figure la « construction d’un parcours d’intégration sur la durée, comprenant dès l’accueil une information sur les droits des femmes », ouvrant des passerelles vers les associations spécialisées.

Pour ces dernières, le pays d’origine doit également prendre ses responsabilités dans la sensibilisation et l’information des femmes migrantes sur les risques encourus, dont l’exploitation à caractère sexuel ou l’esclavage. « Dans le pays d’origine, on ne leur explique pas leurs droits mais seulement leurs devoirs », conclut Boualem Azahoum.

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