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FLN et RND, jumeaux maudits de la politique algérienne

Le mouvement populaire du 22 février a mis à nu le fonctionnement des partis du pouvoir inféodés à des logiques de rente et d’obéissance
Meeting du FLN, le 9 février 2019, pour annoncer la candidature du président Bouteflika à un cinquième mandat (AFP)

La politique, ou même l’économie, en Algérie, est un va-et-vient incessant entre le formel et l’informel, l’officiel et l’officieux. Au milieu de ce bal souvent vertigineux tanguent dramatiquement les partis politiques. 

À l’exception des travaux de Mohamed Harbi, une historiographie de la structuration partisane manque en Algérie, mais l’observation des évolutions de ces deux entités renseigne sur l’ADN politique du système algérien, qui n’a pas encore saisi l’opportunité de l’organisation partisane et de la représentation. En cinq décennies d’accidents politiques, de putschs et de « transitions » forcées, le système a fini par générer de sa propre matrice deux partis-État : le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND).

La naissance du RND, en 1997, est rendue nécessaire par l’entrée en rébellion du parti-État, le FLN

Prenons le RND, dont le dernier patron, Ahmed Ouyahia, est en prison pour corruption, et dont l’actuel secrétaire général, l’ex-ministre Azzedine Mihoubi, est annoncé comme l’un des favoris de la présidentielle du 12 décembre. 

La naissance du RND, en 1997, est rendue nécessaire par l’entrée en rébellion du parti-État, le FLN.

Le parti du capitalisme de guerre

L’élite de ce parti s’oppose à la politique de guerre menée par le système contre l’insurrection islamiste qui éclate au lendemain des législatives avortées de décembre 1991-janvier 1992.

Ces législatives, les premières du genre dans le cadre du multipartisme, clarifient les rapports de forces politiques dans le pays, malgré les soupçons de fraude quant au vote islamiste : trois fronts, le FLN, le Front islamiste du salut (FIS) et le Front des forces socialistes (FFS) représentent alors les trois grands courants politiques et sociaux du pays. 

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Lors de la campagne électorale pour les élections locales d’octobre 1997 (AFP)

L’éclatement de la violence et la guerre civile créent une situation inédite durant les années 1990 : les trois fronts (dont le FIS dissous, qui bascule dans la violence à travers certaines de ses ailes radicales) s’opposent au système.

Ce dernier, mené par le commandement militaire et ce qui reste d’institutions civiles transitoires, s’obstine à la normalisation institutionnelle et choisit l’ex-général Liamine Zeroual comme chef de l’État.

Le RND « fera le job » en mimant son grand frère, le FLN : populisme et distribution de la rente n’ont pas épargné les Algériens qui faisaient face à une terrible guerre civile

Mais Zeroual n’a pas de parti présidentiel. Alors en 1997, le système lui en invente un, le RND, conglomérat de cadres de l’État transitoire, d’acteurs civils de la lutte antiterroriste, et des nouveaux patrons d’un capitalisme de guerre en plein essor.       

Surnommé « bébé moustache », car majoritaire au Parlement à peine cinq mois après sa création, le RND « fera le job » en mimant son grand frère, le FLN : populisme et distribution de la rente n’ont pas épargné les Algériens qui faisaient face à une terrible guerre civile.

Le parti obéit, comme le FLN, au véritable exécutif : les services secrets et les hauts cadres de la présidence de la République. Il ne créé ni idéologie, ni critères de représentation, mais se contente de devenir un appareil pour remplacer un FLN en dissidence. 

Un changement à la tête de l’État et l’arrivée au pouvoir, en 1999, d’Abdelaziz Bouteflika, dignitaire FLN, reléguera le rôle du RND au second plan, favorisant un FLN enfin rentré dans les rangs après une successions de purges internes, stérilisant débats organiques et leadership autonome.

Une crise d’identité

« Le parti était géré directement du cabinet de la présidence », atteste un ancien sherpa de l’institution habitué aux allers-retours entre le palais d’El Mouradia (la présidence) et El Djihaz (l’appareil), nom donné au siège central du FLN à Hydra, sur les hauteurs d’Alger.

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En 2007, Abderrezak Bouhara, haut cadre du FLN, dresse un constat sans concessions : « Le FLN vit une crise d’identité, de fonctionnement, d’organisation, de confiance, de représentation, de stratégie d’alliance. Aujourd’hui, qu’est-ce que nous sommes ? Quelle est notre couleur politique ? Qu’est-ce que nous voulons ? Quels sont nos grands objectifs sur les plans politique, économique, social, etc. ? »

Le rattachement brutal du FLN à l’appareil présidentiel lui fait perdre toute substance politique : les nominations à sa tête ou les orientations « politiques » sont dictées par un cercle restreint autour de l’ex-président Bouteflika, qui jalousait toute velléité d’autonomie du vieux parti.

« En plus de cette mentalité qui n’assimile pas le jeu démocratique partisan, il ne faut pas oublier que nous sommes dans un système qui croit dur comme fer qu’il est lui-même à l’origine de la vie politique », explique à MEE un ancien cadre du FLN.

« Les partis, les associations, les médias, les notabilités religieuses, les capitaines d’industrie, etc., ne seraient que l’émanation du système… La violence et la corruption permettent au système de se croire au-dessus de tous les mécanismes de médiation politique ou sociale », poursuit-il. 

Ce sont aujourd’hui, à la veille de la présidentielle du 12 décembre, ces mêmes deux partis qui soutiendront le candidat Azzedine Mihoubi

Les deux partis, le FLN et le RND, se retrouvent aujourd’hui dans une situation délicate, dépourvus du parapluie Bouteflika.

Le mouvement populaire déclenché le 22 février 2019 les a mis à nu : les deux derniers secrétaires généraux du FLN sont en prison, ainsi que le patron du RND et ex-Premier ministre. La population en veut énormément à ces deux partis qui ont soutenu dans une sorte d’hystérie les catastrophiques derniers mandats d’un président impotent, le maintenant en poste rien que pour profiter de la rente et des postes. 

Ce sont aujourd’hui, à la veille de la présidentielle du 12 décembre, ces mêmes deux partis qui soutiendront le candidat Azzedine Mihoubi, juste parce que la rumeur algéroise le présente comme potentiel favori du commandement militaire (ce dernier nie officiellement soutenir un des cinq candidats). Les mécaniques d’allégeance semblent tenaces malgré le souffle de changement apporté par le mouvement populaire du 22 février.

« Rien ne change tant que les partis ne réagissent qu’après avoir déterminé le sens du vent », commente pour Middle East Eye un ancien ministre. « Tant que les institutions resteront des appareils, et tant que la pratique politique demeurera dans l’informel des décisions téléphoniques, nous n’avancerons pas. »    

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Adlène Meddi est un journaliste et écrivain algérien. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese et signé trois thrillers politiques sur l’Algérie, dont le dernier, 1994 (Rivages, sortie le 5 septembre). Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.
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