Aller au contenu principal

Troubles dans le secteur de l’eau saoudien : le pays est au bord de la sècheresse

Après des décennies de mauvaise gestion des ressources nationales, l’Arabie saoudite pourrait manquer d’eau d’ici vingt ans

Les observateurs du Moyen-Orient connaissent bien les considérables problèmes financiers auxquels fait face l’Arabie saoudite alors que les prix du pétrole continuent de s’enliser et que le déficit budgétaire du pays s’envole.

Moins connue est la crise pourtant potentiellement bien plus importante que connaît le royaume dans le secteur vital de l’eau.

La politique gouvernementale visant à mettre fin à d’importants subsides en matière de consommation d’eau afin de faire face à l’état préoccupant des finances publiques a suscité une opposition tempétueuse sur les réseaux sociaux.

De nombreuses plaintes ont porté sur la mise en place d’un nouveau système de comptage de l’eau introduit en début d’année, et en particulier sur de graves erreurs de facturation. Certains usagers se plaignent que leurs factures d’eau soit passée de quelques dollars à plusieurs milliers.  

En avril, Abdullah al-Hussayen, ministre de longue date de l’Eau et de l’Électricité, s’est fait congédier par la famille royale. Son ministère a ensuite été dissous dans le cadre de l’un des plus grands chamboulements qu’ait connus la labyrinthique bureaucratie saoudienne ces dernières années.

Tout le monde, y compris le gouvernement saoudien, s’accorde sur le fait que le pays et sa population de 32 millions d’habitants – dont environ 9 millions de non Saoudiens – sont confrontés à des défis immenses de pénurie d’eau. Alors que la demande augmente de 5 % par an, le pays court le risque de manquer d’eau d’ici vingt ans.

Les prévisions de baisse des précipitations et d’augmentation des températures dues au changement climatique sont susceptibles d’exacerber le problème. 

L’Arabie saoudite compte parmi les régions les plus chaudes et les plus sèches de la planète, ne recevant qu’environ 100 mm de pluie par an en moyenne.

Grâce à de généreuses subventions gouvernementales, les Saoudiens – qui vivent sur une terre dominée par le désert, sans rivière ni lac naturel – sont habitués à ne pratiquement rien payer pour leur consommation d’eau. Par conséquent, ils sont parmi les consommateurs les plus prodigues au monde, utilisant en moyenne jusqu’à 350 litres d’eau par personne et par jour. En Europe, le chiffre équivalent est d’environ 130 litres par jour.

Dans les zones les plus aisées comme Riyad et Djeddah, ce chiffre monte à plus de 500 litres per personne et par jour.

Le pays est marqué par une mauvaise gestion chronique des ressources hydriques. Il y a un demi-siècle, l’Arabie saoudite gisait sur l’un des plus grands et plus anciens aquifères du monde, contenant selon les estimations 500 km3 d’eau. 

Les scientifiques affirment qu’en l’espace d’une génération, la majeure partie de cette quantité massive d’eau a été épuisée, principalement en raison d’une politique agricole gravement défectueuse. 

L’agriculture représente plus de 80 % de la consommation d’eau de l’Arabie saoudite. À la fin des années 1970 et 1980, un programme d’autosuffisance alimentaire a été mis en place dans le pays. Le gouvernement a alors subventionné des systèmes de pompage ainsi que l’énergie nécessaire pour que les agriculteurs puissent extraire l’eau souterraine. Les méthodes d’irrigation étaient primitives, incluant l’inondation de vastes étendues de désert au bénéfice des cultures.

Le royaume est devenu l’un des plus grands producteurs de blé au monde. En moyenne, il faut mille tonnes d’eau pour produire une tonne de blé. De grands troupeaux de bétail étaient par ailleurs parqués dans des enclos climatisés.

Le programme d’autosuffisance a récemment été abandonné : le gouvernement a annoncé qu’il allait cette année arrêter de subventionner et d’acheter le blé et de nombreuses autres cultures produits nationalement.  

À la place, les Saoudiens ont été vivement encouragés à investir dans des ressources terrestres et hydriques à l’étranger dans le cadre de l’Initiative pour l’investissement saoudien à l’étranger dans le domaine de l’agriculture lancée par le roi Abdallah. 

Les investissements des Saoudiens à l’étranger ont suscité de plus en plus de critiques, et notamment des accusations d’« accaparement des terres » dans des pays comme l’Éthiopie et le Soudan. 

Dans le cadre de la récente restructuration de la bureaucratie gouvernementale, Abdul Rahman al-Fahdli, l’ancien ministre de l’Agriculture, a été désigné pour diriger un nouveau ministère de l’Environnent, de l’Eau et de l’Agriculture.

Ironie du sort, al-Fahdli – qui a été pendant de nombreuses années le PDG d’Almaria, le géant saoudien de l’alimentation – est considéré comme l’un des principaux architectes de la politique d’autonomie alimentaire du pays, présidant à l’exploitation et quasi-épuisement des sources d’eau douce.

Autre élément inquiétant, le royaume du désert dépend de plus en plus de l’eau produite par les usines de désalinisation. L’Arabie saoudite est de loin le plus grand utilisateur de technologies de désalinisation au monde, possédant plus de 30 usines sur la côte qui traitent chaque jour des millions de litres d’eau, lesquels sont ensuite acheminés à des centaines de kilomètres de là, à Riyad et dans d’autres centres de population. 

Trop dépendre de la désalinisation est toutefois un problème. Alors que les autorités saoudiennes sont en train d’essayer de réduire les dépenses de l’État, la désalinisation apparaît comme un processus coûteux. Selon les estimations, pour satisfaire la demande en eau de la population, pas moins de 29 milliards de dollars doivent être investis dans la désalinisation au cours des quinze prochaines années.

Le processus de désalinisation requiert en outre une grande quantité d’énergie. Pour alimenter ses usines de désalinisation, l’Arabie saoudite utilise jusqu’à 1,5 million de barils de pétrole par jour – plus que la consommation totale de pétrole quotidienne du Royaume-Uni.

Il y a également une question environnementale plus vaste : non seulement la combustion du pétrole qui a lieu au cours de la désalinisation entraîne un surcroît d’émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ce qui a un effet néfaste sur le changement climatique, mais le procédé implique en outre le déversement de grandes quantités d’eau salée dans la mer. Ceci a provoqué une augmentation de la salinité des mers du Golfe, menaçant les ressources halieutiques. 

Les autorités saoudiennes ont essayé de réduire la consommation d’eau, élaborant de grandes campagnes publicitaires et faisant don de systèmes d’économie d’eau tels que des pommes de douche plus efficaces.

Dans certaines zones, les campagnes de sensibilisation ont remporté un certain succès, mais le gouvernement est en train de réaliser que les erreurs découlent de son régime de subvention excessivement généreux.

Une fois que les gens ont été habitués à ne pratiquement rien payer pour leurs services, ils répugnent profondément à tout changement – même si les robinets sont en train de tarir.

- Kieran Cooke est un ancien correspondant à l’étranger de la BBC et du Financial Times. Il continue de travailler pour la BBC ainsi que pour un large éventail de journaux internationaux et de radios.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : deux hommes sont assis sur un muret donnant sur la mer Rouge dans un café populaire situé au nord-ouest de la ville saoudienne d’al-Wajh, le 25 avril 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].