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Le plan d'Obama en Syrie est voué à l'échec, selon un ancien ambassadeur américain

Interviewé par MEE, Robert Ford affirme que la faiblesse de la stratégie d'Obama réside dans le fait qu’elle ne s'attaque pas au recrutement de Daech, qui est alimenté par la brutalité du régime d’Assad
Il est difficile de contenir l'Etat islamique, qui jouit d'une liberté de mouvement le long de la frontière turque (AFP)

Depuis la fin de sa mission de quatre ans l'année dernière en tant qu'ambassadeur des Etats-Unis en Syrie, Robert Ford s'est montré de plus en plus critique envers la politique de la Maison Blanche dans ce pays. Le plan du président Barack Obama pour anéantir l'Etat islamique ne fonctionne pas, estime-t-il, car le président syrien Bachar al-Assad s'accroche au pouvoir.

A l'occasion d'un entretien avec Middle East Eye, l'ancien ambassadeur explique pourquoi les Etats-Unis et leurs alliés doivent intensifier les frappes aériennes et renforcer le soutien apporté aux rebelles syriens modérés à travers un commandement militaire unifié, faute de quoi il ne leur restera plus qu’à renoncer à combattre l'Etat islamique sur le terrain et retirer leurs troupes.

MEE : Comment évaluez-vous la stratégie d'Obama en Syrie ?

Ford : Je ne suis pas certain que le président a un objectif clairement défini pour contenir et affaiblir l'Etat islamique en Syrie, et je ne comprends pas ce en quoi consiste sa stratégie, si cela est effectivement son objectif. Sa stratégie ne fonctionnera pas parce qu'elle ne s'attaque pas au recrutement de l'Etat islamique, qui résulte de la brutalité du régime de Bachar al-Assad. C’est pourquoi une solution politique négociée est nécessaire pour faire face à cette brutalité du gouvernement syrien. En Irak, les Etats-Unis ont pour objectif une réconciliation politique et la formation d'un gouvernement d'unité nationale pour rallier les sunnites, les chiites et les Kurdes afin de combattre ensemble et de faire reculer l'Etat islamique. Nous devons mettre en place la même stratégie en Syrie.

MEE : Quelle stratégie proposez-vous ?

Ford : L'objectif global en Syrie devrait être de nous protéger des extrémistes qui nous menacent. La meilleure stratégie pour y parvenir est d'obtenir la mise en place d'un gouvernement syrien d'unité nationale, afin de mobiliser la grande majorité des Syriens pour au final chasser les extrémistes du sol syrien. Si nous ne trouvons pas un moyen de parvenir à un gouvernement d'unité nationale, alors nous devrions cesser d'intervenir en Syrie et concevoir à la place d'autres mesures défensives, comme peut-être allouer de ressources à la sécurité intérieure ou coopérer avec la Turquie, la Jordanie et le Liban pour intercepter les personnes qui quittent la Syrie par la frontière.

MEE : Un gouvernement d'unité nationale... avec ou sans Assad ?

Ford : Ce n'est pas à moi de décider, mais aux négociateurs syriens. Je n'ai pas la prétention de dire aux Syriens ce qu'ils doivent faire. Des compromis sont peut-être possibles. Je pense qu'il est difficile d'imaginer comment un dirigeant qui a commandé l’usage d’armes chimiques et orchestré le bombardement aveugle de populations civiles pourrait figurer dans ce gouvernement. Mais ce n’est pas moi qui négocie ou qui dois accepter les résultats. Ce sont ceux qui se battent sur le terrain, des deux côtés. Je m'attends à des négociations longues et difficiles et, à ce jour, on est même très loin de parvenir à de telles négociations.

MEE : Les Etats-Unis doivent-ils armer les rebelles modérés ?

Ford : Tout d'abord, nous devons décider de ce que nous voulons. Voulons-nous sérieusement créer une force syrienne locale qui mette en œuvre une stratégie qui nous rapproche de la table des négociations et qui ait de vraies chances de contenir l'Etat islamique ? C'est une décision qui reste à la discrétion des Etats-Unis. Si les Américains décident d'aller dans cette direction, cela implique une intensification de l'armement, de la formation et des équipements fournis à l'opposition modérée, ainsi que l'extension de la mission aérienne, probablement avec la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne. Cela signifie également que nous ne pouvons rien faire sans que les alliés régionaux nous viennent en aide. Si les Turcs ne ferment pas la frontière et continuent de laisser l'Etat islamique et le Front al-Nosra opérer librement le long de sa frontière, cette démarche n'aura alors aucun sens, dans la mesure où les modérés que nous formerons finiront par combattre tant les extrémistes que Bachar al-Assad. Les Turcs doivent procéder à des changements, les alliés doivent procéder à des changements. Ils ne peuvent pas tous continuer à favoriser leur propre groupe de clients.

L’opposition doit disposer d’une structure unifiée de commandement armé, par laquelle toute l'aide matérielle et financière passerait. Les Saoudiens, les Turcs, les Qataris, les Français... tous les pays qui fournissent une aide matérielle à l'opposition armée n’en ont pas voulu. Si tous ces pays protègent des petits groupes particuliers de clients, la stratégie que j'ai exposée ne fonctionnera pas et il sera préférable de s'en aller. Parce que l'opposition sera en effet toujours divisée et ne progressera jamais dans la lutte contre l'Etat islamique ou Assad.

MEE : Assad ne constituerait-il pas un meilleur partenaire des Etats-Unis pour vaincre l'Etat islamique ?

Ford : Assad ne peut même pas reprendre la banlieue de Damas. Les médias ne cessent de répéter qu'Assad commande la plus grande force de combat en Syrie, mais quelle est la base de cette conclusion ? Le fait que les rebelles n'ont pas pris le centre de Damas. Le régime a subi de terribles pertes au nord et a marqué le pas au sud. Une question plus large se pose : pourquoi s'associerait-on avec Assad, dont la brutalité exacerbe le problème de l'extrémisme ? Si l'on s'associe avec Assad, on pourra tuer beaucoup de combattants de l'Etat islamique mais le groupe compensera ses pertes.

MEE : Le Congrès américain doit-il accorder une Autorisation d'utilisation de la force militaire (AUMF) ?

Ford : Je ne pense pas que des forces américaines doivent se retrouver sur le terrain en Syrie. Nous avons fait les choses de travers en Irak. Ceux qui sont les plus à même de contenir l'extrémisme en Syrie sont les Syriens, pas les Américains. Toutefois, j'aime l'idée d'une AUMF pour deux raisons. Tout d'abord, il est presque certain que la mission aérienne devra être élargie si nous décidons d’avoir une force syrienne locale sur le terrain pour contenir l'Etat islamique et le Front al-Nosra et faire pression sur le régime syrien. Un vote massif du Congrès en faveur d'une AUMF enverrait un message fort aux Russes, aux Iraniens, au régime de Bachar al-Assad, au gouvernement irakien et aux milices chiites. Il signifierait : « Vous nous avez amenés à un point où l'intervention américaine par voie aérienne est désormais nécessaire pour contribuer à contenir ce problème que vous tous avez créé ; donc maintenant, nous passons aux choses sérieuses. »

MEE : L'Iran contribue-t-il aux objectifs des Etats-Unis ou y fait-il entrave?

Ford : D'après l'analyse faite dans certains cercles de l'administration américaine, si nous nous montrons hostiles aux forces d'Assad en Syrie alors que ce dernier est un allié de l'Iran, les milices chiites en Irak attaqueront, à la demande de l'Iran, les conseillers américains sur le terrain en Irak. Dans un sens, les Américains postulent que les forces américaines en Irak sont otages de notre comportement en Syrie qui devrait donc demeurer inoffensif. Je dis qu'il s'agit d'un raisonnement erroné, et ce pour deux raisons. Premièrement, l'Iran décidera tout seul si les frappes aériennes américaines sont utiles ou non contre l'Etat islamique en Irak. Deuxièmement, lorsque les Iraniens seront parvenus à cette conclusion, dès qu'ils auront décidé que les frappes aériennes américaines contre l'Etat islamique en Irak ne sont pas utiles, ils essaieront rapidement de repousser les forces américaines d'Irak, comme ils l'ont fait auparavant. L'Iran ne veut pas d'une présence à long terme des forces américaines en Irak. Cela n'a rien à voir avec ce que nous faisons en Syrie.
 

Traduction de l'anglais (original).

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