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Message de l’armée du Pakistan au CCG : nous ne sommes plus vos mercenaires

Moins d’un an après sa prise de fonction, le nouveau chef de l’armée du Pakistan, le général Qamar Javed Bajwa, redéfinit la diplomatie de défense du pays au Moyen-Orient

L’information selon laquelle le chef d’état-major de l’armée du Pakistan, le général Raheel Sharif, prenait les commandes de l’alliance militaire islamique formée récemment à l’initiative de l’Arabie saoudite pour lutter contre le terrorisme (IMAFT) – surnommée « l’OTAN musulmane » – a dominé le discours au Pakistan au cours du mois écoulé.

Depuis, l’impression générale était que la nomination d’un général pakistanais à la tête de ce qui est essentiellement considéré comme une alliance anti-iranienne accréditait l’opinion selon laquelle le Pakistan est la marionnette de l’Arabie saoudite.

Le plus grand changement a été que, comme on l’a vu dans la crise du Qatar, le Pakistan ne suivra pas aveuglément l’Arabie saoudite

Toutefois, dans le même temps, le chef de l’armée pakistanaise, le général Qamar Javed Bajwa, faisait la navette dans le golfe Persique, occupé à pratiquer la diplomatie de la défense.

Contrairement aux deux précédents chefs de l’armée, qui n’ont pas détrompé l’opinion de longue date selon laquelle l’armée pakistanaise est fermement ancrée dans le camp saoudien en ce qui concerne les rivalités régionales, Bajwa a clairement insisté sur l’équilibre entre les relations du Pakistan avec le GCC – et avec l’Iran.

Pourquoi maintenant ? Être perçu comme une marionnette saoudienne a nui aux relations du Pakistan avec l’Irak, l’Égypte, l’Algérie et d’autres États dirigés par l’armée dans le monde arabe. De plus, presque tous les problèmes sectaires du Pakistan sont liés à l’Arabie saoudite et à l’Iran. Tous deux financent les chefs religieux dans le pays. L’armée est considérée comme équilibrant ces problèmes à l’échelle nationale.

Aujourd’hui, l’approche proactive de Bajwa amène l’équilibre dans la politique étrangère du Pakistan et marque l’annonce d’une relation complètement nouvelle entre l’armée et le Golfe, dans laquelle le Pakistan vise à être une force de stabilité plutôt qu’un mercenaire.

Premier arrêt : le Golfe

Après avoir pris le commandement de l’armée en novembre 2016, les trois premières visites étrangères de Bajwa concernaient l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar, et il a maintenant annoncé une visite à Téhéran.

Le général de l’armée pakistanaise Qamar Javed Bajwa (AFP)

Au cours de la dernière décennie, la relation du Pakistan avec les différents États du CCG a été instable, alors que sa relation avec l’Iran était au plus mal avec des escarmouches aux frontières et des prises de bec diplomatiques publiques.

Mais au cours de ses six premiers mois en fonction, Bajwa s’est fixé comme priorité d’arranger les deux et donne ses ordres aux autres généraux. Il a également refusé d’être amené à prendre parti pour l’Arabie saoudite dans la crise contre le Qatar. Il a soulagé et soutenu le Qatar et a déclaré aux Saoudiens qu’il aiderait, mais ne les servirait pas.

Bajwa est le premier chef de l’armée pakistanaise à tendre publiquement la main à l’Iran et cherche à le rassurer sur le fait que le Pakistan sera une force de stabilité et non un déflecteur dans la rivalité Iran-Arabie saoudite au Moyen-Orient.

L’armée a également placé un voyage officiel en Iran en tête de son agenda et a organisé deux rencontres très publiques avec l’ambassadeur iranien au Pakistan ainsi que deux rencontres avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javed Zarif.

Apaiser les tensions sur le Yémen

L’armée pakistanaise a eu une relation instable avec certains pays du CCG depuis qu’elle a refusé de se battre dans la guerre au Yémen en 2015. Les EAU et le Koweït, en particulier, s’en sont pris au Pakistan pour avoir refusé de s’impliquer.

L’armée pakistanaise a eu une relation instable avec certains pays du CCG depuis qu’elle a refusé de se battre dans la guerre au Yémen en 2015

L’Arabie saoudite a réagi de manière plus silencieuse et continue de considérer le Pakistan comme l’un de ses principaux défenseurs et comme un pilier fondamental de sa doctrine de défense.

Cette relation plus positive se reflète dans les informations, encore non confirmées, selon lesquelles le Pakistan enverrait une brigade de combat en Arabie saoudite pour protéger sa frontière avec le Yémen. Cela fait écho à l’expérience remontant à quelques années lorsque le Pakistan a assuré la sécurité des Saoudiens le long de leur frontière avec l’Irak.

Cependant, en dépit de l’assistance au contingent de niveau tactique, il n’y avait aucune clarté quant à la signification de la relation avec les Saoudiens et le CCG en termes de stratégie.

En décembre, Bajwa a passé trois jours en Arabie saoudite à rencontrer les dirigeants du royaume pour discuter des problématiques régionales et de la relation bilatérale de défense.

Des semaines après la visite de Bajwa, le ministre de la Défense saoudien de l’époque désormais prince héritier, Mohammed ben Salmane, a visité le Pakistan pour discuter d’une autre coopération entre l’Arabie saoudite et le Pakistan dans le cadre de l’IMAFT et des achats de défense.

Des troupes émiraties ont servi dans le cadre de la coalition anti-Houthis dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen (AFP)

Puis, en mars, les forces spéciales saoudiennes ont participé pour la première fois à un défilé militaire hors cadre du CCG à Islamabad. Des rumeurs ont également évoqué le fait que l’Arabie saoudite pourrait acheter des JF-17 fabriqués conjointement par le Pakistan et la Chine.

Le voyage saoudien de Bajwa a été rapidement suivi par des visites aux EAU et au Qatar. À Dubaï, Bajwa aurait assuré aux Émiratis, particulièrement mécontents devant le refus du Pakistan d’envoyer des troupes au Yémen, que le Pakistan continuerait à soutenir le pays en cas de tout autre conflit dans la région.

Bajwa et l’armée pakistanaise craignent que l’Inde ne les remplace comme fournisseur des Émirats arabes unis en matière de soutien logistique de défense et de formation à la lutte antiterroriste.

Au cours de sa visite de mars à Doha, Bajwa a évoqué un nouvel élan dans les liens de défense entre le Qatar et le Pakistan et les Qataris ont laissé entendre l’implication de l’armée pakistanaise dans la protection de la Coupe du Monde 2022. Bajwa a également souligné que la relation entre le Qatar et le Pakistan était une solution qui pourrait apporter une stabilité régionale.

Dissiper les craintes iraniennes

Tous ces bruits positifs s’appuient sur une relation historique profonde entre le Golfe et le Pakistan qui a généralement inquiété l’Iran. Conscient de cela, Bajwa a entrepris des démarches actives pour établir les relations du Pakistan avec l’Iran sur de nouvelles bases.

D’abord, il a rendu visite à l’ambassadeur iranien à Islamabad pour apaiser les craintes concernant le rôle du Pakistan au sein de l’IMAFT, en expliquant le rôle du Pakistan, tout en assurant à Téhéran que les liens entre le Pakistan et l’Iran sont importants et vitaux sur le plan stratégique.

Le porte-parole officiel de l’armée pakistanaise a également officiellement annoncé le vif désir du Pakistan de maintenir l’équilibre entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

Cependant, le grand revirement par rapport à l’approche des précédents dirigeants de l’armée pakistanaise a été que Bajwa s’est assuré que l’Iran n’est pas considéré comme isolé. La principale institution militaire du Pakistan, l’Université de la Défense nationale, a célébré la fête nationale iranienne avec une délégation militaire iranienne en visite. Par ailleurs, l’éminent intellectuel chiite soutenu par les Iraniens au Pakistan a publiquement remercié Bajwa pour son soutien aux chiites persécutés.

Pas un mercenaire

Pendant trop de décennies, les relations de l’armée pakistanaise ont été purement transactionnelles – fournir un soutien matériel et une formation aux armées arabes, en particulier celles du Golfe – sans aucun bénéfice diplomatique pour le Pakistan.

Depuis l’époque de Musharraf et Kayani, les dirigeants de l’armée pakistanaise se sont efforcés de ne pas être perçus comme la marionnette de l’Arabie saoudite

Bajwa a introduit les concepts de stratégie et de stabilité avec un accent renouvelé sur la cohésion entre les politiques du Pakistan au Moyen-Orient et le partage de l’expérience acquise par l’armée pakistanaise dans sa guerre contre le terrorisme, pas seulement la formation tactique ou les combats dans les guerres conventionnelles. Il a clairement indiqué aux pays du CCG que le Pakistan ne se battra pas pour eux, mais les assistera plutôt dans leurs relations orageuses avec l’Iran.

Le plus remarquable, Bajwa a dissipé les craintes légitimes de l’Iran concernant le rôle du Pakistan au Moyen-Orient. Il est entré à la fois en privé et en public entré en contact avec l’Iran pour collaborer et renforcer les liens militaires bilatéraux.

Des panneaux d’affichage de Musharraf et du roi saoudien Abdallah sont montés alors que le Pakistan se prépare à une visite en 2006 (AFP)

En faisant des annonces officielles, Bajwa a également créé un nouveau précédent d’ouverture dans l’implication du Pakistan dans l’IMAFT et ses relations avec l’Iran.

Depuis l’époque de Musharraf et Kayani, les dirigeants de l’armée pakistanaise se sont efforcés de ne pas être perçus comme la marionnette de l’Arabie saoudite et au contraire rétablir l’équilibre entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

À LIRE : Crise du Qatar : Téhéran va-t-il se rallier ouvertement à Doha ?

Au cours des six derniers mois, l’armée a fait des déclarations publiques de soutien à la fois pour ses relations stratégiques avec l’Iran et l’Arabie saoudite. Il y a eu davantage de délégations iraniennes de défense en visite au cours des six derniers mois et une stratégie au sein du quartier général de l’armée ne pas penser à l’Iran en isolement.

Avec les tensions croissantes et les multiples conflits au Moyen-Orient, l’armée pakistanaise et ses dirigeants se donnent beaucoup de mal pour ne pas prendre parti et plus encore, sous Bajwa, a élargi son mandat pour équilibrer le pouvoir par des liens avec le Qatar, la Turquie et l’Iran. Mais le plus grand changement a été que, comme on l’a vu dans la crise du Qatar, le Pakistan ne suivra pas l’Arabie saoudite aveuglément.

Kamal Alam est chercheur invité au Royal United Services Institute (RUSI). Il est spécialiste de l’histoire militaire contemporaine du monde arabe et du Pakistan. Il est chercheur associé à l’Institute for Statecraft où il s’occupe de la politique syrienne. Il est aussi un conférencier régulier de plusieurs universités militaires à travers le Moyen-Orient et au Royaume-Uni.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : les troupes pakistanaises du groupe des Services spéciaux lors d’un défilé militaire pour la fête nationale du Pakistan à Islamabad en mars 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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