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INTERVIEW – Chafik Sarsar : « Le paysage politique partisan en Tunisie va peut-être enfin changer »

Le président de l'Instance électorale tunisienne (ISIE), dont la démission le 9 mai dernier a fait l'effet d'un coup de tonnerre, s’exprime pour la première fois sur les raisons qui ont provoqué sa décision et sur sa vision de la scène politique tunisienne
Mohamed Chafik Sarsar, président de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE), a pris de court les Tunisiens en annonçant sa démission le 9 mai dernier (AFP)

Dans son bureau au sein des locaux de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE), quartier du Lac à Tunis, Mohamed Chafik Sarsar nous reçoit posément. Il est encore en fonction jusqu’au 24 juillet, date à laquelle son remplaçant, choisi par l’Assemblée des représentants du peuple, prendra le relais.

Âgé de 51 ans, ce professeur de droit public à la faculté des sciences juridiques et sociales de l’Université El Manar à Tunis a participé au processus révolutionnaire dès le début en devenant membre de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique.

Le 9 janvier 2014, il est élu président de l’ISIE par l’Assemblée nationale constituante, en succession à Kamel Jendoubi. L’homme a depuis mené à bien les élections législatives et présidentielles de 2014 et il était en train de préparer les élections municipales de décembre 2017 lorsqu’il a présenté sa démission avec Mourad Ben Mouelli (juge administratif et vice-président de l’ISIE) et Lamia Zargouni (juge judiciaire).

Middle East Eye : Pourquoi travaillez-vous encore dans les locaux de l’ISIE malgré votre démission ?

Mohamed Chafik Sarsar : Il fallait assurer la continuité du processus électoral et la continuité de l’ISIE. Dans le procès-verbal du Conseil de l’instance prenant acte de notre démission, la date d’effet de la démission a été fixée à la date de l’élection des trois nouveaux membres, à condition de ne pas dépasser le 24 juillet 2017, date des vacances parlementaires. Nous nous devions de rester pour assurer la passation, surtout qu’il y a une date très importante qui arrive, celle du 19 juin, qui marque le démarrage des inscriptions sur les listes électorales pour les électeurs. C’est notre responsabilité d’assurer le processus électoral.

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« Le choix de la démission aura eu pour bienfait de responsabiliser les gens pour l’avenir » 

Lors de la réunion du conseil de l’ISIE, nous avons décidé d’élire un nouveau vice-président qui succèdera à l’actuel vice-président à partir de la date d’effet de la démission. Quant aux nouveaux membres, c’est à l’Assemblée des représentants du peuple de les élire.

MEE : Donc l’Assemblée des représentants doit procéder à l’élection des nouveaux membres ?

MCS : Oui, il faut lancer un appel à candidatures pour élire trois nouveaux membres représentant les professeurs universitaires, les juges administratifs et les juges judiciaires. Le bureau du parlement a décidé mercredi 31 mai de commencer le processus de remplacement, mais l’appel à candidatures n’a pas encore été publié.

MEE : Comment faites-vous pour travailler malgré les pressions dont vous parliez quand vous avez démissionné ?

MCS : Après la démission, on a senti une sorte d’apaisement, et finalement on a pu procéder à une phase importante du travail de l’ISIE, à savoir la nomination du directeur exécutif, qui devait être choisi par le Conseil. Le concours a été organisé et, cette fois, nous avons exigé que la société civile soit présente, chose qui a été faite avec la participation d’ONG comme Al Bawsala, Mourakiboun, I Watch, etc.

Il y a des choses qui sont urgentes, comme la publication des appels d’offres, que ce soit pour le media planning ou pour le centre d’appel [des outils importants durant les élections]. Il y a des délais assez proches donc il faut travailler pour les respecter. Nous avons publié la liste préliminaire pour le recrutement des Instances régionales [qui supervisent les élections dans les régions et à l'étranger]. Nous avons essayé de lancer le recrutement des agents d’inscription et des agents de sensibilisation à travers l’ANETI [agence tunisienne pour l’emploi] et les entretiens ont déjà commencé.

Mohamed Chafik Sarsar quittera son poste le 24 juillet prochain. « Nous nous devions de rester pour assurer la passation » (MEE/Lilia Blaise)

MEE : Donc tout continue comme si de rien n’était finalement ?

MCS : En fait non, bien que nous tenions à protéger le processus, nous accusons un retard dû au départ de certains hauts cadres de l’appareil exécutif, mais on doit continuer à travailler, car nous ne pouvons pas être responsables de l’échec du processus. Il faut donc tout faire pour maintenir le train sur les rails.

MEE : Est-ce que les élections municipales peuvent toujours avoir lieu le 17 décembre 2017 selon vous ?

MCS : La date est toujours là et je ne sais pas si vous avez remarqué, mais nous avons présenté notre démission sept mois avant le 17 décembre. Sept mois c’est suffisant pour changer d’équipe et poursuivre ce qui a été réalisé jusqu’à présent. Car ce que nous avons accompli est déjà énorme, notre administration a préparé tout le plan opérationnel [pour que les électeurs commencent à s’inscrire le 19 juin]. Nous avons publié les six décisions relatives à l’inscription, au calendrier, aux instances régionales, etc. donc les grandes décisions sont déjà publiées.

MEE : Lors de votre audition à l’assemblée au sujet de votre démission, vous êtes restés assez flous sur les raisons qui vous ont poussés à faire ce choix radical, pouvez-vous aujourd’hui nous expliquer ce qu’il s’est passé ?

MCS : C’est vrai que j’ai été un peu itératif à l’assemblée mais j’ai évoqué les grands problèmes et, vu que nous avons été sollicités pour rester, j’ai posé quatre éléments substantiels et nous avons même proposé un pacte pour continuer le processus dans les normes.

Tout d’abord, l’une des questions importantes, c’est que nous ne pouvons pas procéder par une décision à la majorité face à la violation des normes constitutionnelles ou internationales, ce qui a été malheureusement fait pour sanctionner certains cadres de l’ISIE. Deuxièmement, le respect de la loi et des normes relatives aux instances indépendantes, notamment en matière de répartition des compétences. Troisièmement, exiger un niveau supérieur de transparence par la participation de la société civile, que ce soit au niveau des recrutements ou au niveau des différentes phases du processus électoral, c’est-à-dire l’inscription, les candidatures, le vote et les dépouillements. Enfin exiger une politique de sécurité informatique renforcée et auditer toutes nos applications électroniques, ainsi que le registre électoral tel qu’il a été fait en 2014.

MEE : Ce sont vos conditions pour retirer vos démissions ?

MCS : Oui. Malheureusement, le jour où j’ai présenté ma démission, j’ai été surpris d’apprendre que douze nouvelles démissions avaient été aussi présentées à l’ISIE, entre autres celles du directeur central des opérations, de la directrice des affaires juridiques, de la directrice de la formation, etc. et c’était à cause des mêmes soucis et pour les mêmes raisons.

À LIRE : INTERVIEW - Michaël Ayari : « Le système tunisien n’a pas changé depuis Ben Ali »

MEE : Quels sont exactement ces soucis ?

MCS : En 2014 [lors des élections législatives et présidentielles], nous avons fait une œuvre digne d’une véritable démocratie, et qui a été reconnue au niveau international. Nous sommes passés d’un pays où il n’y avait pas d’élections libres à un pays bien classé au niveau de l’intégrité électorale. Nous avons commencé, en tant qu’instance indépendante, à avoir une vraie visibilité et une vraie reconnaissance non seulement en Tunisie mais aussi au niveau international. C’est la seule instance constitutionnelle qui a bien fonctionné. Certains disent même que c’est l’une des seules institutions à avoir bien fonctionné. C’est elle qui a su imposer un niveau en matière de respect des standards et des normes internationales pour l’intégrité électorale. Donc nous ne pouvions pas nous permettre un recul sur ce plan.

MEE : Quels étaient précisément les problèmes qui pouvaient vous faire reculer ?

MCS : Tout a commencé par une attaque à l’encontre de l’appareil exécutif de l’ISIE via un statut sur Facebook. Cinq membres du Conseil ont pris la décision d’ouvrir une enquête concernant un partage sur Facebook d’une remarque d’un des cadres de l’ISIE qui a été « likée » par deux autres cadres. J’ai rappelé, à la suite de l’ouverture de cette enquête, que nous sommes une instance constitutionnelle qui est l’un des appuis à la démocratie et que nous ne pouvons donc pas nous permettre ce genre de pratiques autoritaires, d’autant plus que Facebook est un espace privé.

« J’ai rappelé, à la suite de l’ouverture de cette enquête, que nous sommes une instance constitutionnelle qui est l’un des appuis à la démocratie et que nous ne pouvons donc pas nous permettre ce genre de pratiques autoritaires »

MEE : Qu’est ce qui faisait polémique dans ce statut Facebook ?

MCS : C’était un statut qui a été interprété comme étant en opposition avec le choix des nouveaux membres de l’ISIE par le parlement. C’était le 10 février 2017, le jour de la passation entre les anciens et nouveaux membres. Car selon la loi, tous les deux ans, trois membres du Conseil sont tirés au sort pour être remplacés suite à un choix du parlement.

J’ai été personnellement choqué par cette demande d’enquête sur un fait finalement banal. Et cette enquête a eu des conséquences, car il y a eu des tensions. Finalement, cela a conduit à la démission du directeur exécutif, ce qui a amené certains directeurs administratifs à signer une pétition pour tenter de résoudre la situation. Cette pétition a été signée par dix cadres de l’administration et elle posait la question de l’avenir des rapports entre le Conseil de l’ISIE et son administration si de telles pratiques continuaient, en plus de demander une réhabilitation de ce directeur. Cette pétition a malheureusement conduit à une décision du Conseil assez inique, à savoir la résiliation des contrats de détachement de six directeurs administratifs.

MEE : Ces décisions ont été prises en votre présence ?

MCS : Oui j’étais là, mais comme vous le savez, les décisions sont prises à la majorité, et ce sont cinq membres sur neuf qui ont fait ces choix, à chaque fois les mêmes membres qui ont dit « voilà, il faut que ces gens partent ».

Début avril, la date des élections municipales, objet de nombreux reports, a enfin été fixée par l’Instance électorale (ISIE) au 17 décembre prochain (AFP)

Évidemment, en tant que professeur de droit public, je ne pouvais personnellement accepter une telle décision, donc dans le procès-verbal, j’ai insisté sur le fait que cette décision enfreint les droits fondamentaux et qu’il aurait fallu une procédure disciplinaire et une adéquation entre la faute et la fonction. Mes trois autres collègues étaient d’accord sur le fait que c’était une décision inapplicable car inique. Et c’est là qu’ont commencé les débats en interne : pouvons-nous appliquer de telles décisions arbitraires qui décident ainsi de la carrière des gens ? Et comment garantir notre indépendance et leur indépendance dans ce cas ? C’est peut-être cela qui a fait débordé le vase.

MEE : C’est ce qui vous a amené à démissionner ?

MCS : Non, pas tout à fait. Le 12 février, nous avons dit que nous n’appliquerions pas cette décision de licenciements abusifs et nous sommes passés à autre chose. Mais à chaque réunion du Conseil, ces cinq membres évoquaient cette décision et insistaient sur le fait que les personnes désignées devaient partir d’ici la date butoir du 1er mai. Donc l’ambiance au sein du Conseil était insupportable, nous ne pouvions pas avancer avec, à chaque fois, une majorité qui bloquait le reste.

MEE : Pourquoi, selon vous, ces cinq membres insistaient-ils autant sur le départ de ces cadres ?

MCS : Je ne sais pas au juste.

MEE : Vous ne savez pas ou vous ne voulez pas en parler ?

MCS : C’est un peu compliqué. L’enjeu principal, c’est de respecter l’échéance des élections municipales, alors quand vous avez cinq personnes qui décident de révoquer les dix meilleurs marins du navire, qu’est-ce que cela veut dire selon vous ?

« L’enjeu principal, c’est de respecter l’échéance des élections municipales, alors quand vous avez cinq personnes qui décident de révoquer les dix meilleurs marins du navire, qu’est-ce que cela veut dire selon vous ? »

MEE : Six ou dix ? Vous aviez dit six.

MCS : En fait, ils ont demandé la fin du détachement de six personnes, mais la liste des personnes visées incluait dix noms. La sanction n’a pu toucher que ceux qui étaient en situation de détachement [fonctionnaires], les autres étaient là par concours, donc ils ne pouvaient pas être licenciés comme ça.

MEE : Sur les cinq membres qui demandaient leur démission, combien étaient nouveaux ?

MCS : Il y avait deux nouveaux membres, qui ont été élus en février par l’Assemblée des représentants du peuple, car tous les deux ans, il y a un tirage au sort pour remplacer trois membres qui doivent être choisis par le parlement. Cela fait un an que nous aurions dû avoir ces nouveaux membres et finalement ils ont été choisis à la dernière minute.

MEE : Et les anciens membres, quel intérêt avaient-ils à se rallier à ce camp qui, clairement, voulait interférer avec le travail de l’ISIE ?

MCS : Je ne peux pas vous répondre. J’ai mon idée, mais je ne peux pas en dire plus.

À LIRE : Tunisie : pourquoi les élections municipales sont les plus importantes depuis la révolution

MEE : Plus simplement, puisque ces membres ont été choisis par le parlement, est-ce qu’il y a selon vous une volonté de certains partis politiques représentés au parlement de saboter les élections ?

MCS : Non pas tout à fait, mais il est vrai que nous avons l’impression que l’Instance commence à gêner depuis qu’elle a commencé à imposer une feuille de route et un calendrier pour les élections. Nous savons pertinemment que certains n’étaient pas contents que l’Instance ait su imposer ces échéances. Nous avons convoqué tous les partis politiques pour leur dire « attention, vous êtes en retard par rapport au processus ». Nous les avons amenés à devoir respecter un calendrier et ça ne plaît pas à tout le monde.

« Nous avons l’impression que l’Instance commence à gêner depuis qu’elle a commencé à imposer une feuille de route et un calendrier pour les élections »

MEE : Il y a donc des partis politiques qui ont intérêt à ce que l’agenda électoral ne soit pas respecté ?

MCS : Absolument.

MEE : Mais comment se fait-il qu’il y ait eu ce court-circuit interne au sein de cette instance indépendante qui avait su jusque-là garder une certaine intégrité ?

MCS : Dans l’histoire des instances indépendantes, il y a un adage qui dit que les bonnes citadelles ne peuvent être prises que de l’intérieur, donc finalement c’est l’histoire qui se répète.

MEE : Vous avez parlé de « pratiques policières » à l’Assemblée, alors quand vous dites que c’est l’histoire qui se répète, finalement on pense au temps de Ben Ali, non ?

MCS : Quand on essaye d’épier les gens, de voir leur Facebook, de les traduire devant le Conseil pour les sanctionner, quand on essaye de savoir qui a signé une pétition, quand on ne peut plus faire confiance au caractère secret de nos emails [Chafik Sarsar fait référence à sa collègue démissionnaire Lamia Zargouni, qui a affirmé que sa boîte mail avait été piratée], ce sont évidemment des pratiques malsaines.

« Quand on essaye d’épier les gens, de voir leur Facebook, de les traduire devant le Conseil pour les sanctionner, quand on essaye de savoir qui a signé une pétition, quand on ne peut plus faire confiance au caractère secret de nos emails, ce sont évidemment des pratiques malsaines »

MEE : Est-ce que cette volonté de saboter l’ISIE peut être liée aussi à la question du financement des campagnes électorales ? On sait que les partis politiques sont très frileux sur ce sujet et la plupart refusent déjà de publier leurs comptes. Sachant que vous avez une mission de contrôle des financements, pensez-vous que ces événements puissent être liés ?

MCS : Oui et non. En 2014, l’ISIE n’était pas la seule institution responsable du contrôle du financement des campagnes, mais on peut dire que l’une des actions qui n’ont pas très bien marché, c’est le contrôle des finances de campagne. Donc nous voulions révolutionner tout cela. Nous avons poussé à changer les méthodes de travail là-dessus et peut-être que certains ne le voient pas d’un bon œil. Mais je n’ai pas de preuves directes de lien de cause à effet entre les deux.

D’après Chafik Sarsar, « 2017 est une année très importante pour la restructuration du paysage politique » (AFP)

« Nous avons poussé à changer les méthodes de travail [concernant le financement des campagnes] et peut-être que certains ne le voient pas d’un bon œil »

MEE : Pourquoi n’avez-vous pas essayé de discuter avec ces membres plutôt que de démissionner ?

MCS : Il y a eu deux tendances. Leur comportement avant la démission et après la démission. Les discussions existaient avant ma démission mais c’était un peu tendu, après ma démission, ils ont proposé de revoir leur décision de licenciements et nous continuons de nous réunir.

MEE : Y a-t-il alors vraiment eu une crise au sein de l’ISIE ou votre démission est-elle plutôt une stratégie visant à casser les décisions de cette majorité ?

MCS : Il y a eu une crise, nous ne pouvons pas le cacher. Nous avons essayé de la gérer de façon à ce qu’elle n’influence pas le processus électoral. Car nous devons à tout prix consolider ce qui a été fait pour l’Instance.

MEE : Donc, vous allez vraiment démissionner ?

MCS : Les dés sont jetés puisque le Conseil a pris acte de ma démission, et cette décision a été envoyée au parlement qui va procéder le plus tôt possible au remplacement des trois membres, quitte à reporter les vacances parlementaires.

MEE : Mais si la crise venait de membres choisis par le parlement et que vous êtes remplacés par quelqu’un à nouveau choisi par le parlement, certes après un appel à candidatures, n’avez-vous pas peur que les choses empirent ?

MCS : Nous espérons que non. Ma démission et celles de mes deux collègues ont tiré la sonnette d’alarme. Pour nous trois, la démission était la solution car nous étions déjà au mois de mai et nous ne pouvions pas nous permettre de continuer avec un Conseil aussi partagé.

« Il y avait un choix à faire. Ou bien s’éclipser en silence et laisser tout ce qui ne va pas dans son état actuel et donc lamentable, ou bien secouer les choses »

Certains parlementaires ont essayé de minimiser le problème en disant que nous avions des problèmes avec la majorité. Il ne s’agit pas de ça, cette démission n’a rien à voir avec ça, elle a trait aux valeurs que nous partageons. Certains ont aussi essayé de lier notre démission au rapport de la Cour des comptes alors que c’est complètement faux. Le rapport était clair, il n’y aucune suspicion de corruption à l’ISIE. Il y a seulement eu des problèmes de gestion. Donc cela n’avait aucun rapport. Le choix de la démission aura eu pour bienfait de responsabiliser les gens pour l’avenir.

MEE : Vous y croyez vraiment ?

MCS : Nous l’espérons.

MEE : L’Instance Vérité et Dignité, autre instance indépendante née de la révolution et de la nouvelle Constitution, est souvent décriée pour sa gestion ou ses réalisations, voire décrédibilisée par des politiques et certains médias. On a entendu la même chose sur l’ISIE après l’annonce de votre démission. Pourquoi y a-t-il selon vous une volonté de vous discréditer ?

MCS : Il faut regarder qui finance certaines chaînes de télévision : certains hommes d’affaires à la solde de certains partis politiques. Nous savons qu’il y a un agenda assez clair [reporter les élections pour avoir le temps de se préparer, esquiver l’actuelle crise de confiance des Tunisiens et profiter d’un éventuel succès électoral en cas d’élections rapprochées, ou encore mettre le processus électoral sous la tutelle du ministère de l'Intérieur au lieu d’une instance indépendante] de ces politiciens et de ces médias. Une campagne de dénigrement et de calomnies a commencé pour attaquer non seulement les démissionnaires mais aussi l’Instance même.

Rassemblement à Tunis pour le sixième anniversaire de la chute de Ben Ali samedi 14 janvier (AFP)

MEE : Et ce lynchage médiatique et politique, quand a-t-il commencé selon vous ?

MCS : Il a commencé dès 2014, il y avait une volonté claire de détruire l’ISIE, c’était terrible. Nous nous sommes défendus grâce à notre travail. Et après les élections, tout a changé car nous avions réussi la mission des élections et nous avons reçu plusieurs reconnaissances internationales. Jusqu’au mois de janvier 2017, tout allait bien, j’étais même dans les « Up » du classement des personnalités les plus populaires du journal Al Chourouk, j’y étais encore le jour de ma démission. Mais le lendemain, on m’a redescendu directement dans les « Down » [rires]. C’est aussi quand nous avons publié l’échéancier électoral que nous avons été aussi décriés.

« Ces élections sont importantes pour la Tunisie, pour le processus de transition et, enfin, parce qu’elles sont l’un des tests ultimes pour les partis politiques et elles pourraient être aussi leur anéantissement. […] Qui sait ? Peut-être que nous allons voir de jeunes Trudeau émerger »

MEE : Concernant votre démission, c’est vrai qu’il y avait un aspect un peu spectaculaire, surtout par l’effet de surprise, c’était volontaire de votre part ?

MCS : Il y avait un choix à faire. Ou bien s’éclipser en silence et laisser tout ce qui ne va pas dans son état actuel et donc lamentable, ou bien secouer les choses. Ce que je pense intimement, c’est que le processus des élections va avoir lieu, il doit avoir lieu même si certains partis ont sauté sur l’occasion pour dire « on arrête tout ». Mais en même temps, nous nous devons d’exiger plus de vigilance de la part de l’ISIE et de la société civile. Le plus important aujourd’hui, c’est que les bureaux de vote ouvrent le jour dit et que les élections aient lieu.

MEE : Pourquoi ces élections sont si importantes selon vous ?

MCS : Il y a plusieurs enjeux. Ces élections sont importantes pour la Tunisie, pour le processus de transition et, enfin, parce qu’elles sont l’un des tests ultimes pour les partis politiques et elles pourraient être aussi leur anéantissement. Le paysage partisan va peut-être enfin changer. Nous allons voir l’émergence d’une nouvelle élite politique avec des têtes plus jeunes. Par ailleurs, nous pouvons avoir des partis régionaux ou locaux forts. Tout peut donc changer le jour du vote.

Il fallait vraiment tenir les élections en 2017 pour éviter qu’elles ne se cumulent aux présidentielles et aux législatives de 2019. 2017 est une année capitale pour la restructuration du paysage politique. Qui sait ? Peut-être que nous allons voir de jeunes Trudeau émerger.

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