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« Droit à l’autodétermination du peuple kabyle » : Alger dénonce une « dérive dangereuse » de Rabat

Énième incident diplomatique entre les deux voisins maghrébins : Rabat et Alger s’affrontent sur la question de l’autodétermination en plein sommet des pays non alignés  
Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger (AFP/Odd Andersen)
Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger (AFP/Odd Andersen)
Par MEE

Une nouvelle passe d’armes entre Alger et Rabat s’est déroulée à la fin de la semaine dernière, faisant monter la tension diplomatique et médiatique d’un cran entre les deux voisins maghrébins.

Vendredi 9 juillet, le ministère algérien des Affaires étrangères a dénoncé la distribution, par la représentation diplomatique du Maroc à New York, aux pays membres du Mouvement des non alignés réunis virtuellement les 13 et 14 juillet, d’une « note officielle dont le contenu consacre formellement l’engagement du Royaume du Maroc dans une campagne hostile à l’Algérie, à travers un soutien public et explicite à un prétendu ‘’droit à l’autodétermination du peuple kabyle’’ qui, selon ladite note, subirait ‘’la plus longue occupation étrangère’’ ».

« Cette double assertion vaut reconnaissance de culpabilité en ce qui concerne le soutien marocain multiforme actuellement accordé à un groupe terroriste connu, comme cela a été le cas du soutien aux groupes terroristes qui ont ensanglanté l’Algérie durant la ‘’décennie noire’’ », poursuit le communiqué, en allusion au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), récemment classé par Alger comme organisation terroriste.

« Dans la situation ainsi créée par un acte diplomatique douteux commis par un ambassadeur, l’Algérie, République souveraine et indivisible, est en droit d’attendre une clarification de la position définitive du Royaume du Maroc sur cet incident d’une gravité extrême », exige la diplomatie algérienne.

Cette sortie marocaine intervient juste après l’allocution du nouveau ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, le 14 juillet, via visioconférence, à la Conférence ministérielle de mi-parcours du Mouvement des pays non alignés.   

Le chef de la diplomatie algérienne a rappelé « le soutien constant apporté par le Mouvement des pays non alignés depuis sa création aux causes justes de la décolonisation à travers le monde, en soulignant la nécessité pour celui-ci de demeurer solidaire avec les peuples palestinien et sahraoui ».

Il a également prévenu que « la reprise du conflit armé, entre le Royaume du Maroc et le Front Polisario, mérite une plus grande attention de la communauté internationale », appelant le secrétaire général de l’ONU à « accélérer la nomination de son envoyé personnel [pour le Sahara occidental] et à lancer un processus politique crédible entre les deux parties au conflit, dans le but de parvenir à une solution politique juste et durable qui assurera l’autodétermination du peuple de la République sahraouie, membre fondateur de l’Union africaine ».

La déclaration algérienne a provoqué la réponse du représentant marocain aux Nations unies, Omar Hilale, qui a repris point par point le discours de Ramtane Lamamra.

Vives réactions à Alger

Selon l’agence officielle marocaine MAP, « dans une note adressée à la présidence azérie du Mouvement [des pays non alignés] à l’ensemble des membres, le diplomate marocain s’est dit profondément étonné du choix du ministre algérien, qui a abordé la question du Sahara marocain, lors de sa première déclaration dans un forum international depuis sa récente nomination à la tête de la diplomatie de son pays ».

Pour Omar Hilale, représentant marocain aux Nations unies, « l’autodétermination n’est pas un principe à la carte » (AFP/Ronaldo Schemidt)
Pour Omar Hilale, représentant marocain aux Nations unies, « l’autodétermination n’est pas un principe à la carte » (AFP/Ronaldo Schemidt)

Le diplomate marocain a précisé que « la question du Sahara marocain, ‘’qui relève exclusivement du Conseil de sécurité de l’ONU, n’était ni inscrite à l’ordre du jour de la réunion, ni en liaison avec son thème’’ ».

Omar Hilale a surtout indiqué que « l’autodétermination n’est pas un principe à la carte. C’est pourquoi le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination ».

Les réactions ont été vives côté algérien et sahraoui.

L’ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) dans la capitale algérienne, Abdelkader Omar Taleb, a qualifié « la campagne acharnée menée par le Maroc contre l’Algérie et l’acte mené par son représentant à l’ONU » de « chantage », en raison « de l’appui de l’Algérie à la légalité internationale et de ses efforts visant à favoriser l’accès du peuple sahraoui à son droit à l’autodétermination ».

Un sénateur FLN, parti majoritaire au Parlement, Abdelouahab Benzaïm, a déclaré : « Le Maroc joue avec le feu et je pense que cette fois, il va se brûler », demandant l’expulsion de l’ambassadeur marocain à Alger et le rappel de l’ambassadeur algérien au Maroc. Des exigences relayées en masse sur les réseaux sociaux.  

Dimanche 18 juillet, Alger a finalement rappelé son ambassadeur à Rabat « pour consultation ».

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« Rabat croit-il qu’un tel excès de langage va infléchir les positions traditionnelles de l’Algérie à l’égard des problèmes internationaux ? S’il pense au conflit qui l’oppose au peuple sahraoui, il faut seulement rappeler que ce sont le Maroc et la Mauritanie qui ont initié, en 1964, la résolution onusienne qui reconnaît le droit aux populations du Sahara occidental à l’autodétermination et à l’indépendance. L’Algérie n’a fait que les suivre par respect pour la légalité et le droit internationaux. C’est le palais royal qui avait trahi ses engagements à la suite de deux tentatives de coup d’État, entraînant Nouakchott dans son déni », écrit l’éditorialiste du quotidien algérien El Watan.

« Ces quelques mots ont suffi pour mettre le feu aux poudres chez le commandement algérien irrité par la révélation au grand jour de son double discours, d’autant plus qu’il s’agit de la première fois depuis de nombreuses années que le Maroc remet l’Algérie en place sur ce sujet-là, d’autant plus que le Royaume est attaché au principe de non-ingérence dans les affaires internes des autres pays contrairement à l’Algérie. Le Maroc n’a jamais commenté officiellement la situation désastreuse en Algérie et observé le silence sur le hirak », commente de son côté le site d’information marocain Hespress.

Pour rappel, le ministère algérien des Affaires étrangères avait, en mai 2020, convoqué l’ambassadeur marocain après les déclarations du consul marocain à Oran (ouest) qualifiant l’Algérie de « pays ennemi ».

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