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Israël reconnaît la « marocanité » du Sahara occidental dans un climat régional tendu

Après Washington, Israël a décidé de « reconnaître la souveraineté du Maroc » sur le territoire disputé du Sahara occidental, selon le cabinet royal à Rabat, qui cite une lettre du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou
Le président du Parlement marocain Rachid Talbi Alami (à droite) montre au président de la Knesset israélien Amir Ohana le bâtiment du Parlement à Rabat le 8 juin 2023 (AFP)
Le président du Parlement marocain Rachid Talbi Alami (à droite) montre au président de la Knesset israélien Amir Ohana le bâtiment du Parlement à Rabat le 8 juin 2023 (AFP)
Par MEE

Le Forum du Néguev, sommet des pays signataires des accords d’Abraham, se tiendra-t-il au Maroc ?

Alors qu’Israël avait conditionné, début juillet, sa décision de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le territoire disputé du Sahara occidental à la tenue de ce forum dans le royaume, lundi 17 juillet au soir, par un tweet, les Affaires étrangères marocaines ont annoncé qu’une lettre avait été envoyée par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou au roi Mohammed VI pour lui annoncer officiellement cette reconnaissance.

« Par cette lettre, le Premier ministre israélien a porté à la Très Haute Attention de Sa Majesté le Roi [Mohammed VI] la décision de l’État d’Israël de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental », indique le Palais dans un communiqué.

Dans sa missive, Netanyahou précise que la position de son pays sera « reflétée dans tous les actes et les documents pertinents du gouvernement israélien ».

Elle sera « transmise aux Nations unies, aux organisations régionales et internationales dont Israël est membre, ainsi qu’à tous les pays avec lesquels Israël entretient des relations diplomatiques », ajoute le dirigeant israélien, selon des extraits de sa lettre cités dans le communiqué royal.

Enfin, Israël s’engage aussi à examiner positivement « l’ouverture d’un consulat dans la ville de Dakhla », située dans la partie du Sahara occidental contrôlée par le royaume.

Rabat souhaite que ses alliés ouvrent des représentations diplomatiques au Sahara occidental en reconnaissance de la « marocanité » du vaste territoire et en gage de leur soutien au royaume.

La poursuite d’une « dynamique »

De fait, pour le roi Mohammed VI, « le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international », avait-il souligné lors d’un discours télévisé. 

L’ex-colonie espagnole, que le Maroc appelle ses « provinces du Sud », a historiquement fait partie de son territoire, une « vérité immuable » qui « ne sera jamais à l’ordre du jour d’une quelconque tractation », martèle régulièrement le pouvoir marocain.

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« Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une dynamique enclenchée ces dernières années, avec la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du royaume sur ses provinces du Sud [le Sahara occidental], le soutien d’une quinzaine de pays européens au plan d’autonomie et l’ouverture d’une trentaine de consulats à Laâyoune et Dakhla », a déclaré à l’AFP un haut responsable marocain sous le couvert de l’anonymat.

« Cette reconnaissance renforce cette dynamique », a-t-il assuré.

Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU en l’absence d’un règlement définitif. Depuis près de 50 ans, un conflit y oppose le Maroc aux indépendantistes du Front Polisario, soutenus par Alger.

Rabat prône un plan d’autonomie sous sa souveraineté exclusive, tandis que le Polisario réclame un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU.

À Jérusalem, le ministre israélien des Affaires étrangères Eli Cohen a salué la décision.

« Cette mesure va consolider les relations entre les États et les peuples, et la poursuite de la coopération afin de renforcer la paix et la stabilité régionale », a-t-il déclaré.

La décision israélienne, qui était attendue, survient dans un climat de rivalité exacerbée entre le Maroc et l’Algérie, les deux voisins ayant rompu leurs relations diplomatiques en 2021 à l’initiative d’Alger.

Le Maroc et Israël ont normalisé leurs relations diplomatiques en décembre 2020 dans le cadre des accords d’Abraham, un processus entre Israël et plusieurs pays arabes, soutenu par Washington. 

Cette alliance entre le Maroc et Israël, en contrepartie d’une reconnaissance américaine de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental, a encore avivé les tensions avec Alger, qui a dénoncé des « manœuvres étrangères ».

Accélérer la coopération

La presse marocaine salue cette décision en insistant sur les « hésitations » et les « contradictions » de la France.

« La position israélienne a également cela d’extrêmement important qu’elle met d’autres pays devant leurs responsabilités… et contradictions. Elle ne manquera pas de gêner davantage les pays encore réticents, notamment la France de Macron. Paris ne peut que constater que le Maroc consolide ses alliances et conforte ses positions, et ce, sans son intervention », peut-on lire sur le site marocain le360.

« Alors que Paris, en l’occurrence, était à l’avant-garde, soutenant l’option d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dès sa présentation par le royaume en 2007, la France d’Emmanuel Macron est désormais à la traîne sur la question. Jusqu’à quand ? »

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L’Observateur du Maroc et d’Afrique commente aussi : « Le Maroc continue de récolter les fruits de la diplomatie royale […]. C’est un nouveau message fort aux quelques pays qui hésitent encore à se rendre à l’évidence », poursuit l’article en citant en exemple la France.

L’American Jewish Committee (AJC, une des plus anciennes organisations de défense des juifs des États-Unis) a de son côté « chaudement accueilli » la décision d’Israël, une « extension naturelle de la relation de plus en plus forte et synergique entre le royaume du Maroc et l’État d’Israël », « une conséquence des liens historiques entre les Maroc et le peuple juif ».

Depuis leur normalisation diplomatique, le Maroc et Israël s’activent à accélérer leur coopération, essentiellement militaire, sécuritaire, commerciale et touristique.

Ainsi, lundi, le chef d’état-major israélien a fait part de la nomination d’un attaché militaire pour la première fois au Maroc, le colonel Sharon Itah. 

Il prendra ses fonctions dans les prochains mois, a précisé un porte-parole militaire à l’AFP, alors que le bureau de liaison israélien à Rabat doit être élevé au rang d’ambassade et que le Maroc s’apprête à faire de même à Tel Aviv. 

Depuis la fin mai, trois ministres israéliens ainsi que le président du Parlement Amir Ohana et le conseiller à la Sécurité nationale se sont rendus au Maroc.

Enfin, des soldats israéliens (la brigade Golani, unité d’infanterie d’élite, engagée régulièrement dans les territoires occupés palestiniens) ont participé pour la première fois à des manœuvres militaires sur le sol marocain, l’exercice international African Lion 2023, le plus large sur le continent africain, début juin.

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Mais ce rapprochement tous azimuts ne fait pas l’unanimité au Maroc, surtout depuis l’accession au pouvoir en Israël de courants ultra-nationalistes.

En mars, le parti de la Justice et du Développement (PJD, islamiste) dirigé par l’ex-Premier ministre Abdelilah Benkirane, avait « déploré » dans un communiqué les « prises de position récentes du ministre des Affaires étrangères, dans lesquelles il semble défendre l’entité sioniste [Israël] dans certaines réunions africaines et européennes, à un moment où l’occupation israélienne poursuit son agression criminelle contre nos frères palestiniens », en référence aux violences en Cisjordanie occupée.

« La position du Maroc envers la question palestinienne est irréversible », avait alors répondu le cabinet royal, qui avait rappelé sèchement que « la politique extérieure du royaume est une prérogative de Sa Majesté le Roi en vertu de la Constitution » et « ne saurait être soumise aux surenchères politiciennes et aux campagnes électorales étriquées ».

Si la mobilisation militante a faibli, la cause palestinienne continue de susciter une immense sympathie au sein de la population marocaine.

« Le renforcement de nos relations avec Israël ne se fera pas au détriment de notre position de principe en soutien au peuple palestinien et à ses droits légitimes », a assuré lundi le haut responsable marocain contacté par l’AFP.

La droite française appelle Paris à faire de même

En France, le président du parti de la droite Les Républicains (LR), Éric Ciotti, a été le premier à se « réjouir » sur Twitter de cette décision. « La souveraineté du Maroc est indiscutable », a-t-il commenté, en « appelant la France à résoudre cette question stratégique ».

En mai, au cours d’un entretien avec la chaîne d’information israélienne i24, il s’était dit prêt à reconnaître officiellement la marocanité du Sahara occidental, à l’instar des États-Unis sous l’administration Trump, s’il était élu un jour président de la République.

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« C’est une position qui n’est pas nouvelle, je l’ai exprimée il y a plusieurs mois […] Il suffit de regarder le développement de ces régions du Sahara, administrées de façon exemplaire par le Maroc, pour mesurer qu’il n’y a plus de débat sur le sujet », avait déclaré l’homme politique français, également député.

Rachida Dati, maire LR du VIIe arrondissement de Paris, a renchéri sur la réaction d’Éric Ciotti, en tweetant à son tour : « Oui, la souveraineté du Maroc sur le Sahara et sa marocanité sont indiscutables. »

Les deux politiques français, partisans d’une relation forte entre Paris et Rabat, s’étaient aussi positionnés en faveur de cette reconnaissance par la France dans un entretien avec le magazine marocain Tel Quel lors de leur séjour au Maroc début mai.

Ils avaient aussi condamné la résolution du Parlement européen adoptée le 19 janvier 2023 pour appeler les autorités marocaines à respecter la liberté d’expression et la liberté des médias et à assurer un procès équitable aux journalistes emprisonnés.

Ils ne sont pas les seuls à s’être exprimés sur le sujet.

Dans le même parti, le député Pierre-Henri Dumont a également souligné : « Les plus grandes démocraties du monde ont fait ce choix. Pas la France, pourtant amie historique du Royaume. Incompréhensible et extrêmement dommageable. »

Le sénateur Hervé Marseille, président du groupe Union centriste et du groupe interparlementaire d’amitié France-Italie, a aussi appelé sur Twitter à « réparer la relation franco-marocaine ».

Depuis 2021, la France et le Maroc sont enfermés dans une crise profonde – provoquée notamment par les restrictions de visas aux Marocains et les révélations du consortium de journalistes créé par Forbidden Stories, selon lesquelles le Maroc aurait espionné Emmanuel Macron et plusieurs de ses ministres avec le logiciel espion israélien Pegasus – que les visites diplomatiques françaises à Rabat ne réussissent pas à apaiser. 

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