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D’Osiris à Ammout, le message intemporel des rituels funéraires égyptiens

Le Livre des morts recense plus de 250 formules visant à aider le défunt à passer dans l’au-delà
Anubis, le dieu à tête de chacal, pèse le cœur du défunt (avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum of New York)
Anubis, le dieu à tête de chacal, pèse le cœur du défunt (avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum of New York)

Au département égyptien et soudanais du British Museum se trouve un objet ancien appartenant à un membre d’une élite, une classe instruite qui comprend un nombre infinitésimal d’anciens Égyptiens.

Il s’agit du papyrus d’Ani.

Ani était un scribe royal qui vivait à Louxor, anciennement Thèbes, la ville du dieu Amon, sous le règne du pharaon Ramsès II aux alentours de 1 250 avant notre ère. Et ce papyrus était le passeport d’Ani pour l’au-delà. 

Cette relique est l’un des plus beaux échantillons subsistant de ce qu’on appelle aujourd’hui le Livre des morts, un corpus vaguement reconstitué de plus de 250 formules. 

Jamais totalement codifié par les anciens Égyptiens eux-mêmes, ce recueil rassemble la tradition orale et le contenu issu des pyramides et des sarcophages, dont les plus anciens ont été rédigés il y a 4 000 ans. Accompagnant le défunt dans son voyage vers la vie après la mort, ces formules sont plus ou moins longues et spécifiques à leur commanditaire. Elles nous renseignent sur les croyances des anciens Égyptiens et contiennent un message universel et imprescriptible. 

Sur les 44 objets répertoriés par le British Museum comme appartenant à la tombe d’Ani, aucun n’est aussi époustouflant que ces papyrus vifs et évocateurs retrouvés – ou plutôt trafiqués – par des intermédiaires égyptiens et Ernest Wallis Budge, égyptologue britannique du XIXe siècle. Comme bien d’autres objets qui se trouvent dans les musées occidentaux, ils se le procurèrent par la tromperie. 

Le Service des antiquités était chargé de superviser les fouilles et d’autoriser les missions archéologiques étrangères. Budge trompa le chef de la police de Louxor et le directeur (français) de ce service en faisant enterrer discrètement ses « acquisitions » par des associés locaux à l’extérieur la nuit, près de la maison où il logeait. Plus tard, il transféra ces objets de Louxor à Londres, où ils enchantent toujours les foules qui déambulent entre les momies profanées et les tablettes de pierres au British Museum.

Le Livre des morts est un recueil de formules conçues pour aider le défunt dans son voyage vers l’au-delà (avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum of New York)
Le Livre des morts est un recueil de formules conçues pour aider le défunt dans son voyage vers l’au-delà (avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum of New York)

L’explorateur britannique livra fièrement des détails de ses prouesses dans ses pittoresques Mémoires ; et on attribue à la première édition de ces derniers en anglais en 1899, qui présente les parchemins, le mérite d’avoir popularisé la version connue aujourd’hui sous le nom de Livre des morts

Avant Budge, l’archéologue allemand Karl Richard Lepsius avait inventé l’expression, l’« empruntant » à la façon dont les Égyptiens décrivaient ces textes. L’influence populaire de ce nom suggère que les Arabes égyptiens connaissaient largement leur provenance et peut-être leur signification. 

Le nom original des formules (Livre pour sortir au jour) suggère que les incantations étaient conçues pour aider à achever le voyage de leur propriétaire vers l’au-delà avant le lever du soleil. 

La vie dans le monde d’après

Au cœur des vignettes et des incantations, se trouve le souhait que le défunt trouve l’immortalité et la paix. Le défunt a besoin de conseils, de préparation et de réconfort, et c’est la raison pour laquelle les inscriptions étaient généralement placées près du sarcophage et du corps du défunt. Le Livre des morts raconte des histoires inconnues de l’expérience empirique, humaine. Il imagine l’au-delà comme un endroit, un moment de récompense autant que de punition.

Le Temple de Karnak à Thèbes, aujourd’hui Louxor (Kristina Tamašauskaitė/Unsplash)
Le Temple de Karnak à Thèbes, aujourd’hui Louxor (Kristina Tamašauskaitė/Unsplash)

Deux personnalités apparaissent principalement dans ses illustrations : Osiris (incarnation de la résurrection) et Anubis (l’embaumeur). Dans la mythologie, Osiris dirigeait l’Égypte avec sa femme Isis avant que son frère Seth ne l’assassine par jalousie et ne le démembre. La fidèle Isis a cherché les restes de son mari, puis les a rassemblés et un enfant posthume est né : Horus. 

Horus a grandi puis a vengé son père en tuant son oncle Seth, puis a pris le contrôle de l’Égypte, tandis qu’Osiris est resté roi du monde souterrain. La parabole d’Osiris transmet l’idée d’un cycle de la mort, cristallisé dans la justice et une existence au-delà de la vie mortelle, ce que les anciens Égyptiens pensaient rejouer symboliquement dans la mort.

Avec Osiris, Anubis (dieu de l’embaument à tête de chacal et protecteur des nécropoles) guide les morts. Par exemple, Anubis est présent dans l’une des scènes les plus mémorables du Livre des morts : la pesée du cœur. Cette cérémonie qui fait partie du « jugement d’Osiris » est un rite essentiel de passage. Le cœur du défunt est placé sur une balance vis-à-vis d’une plume symbolique : plus le cœur est léger, plus il est proche de Maât, incarnation divine de la justice. Représentée par une femme, Maât symbolisait une forme d’ordre, de paix, d’harmonie ou de « cosmos » par opposition au « chaos ».

La cérémonie juge fondamentalement si le défunt a mené une vie juste. Le cœur est un muscle et c’est aussi un souvenir de la conduite morale. Les cœurs étaient traditionnellement laissés dans les dépouilles momifiées, contrairement aux viscères en décomposition. Les anciens Égyptiens étaient persuadés que le cœur contenait une essence et l’intelligence humaine, ce que nous pourrions rapprocher aujourd’hui de la conscience ou associer à notre cerveau. 

Le jugement des morts

Avant la pesée du cœur, le défunt pénètre dans la salle du jugement, appelée salle des deux Maât, et déclare son innocence concernant toute une liste de vices sous forme de « confession négative » à Osiris, à 42 assesseurs et à d’autres divinités.

Comme l’indiquent les reliques en possession du British Museum, Ani a déclaré ne pas avoir volé, tué, blasphémé ni avoir enfreint d’autres codes éthiques, en commençant à chaque fois par les mots : « Je n’ai pas… »

Le jugement établissait un cadre commun du bien et du mal, susceptible de varier selon le métier du défunt de son vivant. 

Reflétant les formes traditionnelles de jugement, le résultat prévu est celui d’une nature conciliante et presque indulgente, bien qu’un cœur injuste puisse être dévoré par la créature à demi-crocodile appelée Ammout et que l’âme du défunt (composée de neuf parties) puisse également être empêchée d’atteindre des niveaux plus élevés du paradis. Sur les parchemins d’Ani, Ammout rode à proximité.   

Le soleil se couche sur le Nil à Louxor (Argenberg/Creative Commons)
Le soleil se couche sur le Nil à Louxor (Argenberg/Creative Commons)

Les actes dans la vie comptent dans la mort, un événement qui restait source de confusion pour les anciens Égyptiens. Le Livre des morts est un récapitulatif des connaissances, un compas, une « antisèche » contenant les mots de passe nécessaires pour les aider dans cette transition et se souvenir des niveaux. Le défunt n’était pas censé tromper les dieux avec des ruses faciles ; des amulettes et des textes spécifiques disposés près du corps soufflaient au sens figuré où aller, quoi dire et comment s’adresser aux divinités en cas d’oubli. La famille et les amis du défunt fournissaient les sacrifices nécessaires pour nourrir l’âme du défunt dans son voyage. 

Ce qui transparaît dans le Livre des morts, c’est le mouvement, un flux qui porte le mort d’une étape – d’une épreuve – à l’autre jusqu’à atteindre une union avec le soleil, le dieu Râ, la chaleur qui donne vie.

S’éloigner du « regard colonial »

Au Metropolitan Museum de New York, on peut admirer les sandales funéraires dorées d’une épouse de pharaon du XVe siècle avant notre ère, rappel de l’espoir de se « relever », ce qui explique la préservation du corps et ce qui définit son caractère sacré. Le sarcophage était envisagé comme une salle d’attente jusqu’à ce qu’il soit possible de rencontrer le tribunal d’Osiris, jusqu’à ce que les morts puissent rejoindre le soleil, royaume céleste, et ne plus mourir. 

Les parchemins, comme les momies, les pyramides et autres emblèmes de la culture de l’Égypte ancienne, ont souvent joué dans l’exotisme occidental, sinon dans son fétichisme. La façon dont nous choisissons de représenter et d’interpréter les croyances anciennes influence la façon dont nous transmettons et valorisons le patrimoine.

Youssef Rakha, auteur de Barra and Zaman, qui critique le film La Momie de Shadi Abdel Salam (1969), considère l’héritage du Livre des morts comme « résiduel » dans la société égyptienne contemporaine. Lors d’une conversation en juillet 2021 avec cet écrivain, il évoquait la « rémanence de ces textes dans l’Ancien Testament, dans les proverbes égyptiens, dans des formes musicales traditionnelles telles que le mawwal ». Rakha propose, lors de l’examen de la culture égyptienne antique, de changer de paradigme, de « s’émanciper » des simulacres induits par le regard colonial.

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Des initiatives de numérisation, telles que le Totenbuch-Projekt de l’université de Bonn en Allemagne, permettent une compréhension plus approfondie, en comparant différentes sources et en essayant de réunir des fragments de papyrus dispersés à travers le monde. Les vestiges du Livre des morts ne sont pas des œuvres d’art anodines à collectionner et glorifier selon l’esthétique et les faux-semblants du pillage impérial du XIXe siècle ; ces objets étaient sacrés pour une culture et constituaient les dernières volontés et la dignité d’un défunt. 

Et alors qu’ils faisaient partie du sacré, pour les anciens, ils continuent d’être pertinents aujourd’hui.

A priori, les images de chacals, de hiboux et de crocodiles peuvent sembler assez éloignées du quotidien de la vie moderne. Pourtant, les mythes parlent d’intemporalité. Ils parlent dans un langage et de valeurs universels, et une fois déchiffrés, ils possèdent une vérité évidente et réconfortante qui protège de la peur et de la souffrance humaines. Le Livre des morts nous rappelle l’éphémère, le flux dévorant et inévitable de la nature, et que ce qui compte pour plus tard, c’est de bien vivre dans le présent.

Quand les anciens Égyptiens ont-ils cessé de croire à leurs histoires ? Le Livre des morts tomba progressivement en désuétude vers la fin de l’ère ptolémaïque, lorsque Rome vainquit la reine Cléopâtre et annexa l’Égypte en tant que province romaine en - 30. Foy Scalf, de l’Institut oriental de l’Université de Chicago, rappelle dans Book of the Dead: Becoming God in Ancient Egypt que d’autres textes sont devenus populaires, avant que diverses formes de syncrétisme religieux et « la christianisation généralisée des troisième et quatrième siècles » ne prennent le dessus sur les pratiques funéraires indigènes. 

Nous ne savons pas si le scribe Ani acheva son passage vers Râ et le réconfort du soleil, et nous ne pouvons que deviner ce que le peuple majoritairement pauvre et illettré de l’Égypte antique pouvait se permettre en matière de rites, amulettes et autres préparatifs. Pourtant, tous, riches et pauvres, prièrent vraisemblablement pour un seul désir, porteur d’un message de vie : celui de ne pas se perdre dans les ténèbres.  

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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