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Corbyn appelle à mettre fin à la politique du « bazar d’armes » du Royaume-Uni au Moyen-Orient

Au cours d’un entretien avec MEE, le leader travailliste réclame de nouveaux pouvoirs pour le Parlement dans le but de contrôler les ventes d’armes britanniques à l’Arabie saoudite et de superviser le déploiement des forces spéciales
Jeremy Corbyn, le leader du Parti travailliste britannique (AFP)

Le leader du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn a demandé une révision complète de l’alliance entre la Grande-Bretagne et l’Arabie saoudite, au lendemain des brutales interventions militaires saoudiennes à Bahreïn et au Yémen.

Lors d’un entretien exclusif avec Middle East Eye, Corbyn a appelé à un changement fondamental dans les relations entre la Grande-Bretagne et le Moyen-Orient, en vue d’instaurer une politique étrangère basée sur la démocratie plutôt que sur des interventions militaires. Le leader travailliste a déclaré que la relation entre la Grande-Bretagne et la monarchie saoudienne devait se focaliser sur les droits de l’homme plutôt que sur les ventes d’armes.

« Il nous faut examiner de nouveau l’ensemble des accords d’armement avec l’Arabie saoudite, et examiner de nouveau la politique étrangère de l’Arabie saoudite, qui s’appuie sur les armes fournies en grande partie – mais pas exclusivement – par la Grande-Bretagne, ces armes étant utilisées… à la fois à Bahreïn et au Yémen. Les Saoudiens interviennent de façon significative à Bahreïn depuis longtemps déjà, pour renforcer le régime local », a déclaré Corbyn.

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Le leader travailliste a affirmé que le gouvernement britannique était responsable de la mort de protestataires bahreïnis : « Alors qui est coupable ? Qui est responsable ? Ne sommes-nous pas responsables ? Nous avons vendu ces armes en sachant qu’elles seraient utilisées à Bahreïn. »

Il a ajouté que la Grande-Bretagne était « incroyablement sélective » dans le domaine des droits de l’homme. « Bien sûr nous avons signé la Déclaration universelle, la Convention européenne, et nous avons bel et bien une commission chargée du contrôle des exportations d’armes au Parlement, mais nous sommes en fait très sélectifs en la matière, et nous n’avons absolument rien fait au sujet de l’Arabie saoudite depuis bien longtemps. »

Corbyn a déclaré que s’il devenait Premier ministre, il rétablirait des conseillers aux droits de l’homme dans les ambassades britanniques de par le monde, introduirait des clauses relatives aux droits de l’homme dans les contrats rédigés par les entreprises britanniques, et mettrait un frein aux ventes d’armes. « Si nous voulons vivre dans un monde de paix, vivre dans un monde de justice en matière de droits de l’homme, alors notre politique étrangère doit le refléter. C’est mon intention. »

Appel à une loi sur les pouvoirs de guerre

Novateur, Corbyn a appelé à l’adoption d’un « War Powers Act » (loi sur les pouvoirs de guerre) sur le modèle américain afin de donner au Parlement britannique de nouveaux pouvoirs lui permettant d’empêcher des interventions militaires.

« La norme parlementaire requiert désormais qu’il y ait un mandat parlementaire pour le déploiement de troupes britanniques, a-t-il expliqué. Sauf – et ils ont tous utilisé ce sauf – quand des forces spéciales sont impliquées. La question bien sûr remonte à plusieurs décennies, en 1963 au Vietnam, quand les États-Unis ont réussi à dépêcher 50 000 conseillers, je crois, auprès du gouvernement du Sud-Vietnam avant même que le Congrès ne soit invité à se prononcer sur la question de savoir si oui ou non le pays devait s’impliquer dans la guerre au Vietnam. Je pense que ce parallèle est très sérieux. »   

Il a insisté sur le fait que les députés devaient pouvoir superviser et contrôler l’engagement des forces spéciales britanniques – et pas uniquement de l’armée régulière – dans des combats.

Questionné sur les rapports de MEE établissant la présence de forces spéciales britanniques en Libye, le chef du Parti travailliste a répondu : « Le Royaume-Uni est clairement impliqué. Que ce soit à travers des forces spéciales en Libye ou l’approvisionnement en armes à l’Arabie saoudite pour la guerre au Yémen. Et en effet par le même processus d’approvisionnement en équipement anti-personnel utilisé à Bahreïn par l’Arabie saoudite. Donc je pense que nous devons avoir un War Powers Act qui soit plus intransigeant en la matière. »

Corbyn a ajouté que l’intervention britannique en Libye avait eu pour effet la destruction de l’État libyen et la création à sa place d’un bazar aux armements : « Un certain nombre d’entre nous ont fait valoir pendant les débats de cette époque à la Chambre des communes que si vous détruisez tout simplement la structure de l’État libyen – ce qui s’est produit dans les faits –, vous hériterez d’un ensemble de factions belligérantes.

« Et la propagation des armes qui ont été données aux opposants de Kadhafi s’est étendue au Mali et à de nombreux autres endroits. Donc nous avons en réalité créé un bazar aux armements, dans certains cas ce sont des armes d’échelle relativement petite, mais qui n’en demeurent pas moins des armes très puissantes. »

Soutien au poursuites judiciaires à l’encontre de Tony Blair

Jeremy Corbyn a affirmé soutenir les familles des soldats tombés au combat en Irak dans leur effort visant à citer l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair à comparaître devant la justice. Il a rappelé les mots qu’il avait employés lorsqu’il s’était excusé de la part du Parti travailliste pour l’invasion de l’Irak : « Les mots que j’ai prononcés pendant ses excuses étaient les suivants : ‘’ceux qui sont responsables de la guerre en Irak doivent se préparer à faire face à leurs responsabilités’’.

« Les gens doivent faire face à leurs responsabilités pour ce qu’ils ont fait. J’ai rencontré les familles de soldats qui ont péri et quand vous rencontrez la famille d’une personne décédée, c’est très dur. Je rencontre les familles de jeunes gens qui sont morts poignardés. C’est très dur pour les familles de comprendre que la vie de leur fils s’est arrêtée à cause d’actes de violence aléatoires.

« Si vous rejoignez l’armée, vous le faites en sachant que cela implique des risques. Bien entendu. Et puis vous mourez dans une guerre comme l’Irak. Et ensuite, il apparaît que la guerre était fondée sur la désinformation ou la tromperie, que ce n’était pas une guerre nécessaire, que ce n’était pas une guerre défensive, et que votre fils ou votre fille a perdu la vie dans ce conflit. C’est très dur pour ces familles d’accepter cela, c’est pourquoi j’ai passé beaucoup de temps au cours des dernières années à parler aux familles de ceux qui sont morts. Ce sont des gens très, très impressionnants. Je pense que la façon dont Reg Keys et Peter Bradley [parents de soldats tués en Irak] se sont conduits est très, très impressionnante. »

Les familles ont lancé un appel aux dons en vue de créer une équipe d’avocats qui montera un dossier de citation directe contre Tony Blair accusant l’ancien Premier ministre de « négligence dans l’exercice de fonctions officielles » sur la base du mauvais usage de ses pouvoirs constitutionnels, qui a fait de très nombreuses victimes.

Corbyn a déclaré en outre à MEE qu’il voyait le départ de Hilary Benn du poste de Secrétaire d’État des Affaires étrangères du cabinet fantôme comme une chance de développer la politique travailliste sur la question israélo-palestinienne.

Il a affirmé que grâce aux récents changements intervenus au sein de l’équipe des affaires étrangères du Parti travailliste, « vous verrez plus sur ce point venant de moi ». Et d’ajouter : « Je développerai considérablement la politique étrangère et mes opinions et ma détermination à promouvoir un accord de paix au Moyen Orient, qui évidemment doit impliquer une reconnaissance de la Palestine ; c’est quelque chose de très important pour moi ».

Une attitude confiante

Jeremy Corbyn – qui jeudi est ressorti victorieux dans le cadre d’un recours en justice initié par des députés travaillistes demandant à ce qu’il obtienne le parrainage d’élus avant de pouvoir briguer de nouveau la direction du parti – est apparu plus détendu et confiant qu’à n’importe quel autre moment de sa carrière depuis qu’il a été élu à la tête du parti il y a dix mois, présentant une vision puissante de la politique nationale et internationale.

Son message à l’attention de la majorité des députés travaillistes qui ont appelé à maintes reprises à sa démission était clair : il s’est dit affligé par la façon dont le coup visant à renverser son leadership suite au vote sur le Brexit était conduit : « J’étais consterné par la façon dont il a été mené et par la façon dont il a été conçu dans l’optique de causer chaque jour un maximum de dommages au parti. J’ai été invité à démissionner. J’ai catégoriquement refusé de le faire. J’ai dit que je suis responsable du peuple qui m’a élu. Que je suis responsable du mandat qui m’a été confié. Que je mènerai à bien cette responsabilité – et c’est que j’ai fait.

« Je pense que certains d’entre eux [les députés travaillistes] confondent la position du parti parlementaire et le parti dans son ensemble. Le parti parlementaire est très important mais ne représente pas la totalité du Parti travailliste, et j’ai tendu la main comme aucun autre dirigeant ne l’a jamais fait en nommant en septembre dernier dans mon cabinet fantôme des gens qui se sont montrés très critiques à mon égard, dont certains sont restés critiques au sein du cabinet fantôme. »

Corbyn a affirmé qu’il s’attendait à ce que davantage d’anciens ministres du cabinet fantôme qui s’étaient ralliés à la révolte parlementaire contre lui reviennent à leur ancien poste, comme l’a fait Sarah Champion cette semaine.

Le leader travailliste a parlé de ses héros politiques issus de la tradition dissidente radicale britannique. Il a décrit le pamphlétaire et activiste politique britannique Thomas Paine comme l’une de ses principales influences, tout comme le philosophe de la pensée anarchiste William Godwin, ajoutant que « les changements politiques à long terme [provenaient] souvent d’individus très profonds et très courageux ». Corbyn a également indiqué que le classique du grand historien du XXe siècle A. J. P. Taylor sur la tradition radicale dans la politique étrangère britannique, The Trouble Makers, figurait dans sa bibliothèque.

Lorsqu’on lui a demandé s’il considérait qu’il s’inscrivait dans la tradition de Paine et de Cobbett, Corbyn a répondu : « On n’a pas envie de se placer trop vite dans l’histoire. Mais je m’inspire bel et bien de ces personnes qui se sont battues pour leurs valeurs dans des circonstances très difficiles. »

L’idée d’un second référendum n’est pas écartée

Corbyn n’a pas rejeté l’organisation d’un second référendum sur le vote du mois dernier sur le Brexit.

Il a toutefois écarté la tenue d’un référendum dans « un avenir immédiat », précisant qu’« il [fallait] respecter l’issue » du référendum.

Néanmoins, « à un moment donné dans l’avenir, quelqu’un pourrait dire que nous devrions organiser un référendum sur la façon d’envisager l’avenir avec l’Europe », a-t-il ajouté.

Le leader travailliste s’est présenté comme un dirigeant politique d’un nouveau type, défiant les politiques élitistes et modernisatrices de Tony Blair et David Cameron.

« Le projet du New Labour était fortement axé sur une économie de troisième voie, une politique étrangère agressive et dans l’absolu une privatisation d’un grand nombre de services publics. J’essaie d’emmener les choses dans une direction très différente, vers une politique étrangère fondée sur les droits de l’homme et la démocratie plutôt que vers une politique et une économie interventionnistes en Grande-Bretagne, dans le but de promouvoir des emplois de qualité ainsi qu’un niveau décent de service public. »

Alors que le Parti travailliste compte aujourd’hui plus d’un demi-million d’adhésions depuis son élection et que ce chiffre continue de croître, il a affirmé avoir amené un « nouveau public » dans la politique britannique.

« Je le pense parce que l’on constate un engagement politique d’un nouveau public qui était profondément déçu. Il est très difficile de tout mesurer sur la base de contacts personnels, d’e-mails, de cartes postales ou de quoi que ce soit d’autre. Mais je rencontre un nombre considérable de personnes, un nombre considérable de personnes qui m’ont contacté et qui m’ont dit : "J’ai développé un intérêt pour la politique parce que ce que je vois en ce moment avec le Parti travailliste, c’est que vous essayez de tendre la main comme personne ne l’a jamais fait auparavant." »
 

Traduit de l’anglais (original).

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