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Comment le sauveteur légendaire de Lesbos a été accusé d’être un passeur

Salam Aldeen n’avait jamais imaginé qu’il sauverait des vies en Méditerranée, ni qu’il serait accusé d’être un passeur
Salam Aldeen porte un bébé qu’il vient de sauver d’un bateau au large de Lesbos (avec l’aimable autorisation de Salam Aldeen)

THESSALONIQUE, Grèce – Salam Aldeen n’a jamais reçu de formation de sauveteur et il n’avait jamais nagé 500 mètres dans une mer houleuse, mais lorsqu’il a vu un dinghy bondé en train de couler au large de l’île grecque de Lesbos l’hiver dernier, il n’a pas réfléchi à deux fois avant de plonger dans l’eau glacée.

« J’ai d’abord nagé comme ça », raconte le Danois âgé de 34 ans, mimant le crawl avec ses bras. « Puis comme ça », montrant les mouvements de la brasse.

« Ensuite sur le dos – vous savez, pour me relaxer », rit-il.

Lorsqu’il a atteint le bateau, il a vu une scène apocalyptique se dérouler devant ses yeux : une soixantaine de personnes accroupies les unes sur les autres, criant à l’aide tandis que l’eau passait par-dessus les bords de l’embarcation.

Salam Aldeen vêtu d’un débardeur gris (au centre) aide à tirer un canot bondé de réfugiés sur la rive (Photo fournie par Salam Aldeen)

Impatients de rejoindre la Grèce sitôt que possible, les passagers avaient collé à la hâte le moteur à l’arrière du dinghy – sans laisser la colle prendre. Bien que l’embarcation bricolée ait tenu une bonne partie des 10 kilomètres de la mer Égée, le moteur a commencé à lâcher à seulement quelques centaines de mètres de la côte de Lesbos. L’eau envahissait le fond du bateau tandis que criaient des dizaines de personnes, persuadées d’être sur le point de mourir.

« J’ai vu une femme et son enfant – un bébé – et elle le tenait au-dessus de l’eau », indique-t-il, relatant les événements de cette nuit-là. « Elle criait : "Aidez-nous ! Aidez-nous !" »

Tandis que le bateau coulait, Salam a fait acte de foi et a demandé aux réfugiés de « se mettre à l’eau, de s’accrocher au bateau et de nager jusqu’à la rive ».

« Je leur ai demandé de battre des jambes et leur ai dit que je les aiderais à pousser et à diriger le bateau depuis l’arrière, poursuit-il. Et nous avons réussi ! Nous avons ramené le bateau sur la rive. »

« J’ai vu une femme et son enfant – un bébé – et elle le tenait au-dessus de l’eau », indique-t-il, relatant les événements de cette nuit-là. « Elle criait : "Aidez-nous ! Aidez-nous !" »

Salam (tenant le bébé) a sauvé tellement de réfugiés en mer qu’il en a perdu le compte (avec l’aimable autorisation de Salam Aldeen)

Du Danemark à Team Humanity

Au Danemark, Salam voulait devenir homme d’affaires. Avec des amis, il avait de grands projets concernant le lancement de sociétés, l’ouverture de restaurants – avec l’espoir de gagner de l’argent. Cependant, les choses ont changé lorsqu’il a aidé un ami à trier des vêtements destinés aux réfugiés arrivant en Grèce. Il a commencé à se renseigner sur la crise actuelle et lors de son 33e anniversaire, il a décidé de se rendre à Lesbos pour voir s’il pouvait aider.

À part un aller-retour au pays pour recruter d’autres bénévoles – ce qui s’est finalement transformé en petite ONG financée par les dons, laquelle s’appelle Team Humanity – il n’a jamais regardé en arrière.

« J’ai tout oublié », a-t-il déclaré, se remémorant le moment où sa vie a changé à jamais. « J’ai oublié la vie ordinaire, l’argent. »

Il n’aura pas fallu longtemps avant que Salam devienne une légende de l’île. En tant que locuteur arabe presque natif – son père est originaire d’Irak et a ensuite été naturalisé Danois – il a facilement mis les réfugiés à l’aise et ces derniers lui ont fait confiance au point de lui confier leur vie. Il a travaillé sans relâche à la fois dans les camps et en mer. Finalement, il s’est procuré son propre bateau pour faciliter les efforts de sauvetage des autres sauveteurs bénévoles et les siens.

Il est devenu célèbre sur les réseaux sociaux. Certains réfugiés le connaissaient déjà lorsqu’il est venu à leur secours après avoir vu des vidéos de lui sur Facebook avant leur périple.

Il lui est impossible de compter le nombre de personnes qu’il a débarquées des bateaux ou des bateaux qu’il a tirés sur la rive. Leur nombre est littéralement innombrable.

http://vimeo.com/175991476

Du héros au méchant

Une nuit en janvier, tout a changé. Au petit matin, le téléphone de Salam a vibré suite à un message WhatsApp publié dans le groupe « South Lesbos Volunteers », où la plupart des volontaires communiquent. Deux bateaux étaient en train de couler. « À l’aide ! »

Comme cela était devenu une habitude, il a sauté de son lit, appelé les autres sauveteurs, s’est coordonné avec la Garde côtière hellénique et s’est précipité vers son petit bateau, se fiant seulement à une épingle de localisation sur WhatsApp pour localiser le bateau en détresse.

« Nous étions en panique, nous ne trouvions pas le bateau », se souvient-il. L’épingle de localisation de WhatsApp – qui pouvait changer toutes les minutes – était leur seul indice pour déterminer l’emplacement approximatif. Au bout d’un certain moment, un petit navire de la garde côtière a commencé à les suivre et leur a demandé de couper leur moteur et d’arrêter de chercher le bateau.

« Je leur ai indiqué qu’il y avait deux embarcations qui coulaient, poursuit-il. Ils m’ont dit de me taire. »

Les gardes-côtes ont ensuite ordonné à Salam de les suivre jusqu’au rivage et ont emmené le groupe jusqu’à l’autorité portuaire. Une fois arrivés au port, Salam et les quatre autres secouristes à bord ont été arrêtés pour trafic d’êtres humains.

En tant que conducteur et propriétaire du bateau, Salam encourait une peine plus lourde que les autres secouristes. Alors que les quatre autres secouristes ont vu leur caution être fixée à 5 000 euros, la sienne a été fixée à 10 000 euros.

Il a surtout été interdit de quitter le pays. Alors que les autres secouristes peuvent voyager et rentrer chez eux, Salam a l’interdiction de quitter la Grèce et doit se présenter toutes les semaines dans un poste de police.

Debout dans l’eau, Salam Aldeen fait signe de la main à un bateau pour le ramener en lieu sûr (avec l’aimable autorisation de Salam Aldeen)

Que s’est-il passé ?

Même si Salam et les autres secouristes volontaires avaient l’habitude de se retrouver dans des situations de crise où ils étaient contraints de réfléchir rapidement, ils prenaient soin de suivre les règles des autorités grecques.

La nuit des faits, ils avaient alerté les autorités grecques – notamment en informant la Garde côtière hellénique et en se coordonnant avec elle au sujet de l’embarcation en perdition – afin de coordonner l’opération de secours. Mais ils n’ont pas pu donner sa localisation exacte. Les opérations de secours volontaires sont légales tant qu’elles se déroulent dans les eaux grecques.

Alors que le bateau de Salam se précipitait vers le navire en détresse, la Garde côtière hellénique avait commencé à poursuivre son bateau et, bien qu’ils n’aient jamais eu l’intention de s’égarer vers les eaux turques, ils ont été arrêtés pour avoir supposément eu l’intention de faire passer illégalement des personnes à travers la frontière : une pratique connue sous le nom de trafic d’êtres humains.

« Si les autorités pensaient qu’ils essayaient réellement de faire passer clandestinement des gens, tous les volontaires de la partie sud de cette île qui faisaient partie du groupe WhatsApp – où l’appel pour l’embarcation qui avait besoin de secours d’urgence avait été lancé – seraient aujourd’hui sur le banc des accusés », a indiqué à Middle East Eye Electra-Leda Koutra, avocate de la défense de Salam Aldeen, selon qui le raisonnement de la Garde côtière hellénique pourrait impliquer tout individu qui coordonne des opérations de sauvetage et des activités humanitaires, en plus des sauveteurs.

« Ma vie a changé à jamais »

Face à l’impossibilité de quitter la Grèce et au peu de travail restant sur l’île – depuis que le passage de l’accord UE-Turquie en avril réduit sévèrement les arrivées de nouveaux bateaux – Salam est parti à la périphérie de Thessalonique, dans le nord de la Grèce.

Actuellement, il travaille principalement dans les camps situés le long de la frontière macédonienne, où plus de 50 000 réfugiés sont bloqués depuis plusieurs mois et attendent des nouvelles de leur regroupement familial, de leur demande d’asile ou de tout moyen de poursuivre leur voyage.

Salam aide les habitants du camp à tout organiser et traduire, des rendez-vous pour les demandes d’asile aux visites à l’hôpital, et coordonne constamment les livraisons d’aide, avec des dons qui affluent encore vers Team Humanity. Mais la combinaison de l’épouvantable statu quo de la crise et de ses propres expériences personnelles laisse clairement des traces.

Salam (en t-shirt rouge) aide à porter un petit bateau pneumatique rempli de réfugiés jusqu’en lieu sûr, sur le rivage (avec l’aimable autorisation de Salam Aldeen)

« Je suis vraiment fatigué », confie-t-il, assis sur un petit canapé dans son salon sombre et à peine décoré. Après avoir été témoin de plusieurs cas de violence de gangs dans un des camps de réfugiés les plus négligés, il a loué un appartement avec 11 chambres, où il a accueilli certaines des familles les plus vulnérables – principalement des personnes âgées ou des femmes enceintes. Son propriétaire a conclu un marché avec lui et s’est montré compréhensif et hospitalier envers les réfugiés.

Alors que Salam a fait en sorte que la chambre de chaque famille de réfugiés soit décorée comme une petite maison, il vit lui-même de manière spartiate : il dort dans un lit simple, entouré de boîtes de nourriture et de fournitures à livrer aux camps le lendemain. Sans famille et avec seulement quelques amis encore en Grèce, il est impatient de rentrer chez lui, même seulement pour une visite.

« J’ai besoin d’une pause. Je veux rentrer chez moi et voir ma famille – du moins pour quelques instants », poursuit-il en prenant un moment pour demander à l’un des réfugiés s’il y avait assez de nourriture dans la maison pour nourrir tout le monde.

« Mais je ne peux pas arrêter maintenant, soupire-t-il en souriant. Ma vie a changé à jamais. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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