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Rencontre Obama-EAU et questionnement du soutien américain au Yémen

Certains analystes estiment que les frappes aériennes menées par les Saoudiens au Yémen font des victimes civiles et déstabilisent le pays
Le Président américain Barack Obama lors de la rencontre avec le prince héritier d’Abou Dabi, le Cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane, à la Maison Blanche à Washington, DC, le 20 avril 2015 (AFP)

NEW YORK –  Le Président américain Barack Obama a reçu lundi dernier à la Maison Blanche le prince héritier d’Abou Dabi, le Cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane, à un moment où le soutien américain aux frappes aériennes dirigées par les Saoudiens contre les rebelles yéménites est de plus en plus remis en question.

Les pourparlers entre Obama et le membre de la famille royale des Emirats arabes unis (EAU) ont eu lieu dans un contexte de violence continue au Yémen. Lundi dernier, une frappe aérienne contre une base de missiles dans la capitale, Sanaa, a provoqué des panaches de fumée de centaines de mètres dans le ciel, alors que les équipes de recherche passaient les décombres au peigne fin pour retrouver les victimes et les survivants.

L’Arabie saoudite est à la tête d’une coalition comprenant les EAU, le Pakistan, l’Egypte, la Jordanie, le Soudan et d’autres Etats, qui depuis la fin mars mène des frappes aériennes contre les milices houthies chiites au Yémen afin d’arrêter leur avancée face aux forces loyalistes du Président Abd Rabo Mansour Hadi, réfugié à Riyad.

D’après la Maison Blanche, Obama et le Cheikh Mohammed ont abordé la question de l’accord sur le nucléaire iranien et les « conflits au Yémen, en Libye, en Irak et en Syrie » en vue du sommet le mois prochain entre les Etats-Unis et les membres du Conseil de coopération du Golfe Arabique (CCG) – l’Arabie saoudite, les EAU et quatre autres pétromonarchies du Golfe.

Les Etats du CCG sont préoccupés par le fait que le récent accord-cadre conclu entre les Etats-Unis, l’Iran et d’autres pays n’empêchera pas Téhéran de construire des armes d’anéantissement. Ils craignent également le soutien iranien aux militants et aux activistes chiites au Liban, en Irak, à Bahreïn et les Houthis au Yémen.

Selon les analystes, les frappes aériennes dirigées par les Saoudiens au Yémen sont en train de tuer des civils et de déstabiliser encore plus un pays déjà très appauvri. Ces opérations ne font que renforcer al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), alors qu’elles n’ont pas contribué à arrêter les combattants houthis aguerris.

« Cette opération n’a pas d’objectif clair », explique à MEE Charles Schmitz, chercheur à l’université de Towson.  

« Elle est censée montrer à l’Iran que l’Arabie saoudite agira de sa propre initiative contre les intérêts iraniens. En théorie, l’opération vise à réintégrer le gouvernement Hadi, mais dans les faits cela ne constitue pas une option politique viable et il n’y aura pas de victoire militaire saoudienne au Yémen ».  

Les Etats-Unis soutiennent la coalition dirigée par les Saoudiens avec des renseignements et des enregistrements vidéo provenant de drones américains dans le but de cibler les ennemis et assurer le ravitaillement des jets de la coalition pour les bombardements aériens. L’idée est d’arrêter l’agression des Houthis et générer un accord de paix négocié entre les deux parties.

Lundi dernier, l’USS Theodore Roosevelt, un porte-avions de la marine américaine, s’est mis en route pour rejoindre environ neuf navires de guerre américains, y compris des croiseurs et des contre-torpilleurs, au large des côtes du Yémen, alors qu’un convoi de navires iraniens est en voie pour le Yémen, transportant supposément des armes pour les Houthis. 

 L’Iran nie le fait d’armer les Houthis. Lundi, le ministre des Affaires étrangères iranien Javad Zarif a écrit une tribune dans laquelle il a mis en garde contre les politiques actuelles dans la région qui, à son avis, ne contribueraient pas à lutter contre les militants islamistes, mais au contraire « favorisent leur croissance au Yémen ».

« Notre plan demande un cessez-le-feu immédiat, une assistance humanitaire et la facilitation d’un dialogue entre les Yéménites, qui doit conduire à la formation d’un gouvernement d’unité nationale inclusif et reposant sur le consensus le plus large possible », a écrit Zarif dans le New York Times.

D’après les fonctionnaires américains, les frappes aériennes défendent les frontières saoudiennes, protègent le gouvernement légitime de Hadi, contrent l’agression des Houthis et « incitent toutes les parties … à se réunir autour de la table des négociations », a affirmé le mois dernier le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest.

Les déclarations de l’armée américaine manquent de clarté. Lors d’une réunion de la commission du Sénat, le 26 mars, le général Lloyd Austin, chef du Commandement central américain qui est en charge des pays du Golfe, a affirmé : «  Je ne suis actuellement pas au courant des objectifs spécifiques de la campagne menée par les Saoudiens ».

Quelques jours après, un officier non identifié de la défense américaine a déclaré au New York Times « qu’au-delà du fait que les Saoudiens sont des alliés depuis longtemps, la réponse que vous allez recevoir de la plupart des gens, s’ils sont honnêtes, c’est que nous n’avons pas été capables de les arrêter ».   

Les observateurs se demandent pourquoi les Etats-Unis soutiennent une campagne militaire saoudienne dépourvue d’objectif clair et donnent une opportunité à AQPA d’élargir son influence. Depuis le début de la guerre, les militants d’AQPA ont gagné des territoires yéménites, et début avril ils ont libéré des centaines de détenus d’une prison à al-Mukalla.

Michael Brenner, chercheur à l’université de Pittsburgh, a affirmé que le soutien américain à la campagne militaire du royaume était voué à l’échec.

« Un soutien militaire et diplomatique sans réserve à la campagne de bombardements des Saoudiens va à l’encontre de nos objectifs affichés dans la région. La lutte contre le terrorisme basé au Moyen-Orient a été la priorité fondamentale de tous les gouvernements américains depuis le 11 septembre », a-t-il expliqué à MEE.

« C’est indéniable qu’au Yémen nous fournissons de l’aide et du confort à une ramification d’al-Qaïda. Le Yémen a récemment été cité comme la base principale d’al-Qaïda et menace les intérêts américains. Cette contradiction logique de la Maison Blanche ne nous a pas encore été expliquée. »

Barak Barfi, chercheur au think tank New America Foundation, a expliqué à MEE que le soutien américain aux Saoudiens est une espèce de compensation suite à une série de différends avec son allié riche en pétrole à propos de l’Iran et d’autres initiatives politiques dans la région.

« Les Etats-Unis ont été pris au dépourvu par la campagne saoudienne et maintenant ils essayent de se rattraper. Ils ont mis en colère les Saoudiens au sujet d’une série de questions, du Liban à la Syrie, et ils ne pouvaient pas rester en retrait dans ce cas. Ils doivent rétablir de bonnes relations ; c’est une manière de le faire », a expliqué Barak Barfi.

Selon lui, les Houthis se révéleront un adversaire tenace face aux efforts militaires des Saoudiens, mais les Etats-Unis soutiennent finalement une campagne qui « peut potentiellement stabiliser le pays » et donner lieu à un gouvernement à Sanaa capable de rétablir l’ordre dans le pays le plus pauvre de la péninsule arabique.

« Les Etats-Unis ne peuvent pas rester indifférents alors que l’Iran s’empare d’une autre pièce de l’échiquier du Moyen-Orient. Ils se doivent de soutenir leurs alliés dans la région, ou leurs alliances ne signifieront rien », a-t-il ajouté.

Philippe Bolopion, du groupe de pression Human Rights Watch, estime que les Etats-Unis risquent « une stigmatisation de leur réputation » en soutenant les frappes aériennes de la coalition qui touchent de manière disproportionnée les civils yéménites. Le gouvernement américain devrait convaincre Riyad et ses alliés d’éviter les morts de civils et de cibler uniquement les objectifs militaires, sans utiliser de bombes à fragmentation ni d’autres armes qui frappent sans discernement.    

« Les Etats-Unis devraient comprendre que limiter les atteintes aux civils yéménites n’est pas seulement une obligation juridique de la coalition d’Etats, mais aussi un élément essentiel de leur objectif affiché d’éradiquer les groupes terroristes comme AQPA, dont la popularité est renforcée par ce qui est perçu comme un abus de l’Occident et de ses alliés », a expliqué Philippe Bolopion à MEE.

« Il est clair que les frappes aériennes des Saoudiens ont mal commencé en ce qui concerne les civils. Ce n’est pas trop tard pour changer cela et les Etats-Unis sont bien placés pour influencer positivement ceux qui sont aux commandes des opérations militaires ».

Selon des sources des Nations unies, 150 000 personnes ont été déplacées lors des dernières batailles et quelques 12 millions manquent de nourriture. On estime que 731 personnes ont été tuées et 2 754 blessées en trois semaines entre mars et avril, des chiffres qui, d’après les Nations unies, sont probablement sous-estimés.  

Traduction de l'anglais (original) par Pietro Romano

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