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Pour répondre à la terreur, la Tunisie a besoin de plus de démocratie

Une citoyenneté conçue comme projet inclusif et facteur d'espoir au travers d'une lutte commune, voilà un puissant vaccin contre l'idéologie de la violence

Un spectacle aussi macabre que le massacre sur la plage de Sousse, le mois dernier, dans lequel 38 personnes, principalement des touristes, ont été tuées par un homme armé, suscite tant d'horreur et de rage qu'il risque d'inciter la classe politique à choisir une solution rapide et radicale. La première réponse du gouvernement tunisien fut instinctive et autoritaire.

Il a annoncé la fermeture de 80 mosquées ; mais où se réuniront les congrégations ? Il a proposé d'appliquer des règles plus strictes aux partis politiques et aux organisations de la société civile ; mais comment va s'exprimer la dissidence ? Il met en œuvre les interdictions systématiques et générales, empêchant les voyageurs âgés de moins de 35 ans de se rendre à certaines destinations ; mais est-il sage de boucher aux jeunes leurs horizons ? Le président a déclaré l'état d'urgence, en réprouvant grèves et désobéissance civile ; mais les forces de sécurité peuvent-elles à elles seules bâillonner la pauvreté ?

La question à laquelle la Tunisie doit répondre désormais n'est certainement pas de savoir si liberté et sécurité peuvent coexister ou dans quelle mesure sacrifier la première pour rétablir la seconde. Cette formule, établissant une sommaire relation inversement proportionnelle entre nécessité de préserver la vie et choisir simplement de vivre libre, est fausse. C'est un récit conçu pour remodeler la citoyenneté à l'ère moderne sans jamais avoir à remettre cette proposition entre les mains des électeurs. C'est partout un affront à la démocratie.

Le véritable antidote au terrorisme est d'appliquer plus étroitement les principes démocratiques au gouvernement lui-même. L'une des conditions préalables pour répondre au terrorisme par des tactiques efficaces c'est de disposer d'un secteur professionnel de la sécurité qui soit responsable devant la République et les citoyens plutôt qu'un parti politique, le capitalisme de copinage ou l'Etat.

Alors que, depuis un soulèvement en 2011, la transition politique en Tunisie se caractérise par un ensemble de principes démocratiques, par exemple, un début de responsabilisation du gouvernement, le pluralisme, le débat ouvert, et plusieurs élections libres et équitable, la plus puissante institution de l'Etat de la Tunisie est restée jusqu'ici inchangée. Cette institution c'est le ministère de l'Intérieur, responsable non seulement des forces de sécurité, mais aussi de la nomination des gouverneurs ainsi que des maires, et d'intervenir dans les affaires des autres institutions de l'Etat, par le biais de nombreux mécanismes. Ce ministère n'a jamais été conçu pour protéger les citoyens contre la criminalité ou le terrorisme mais pour protéger le régime précédent par la répression. Cette formule fondamentale n'a jamais changé.

Plusieurs signes indiquent que cette institution bénéficie d'une totale impunité et n'est pas placée sous le contrôle d'une direction démocratiquement élue. Le jour où le gouvernement a annoncé, suite à l'attaque de Sousse, qu'il allait déployer davantage de forces de sécurité pour protéger certaines destinations touristiques, le ministre de l'Intérieur a effectué une visite surprise à un avant-poste d'Hammamet. Dans une vidéo de sa visite, largement partagée sur les médias sociaux, ses fameuses forces sont absentes. Par deux fois, il demande où elles sont passées ; il suggère ensuite que les agents sont en pause-café quelque part, et pour finir promet de revenir le lendemain.

Les réponses précédentes de l'Etat au terrorisme manifestent une autre indication évidente. Depuis le soulèvement 2011, cinq attaques terroristes ont tué des civils : un homme politique de gauche, Chokri Belaid, a été assassiné en 2013 ; l'homme politique panarabe Mohammed Brahmi a connu le même sort  en 2013 ; plus d'une douzaine de personnes ont été abattues en mars 2015 au Musée du Bardo par Jabeur Khachnaoui, Yassine El-Abidi et sans doute un troisième tireur, et l'attaque perpétrée par Seifeddine Rezgui à Sousse n'est que la dernière en date. Or, chaque fois, les autorités officielles n'ont pas vraiment rendu de comptes ni proposé une explication des événements, de leurs causes ni apporté de réponse aux nombreuses questions troublantes pointant de graves défaillances du système de sécurité et du renseignement.

Par exemple, Lotfi Ben Jeddou, alors ministre de l'Intérieur nommé par les autorités civiles, a annoncé, peu de temps après l'assassinat de Brahmi, que la CIA avait prévenu à l'avance que la victime faisait partie des cibles éventuelles. Une enquête a été promise, mais on attend toujours. Dans le cas de Khachnaoui, le père du tireur affirme  que la police n'a jamais pris au sérieux les déclarations qu'il avait faites sur la situation de son fils en Libye ; encore une fois, aucune réponse. Un jour après l'assassinat par Rezgui de 38 personnes, le Premier ministre a prétendu que le tireur « n'était pas connu des services de sécurité ». Or, à peine trois jours plus tard, un responsable du ministère de l'Intérieur a reconnu qu'on savait que Rezgui avait été formé en Libye en même temps que les tireurs du Bardo : ceci suggère que quelqu'un au sein de l'appareil de sécurité tunisien l'avait effectivement placé sous surveillance.

Sans une évaluation adéquate des échecs passés et des faiblesses structurelles, il est impossible de concevoir une politique de sécurité susceptible de protéger adéquatement la Tunisie de la prochaine attaque. Ce ne sera pas facile pour la Tunisie, car cette culture du secret est un vestige de l'ancien modèle de l'Etat-policier qui se vantait de la « stabilité » qu'il imposait par la surveillance, le mécénat et la violence.

Voici quelles sont les premières et les plus importantes étapes pour mettre fin à la terreur : des réformes qui mettent le secteur de la sécurité plus complètement sous le contrôle du peuple ; la pratique de la torture, instrument particulièrement efficace pour attiser les flammes de l'extrémisme, doit être bannie des postes de police et des prisons. La culture de la corruption, qui rend les forces de sécurité vulnérables aux infiltrés et à des failles du renseignement doit également disparaître.

En outre, le gouvernement doit revenir sur ses déclarations suggérant la réintégration des responsables de la sécurité issus de l'ancien régime. Des hommes comme Ali Seriati, chef de la sécurité de l'ex-président, étaient alors en fonction et ce sont eux qui ont probablement donné, pendant le soulèvement, ces ordres qui ont autorisé aux forces de sécurité de tirer, tuant plus de 300 manifestants. Les tribunaux militaires à huis clos leur ont octroyé le pardon de leurs actes l'an dernier, mais de nombreux Tunisiens qui ont versé leur sang pour la liberté et la dignité ne l'oublieront jamais.

Une citoyenneté définie comme projet inclusif qui apporte du sens et offre de l'espoir par le truchement de valeurs communes et partagées, voilà un vaccin puissant contre l'idéologie violente. Ce modèle démocratique est encore possible en Tunisie, et c'est le seul dont on puisse attendre une sécurité digne de ce nom. Les tentatives de revenir à un vieux modèle pour imposer une sécurité fondée sur la crainte peut recréer une illusion de stabilité. Mais comme nous l'a enseigné l'expérience de  l'Egypte, la répression, si forte soit-elle, ne pourra jamais acheter une paix véritable.

- Fadil Aliriza, chercheur émérite invité au Forum des Transitions de l'Institut Legatum, a travaillé comme journaliste et analyste spécialiste de la Tunisie et de la Libye après les soulèvements de 2011. Suivez-le sur Twitterfadilaliriza

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : la police passe au peigne fin la plage de Sousse, à proximité d'un site commémoratif en hommage aux victimes des attentats qui frappèrent Souse le mois dernier

Traduction de l'original par Dominique Macabies

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