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Le monde doit sauver le Yémen de cette famine causée par l’homme

Comme il est honteux que la famine sévisse ici, dans une région entourée par quelques-uns des pays les plus riches du monde

« Je voudrais qu’il n’y ait pas la guerre au Yémen. Je voudrais que l’électricité et l’eau reviennent pour que nous puissions vivre heureux. Et manger à notre faim. »

Ainsi parle un enfant yéménite de 10 ans. Il nous confie ses rêves de retour de la paix au Yémen, ravagé par la guerre à cause d’un conflit qui réduit des millions de personnes à la famine et où 320 000 enfants souffrent déjà de grave malnutrition. Malgré l’absence de statistiques précises, des rapports démontrent que de nombreux enfants nés pendant le conflit sont morts suite à l’effondrement du système de santé et à une grave malnutrition.

Après dix-huit mois de guerre, ce pays, déjà appauvri, a sombré dans un état pire que la misère. Peter Maurer, président de la Croix-Rouge, a parfaitement résumé l’an dernier les conséquences dramatiques de cette guerre : « Après cinq mois de guerre, le Yémen ressemble à la Syrie après les cinq ans de conflit ». Les dégâts prennent chaque jour une ampleur croissante. L’une des causes de décès au Yémen n’est pas mesurable car, si vous réchappez aux balles et obus, vous êtes rattrapé par le manque de nourriture, d’eau et de soins médicaux. Je ne compte plus le nombre de mes parents, amis et parents d’amis qui sont morts parce que la situation humanitaire est catastrophique. Devant l’échec des pourparlers de paix et les signes précoces d’un glissement vers la famine, les Yéménites ont évidemment autant faim de nourriture que de paix.

La nourriture comme une arme de guerre

Les guerres n’éclatent pas par hasard, pas plus que ne sévit la faim – elle a des causes humaines. La faim régnait déjà au Yémen, bien avant le début de la guerre en mars 2015. Ce pays se trouve depuis des années en état d’insécurité alimentaire chronique, se classant parmi les derniers selon l’Indice de développement humain (IDH) pendant que le président déchu, Ali Abdallah Saleh, engrangeait des milliards.

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C’est le soulèvement de 2011 qui a provoqué le déclin de l’économie. Au-delà de la corruption, l’inégalité sociale et la répartition inégale de la richesse nationale, le développement économique et social n’a que faiblement progressé au cours des dernières années, surtout en raison de cette crise politique qui pérennise l’instabilité et la faiblesse de sa gouvernance, comme l’a souligné l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2014.

Aujourd’hui, la situation s’est considérablement aggravée avec le conflit en cours. Parmi les nombreuses causes de la faim au Yémen, telles que relevées par le Programme alimentaire mondial (PAM) : les pénuries de carburant et les restrictions des importations, qui ont réduit la disponibilité des produits alimentaires de base dans le pays. Or 90 % des aliments de première nécessité dépendent presque totalement des importations.

Pourtant, la cause majeure de la faim au Yémen, c’est l’utilisation de la nourriture comme arme de guerre par tous les belligérants. La coalition dirigée par l'Arabie saoudite a imposé le blocus des principaux ports du Yémen, compromettant ainsi la survie de millions de Yéménites qui attendent en urgence du carburant, de la nourriture ou des médicaments, tous importés. Or, pendant que les organismes d’aide humanitaire se démènent pour apporter de l’aide, les Saoudiens décrètent l’interdiction de la faire parvenir dans les zones contrôlées par les Houthis, explique un journaliste de l’ONU.

Par ailleurs, la coalition a bombardé plusieurs des ponts indispensables à l’acheminement partout dans le pays de 90 % de l’aide alimentaire fournie par les Nations unies. Dans le même temps, les forces Houthi-Saleh ont aussi utilisé la nourriture comme une arme dans les zones qu'ils attaquent, actuellement à Ta’izz et auparavant à Aden, où les résidents n’ont plus accès à l'eau, au carburant et l'approvisionnement alimentaire alors qu’ils sont assiegés. Cette rareté a alors donné naissance à un marché noir où le prix des produits essentiels a flambé, ne permettant qu’à quelques-uns de se les offrir.

Par conséquent, privation et famine sont la norme aujourd'hui au Yémen. Avant la guerre, la Banque mondiale estimait que 50 % des Yéménites vivaient sous le seuil de pauvreté, mais ce chiffre a explosé pour atteindre 80 %.

Enrayez la famine

Ces statistiques choquantes indiquent que les Yéménites seront bientôt décimés par la famine, puisque rien ne laisse entrevoir la fin de la guerre. Tant que le monde reste indifférent et que des mesures ne sont pas prises en temps voulu, tous les indicateurs pointent l’imminence d’une famine inévitable.

Je tiens un blog sur des questions liées aux droits de l'homme, et rien de ce que j'ai constaté en la matière au Yémen ne m’afflige plus douloureusement que de voir mon pays sombrer sous mes yeux dans une famine généralisée. Je suis profondément convaincue que la faim constitue la plus grave violation des droits de l'homme au Yémen. Et comme il est honteux de voir s’étendre la famine dans une région entourée de quelques-uns des pays les plus riches du monde.

Il est indispensable d’enrayer la famine qui se prépare avant qu’elle ne ravage le pays. Rapport après rapport, les témoignages racontent la faim et des souffrances qu’elle entraîne. Qu’attendons-nous pour agir ? Je me le demande. Que les corps des Yéménites s’entassent et que les rescapés soient si affaiblis qu’il ne reste plus personne pour creuser les tombes ?

Seule l’intensification de l’action humanitaire et diplomatique internationale peut atténuer la famine. Le Yémen a besoin de la solidarité mondiale pour juguler une famine imminente qui couvrirait de honte le système humanitaire international avec des conséquences irréversibles pour les 28 millions de Yéménites.

- Afrah Nasser est une auteure et bloggeuse yéménite indépendante qui se concentre sur les violations des droits de l’homme et vit en Suède depuis mai 2011. Elle est cofondatrice de l’ONG Yemeni Salon en Suède. Vous pouvez consulter ses billets à l’adresse : afrahnasser.blogspost.com.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des femmes yéménites déplacées, qui ont fui la province de Saada pour échapper aux combats entre rebelles et forces chiites houthies fidèles au président du Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi. Elles font du pain dans la capitale, Sana’a, dans une école transformée en abri le 19 août 2015. L’ONU a lancé une alerte contre la « famine rampante » au Yémen, où plus d’un demi-million d'enfants souffrent de grave malnutrition, et a recommandé que des mesures soient prises pour rétablir l’accès à aux régions déchirées par la guerre. (AFP)

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies

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