La France se déchire autour des concerts de Médine au Bataclan
L'annulation des deux concerts a d'abord été réclamée via une pétition lancée par Grégory Roose, ex-délégué départemental du parti d'extrême droite Rassemblement national (ex-FN). Une demande relayée par des élus de droite et d'extrême droite. « Sacrilège pour les victimes, déshonneur pour la France », s'est offusqué sur Twitter le président des Républicains (droite), Laurent Wauquiez.
« Aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies sur le lieu même du carnage du Bataclan », a écrit la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen.
« Ton concert n’aura pas lieu, tu ne saliras pas la mémoire de ceux qui sont morts ce jour-là », a également twitté le militant identitaire Damien Lefèvre, à l’origine de l’opération antimigrants dans les Alpes. Une pétition réclamant l'annulation des concerts a été lancée par Grégory Roose, un militant d'extrême droite, membre du micro-parti de Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement ».
Pour rappel, la salle de spectacle du Bataclan a été la cible d’une attaque terroriste qui avait fait 90 victimes le soir du 13 novembre 2015. Trois commandos ont ciblé en plus de la salle, les alentours du Stade de France et les terrasses de plusieurs établissements dans le 10e et 11e arrondissements de Paris. Bilan final de ces attaques : 130 morts.
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Relents d’islamophobie
Que reproche-t-on à ce rappeur du Havre ? Des paroles d’anciennes chansons comme « Jihad » (2005) ou « Don’t Laïk ». Dans ce dernier morceau sorti en 2015, rappelle l’AFP, une semaine avant l’attentat contre Charlie Hebdo, le rappeur s’attaquait à la laïcité assez directement : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha. »
On lui reproche également d’avoir mis un sabre sur la pochette de son album Jihad, alors que le rappeur a maintes fois expliqué que le titre de cet album est accompagné d'un sous-titre : « Le plus grand combat est contre soi-même ».
En janvier 2016, Médine s’est justifié sur un plateau de télévision : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha, c’est clairement un oxymore, dans ce qui est proposé comme image. On ne crucifiait pas les laïcards à Golgotha. Et d’ailleurs, il ne s’agit pas de crucifier à proprement dit les laïcards. […] Je rappelle que la laïcité est possédée par un certain nombre de gargouilles de la République. »
Dans un communiqué publié cette semaine, le rappeur dit « renouveler [ses] condamnations passées à l'égard des abjects attentats du 13 novembre 2015 ». Selon lui, l'extrême droite cherche « à instrumentaliser la douleur des victimes et de leur famille. Allons-nous laisser l'extrême droite dicter la programmation de nos salles de concerts voire plus généralement limiter notre liberté d'expression ? », s'interroge-t-il dans un communiqué.
Le Mouvement des jeunes communistes du Havre, ville d’origine de Médine, a dénoncé la campagne de l’extrême droite et les relents « d’islamophobie » que dégagerait l’hostilité contre le rappeur. « Ce refus de voir le musulman autrement que par sa religion est un héritage dangereux des dominations coloniales », lit-on dans le communiqué de ce mouvement.
Et le Parti communiste français réagit à son tour : « La liberté d’expression et de création culturelle doit être préservée contre ces censeurs, d’autant que cette campagne se mène en usant et en abusant de tous les clichés racistes et autres amalgames, assimilant l’artiste à un complice du djihadisme, au mépris de ses mises au point. »
Liberté totale
Life for Paris, l'association de victimes des attentats du 13 novembre, est venue à la rescousse du Bataclan en soulignant que la salle « a aussi été victime des attentats et qu'elle est complètement libre de sa programmation, sous contrôle de la préfecture de police de Paris ».
Dans une déclaration au Huffington Post, Marine Le Pen a tenu à répondre à l’association des victimes : « Il y a des associations de victimes qui considèrent qu'il est normal qu'un militant fondamentaliste islamiste aille au Bataclan pour exprimer sa haine et défendre des positions qui sont, dans mon esprit, de l'incitation au crime ? Je m'en étonne. »
Une avocate d’une vingtaine de victimes des attentats du 13 novembre a écrit au préfet de police de Paris pour lui demander l’interdiction des concerts. Me Samia Maktouf y voit un « risque de troubles à l’ordre public » et d'« atteinte à la mémoire des victimes », selon Le Parisien.
De son côté, le porte-parole du gouvernement d’Edouard Philippe, Benjamin Griveau, a déclaré : « Les salles sont libres de programmer qui elles veulent. La liberté de l'artiste est totale sauf s'il y a incitation à la haine raciale, s'il y a trouble à l'ordre public et ça, c'est au droit de le dire. »
« Le jeu de provocation, essentiel au rap, échappe à une certaine partie de la classe politique qui ne connaît du rap français ni son esthétique, ni ses mots », explique une tribune sur Slate.
« J’ai eu la sensation d’avoir provoqué un débat sur le sujet de la laïcité, avec des voix qui sont différentes de celles qu’on a l’habitude d’entendre sur les plateaux télé »
- Médine
Les auteurs rappellent les déclarations de Médine lors d’une conférence à l’École normale supérieure : « La provocation n’a d’utilité que lorsqu’elle provoque un débat. Lorsqu’elle met le rideau de fer sur la possibilité de dialogue, elle ne sert plus la provocation. Et donc j’ai eu la sensation d’avoir provoqué un débat sur le sujet de la laïcité, avec des voix qui sont différentes de celles qu’on a l’habitude d’entendre sur les plateaux télé, avec une affirmation de quelqu’un du monde de la culture qui se revendique laïque d’une autre façon, et donc c’était inaudible. »
Tout en reconnaissant, l’année dernière, qu’il a « eu la sensation d’être allé trop loin avec le titre ‘’Don’t Laïk’’ ».
Le bataclan, un « sanctuaire »
Du côté du Bataclan, qui pour le moment maintient les dates des deux concerts du rappeur, c’est silence radio sur cette polémique.
À la réouverture de la salle, un an après les tueries du 13 novembre 2015, Jules Frutos, l’un des responsables du Bataclan déclara à l’AFP : « Notre métier, c'est d'amener de la musique, des concerts, des spectacles. C'eut été un abandon de ne pas revenir sur la scène. Cela revenait à la tuer deux fois. »
Certains artistes, comme Francis Cabrel ou Nicola Sirkis, avaient fait part de l'impossibilité pour eux d'aller y rejouer, rappelle l'AFP. Le leader du groupe Indochine avait notamment jugé « ignoble de rouvrir cette salle », estimant qu'il fallait « en faire un sanctuaire, un monument ».
La page Facebook du Bataclan a été inondée de messages violents, et plusieurs survivants du 13 novembre 2015 ont été harcelés en ligne pour avoir défendu la liberté de programmation de la salle de concert rapporte Le Monde qui cite le cas de Sophie, une survivante blessée lors de l’attaque.
Elle témoigne des nombreux messages haineux qu’elle a reçus pour avoir critiqué la récupération politique par la droite : « “Dommage que tu n’aies pas crevé”, “Tu as le syndrome de Stockholm”. »
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