Skip to main content

Le Premier ministre irakien Abadi double la mise sur la proposition d’un cabinet « technocratique »

Abadi est accusé par ses opposants de « mener un coup d’État », mais le Premier ministre a confié à MEE que c’est Moqtada al-Sadr qui a exigé ce nouveau cabinet et menacé de marcher sur la zone verte
Le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a proposé un remaniement ministériel avec des personnalités universitaires de haut rang et des chefs d’entreprise (AFP)

BAGDAD – Le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a rejeté les plaintes des opposants politiques qui affirment ne pas avoir été consultés avant qu’il nomme la semaine dernière un nouveau cabinet « technocratique » en réponse aux manifestations anti-corruption et aux appels à une réforme politique.

Abadi a été accusé de porter atteinte à la démocratie et de « mener un coup d’État » contre la structure de partage du pouvoir politique qui est en place en Irak depuis 2003 et qui garantit un certain nombre de postes politiques aux blocs chiites, sunnites et kurdes du pays.

Cependant, Abadi a déclaré à Middle East Eye dans une interview téléphonique que les blocs politiques rivaux n’avaient pas répondu à sa demande lorsqu’il les a invités à désigner leurs candidats indépendants favoris pour les postes ministériels le mois dernier.

Il a également indiqué que cet appel à la formation d’un cabinet indépendant avait été formulé par Moqtada al-Sadr, l’influent imam chiite qui a menacé la semaine dernière de marcher sur la zone verte fortifiée de Bagdad à moins que ses exigences en matière de réforme politique soient respectées.

« J’ai demandé aux blocs de désigner les technocrates qui pourraient convenir selon eux au début du mois dernier, mais ils ne l’ont pas fait », a déclaré Abadi à MEE.

« C’est Sadr qui a exigé un gouvernement de technocrates, où chacun est indépendant, hormis le Premier ministre. Cette exigence n’est pas de mon fait. »

Abadi a affirmé être engagé à conduire les affaires du gouvernement de manière professionnelle, sans ingérence de son bloc ou d’autres blocs politiques.

Ses propos interviennent après que les dirigeants d’autres factions se sont plaints de ne pas avoir été consultés par Abadi et ont laissé entendre qu’ils pourraient encore tenter de bloquer son remaniement ministériel qui doit être mis en œuvre d’ici dimanche, dans l’attente de l’approbation du Parlement.

« Nous avons encouragé le Premier ministre à nommer des professionnels et des technocrates, mais en consultation avec les blocs politiques qui représentent la philosophie et la réalité du système parlementaire actuel », a déclaré samedi Ammar al-Hakim, leader chiite de premier plan à la tête du bloc al-Mowaten, lors d’une conférence de presse à Bagdad.

« Le contournement des blocs politiques, en les affaiblissant et les tenant à l’écart du processus politique, pourrait mettre à mal le système démocratique et les structures d’État et de gouvernement que nous avons construits depuis 2003. »

Un haut responsable chiite, au courant des négociations en cours au sein des blocs chiites et s’exprimant sous couvert d’anonymat, a déclaré à MEE que personne ne s’attendait à ce qu’Abadi se plie aux exigences de Sadr sans tenir compte des implications politiques générales.

« Abadi a été très intelligent. Il a mené un coup d’État contre tous les accords politiques qui régissent le processus politique en Irak depuis 2003 », a indiqué ce responsable.

Depuis le renversement de Saddam Hussein, le gouvernement irakien s’organise autour d’un partage du pouvoir dans lequel le contrôle de différents ministères et services gouvernementaux est réparti entre les factions chiites, sunnites et kurdes.

Le bloc chiite, qui représente le plus grand bloc parlementaire avec plus de la moitié des 325 sièges, détient la plupart des principaux postes gouvernementaux, y compris le bureau du Premier ministre.

Les détracteurs soutiennent que le remaniement ministériel d’Abadi, s’il se réalise, porterait atteinte à l’accord de partage du pouvoir et déstabiliserait potentiellement le pays. Les grands blocs politiques de toutes les factions y voient aussi une menace pour leurs intérêts.

« Nous devons être représentés dans son gouvernement, conformément à la part qui nous revient et sur la base de ce que notre communauté sunnite mérite », a déclaré à MEE Ahmed al-Missari, chef du bloc parlementaire de l’Union des Forces sunnites.

« Notre part dans le cabinet est de 33 %, c’est-à-dire ce qui a été convenu au cours des derniers mandats, donc notre part dans ce gouvernement ne doit pas être moindre. »

Le bloc kurde a également déclaré qu’il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il fasse partie d’un gouvernement dans lequel il ne détiendrait pas au moins 20 % des postes.

Un membre kurde du Parlement, qui a souhaité conserver l’anonymat, a indiqué à MEE que Nizar Saleem, un professeur de géologie kurde qui avait les faveurs d’Abadi pour le poste de ministre du Pétrole, l’avait refusé après avoir été « menacé par la direction kurde ».

La semaine dernière, le Parlement a siégé pour examiner la liste de membres du cabinet proposée par Abadi et d’autres réformes, qui comprennent la suppression de pions politiques aux échelons inférieurs du gouvernement, et ce à une dizaine de jours de la date limite pour l’approbation du cabinet, fixée à dimanche.

Yazin al-Joubori, analyste politique, a expliqué à MEE que les principaux blocs chiites étaient motivés par la crainte que Sadr exécute sa menace de marcher sur la zone verte, la zone fortifiée où se trouvent les institutions gouvernementales irakiennes.

« La crainte que Sadr marche sur la zone verte était réelle, a précisé Joubori. Cela signifiait que des combats entre chiites auraient éclaté et cela constitue une ligne à ne pas franchir pour tous les blocs chiites ; ils ont donc voté pour les réformes exigées par Sadr. »

Les propositions d’Abadi comprennent la diminution du nombre de postes ministériels à dix-huit par la fusion de plusieurs ministères. La plupart des personnes qu’il a nommées sont des personnalités universitaires de haut rang et des chefs d’entreprise sans expérience ni affiliation politique.

Ammar al-Hakim a annoncé samedi qu’al-Mowaten était prêt à coopérer avec d’autres blocs et que toutes les options étaient sur la table, y compris une éventuelle motion de censure contre Abadi.

 « Nous coopérerons par le biais de la constitution de l’État et du Parlement afin de rétablir l’équilibre du processus politique », a-t-il affirmé.

Toutefois, les partisans de Moqtada al-Sadr ont fait savoir qu’ils ne toléreraient pas que l’on revienne sur les réformes politiques approuvées par le Parlement et qu’ils étaient prêts à descendre de nouveau dans la rue si nécessaire.

« Ils savent très bien qu’ils sont des lâches et qu’ils sont incapables de faire quoi que ce soit. Les sit-ins et les manifestations pourraient reprendre à tout moment », a indiqué à MEE Ibrahim al-Jabiri, un des plus proches collaborateurs de Sadr.

« Ils veulent maintenir leurs quotas odieux. Nous sommes conscients de cela et ce n’est plus possible. Nous allons donc attendre la fin de la période de décision, puis nous verrons ce qui se passera. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

Stay informed with MEE's newsletters

Sign up to get the latest alerts, insights and analysis, starting with Turkey Unpacked

 
Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.