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Yémen : les Émirats arabes unis dirigent Aden comme un protectorat

Les EAU, qui contrôlent toutes les grandes institutions de la deuxième ville du pays, sont accusés de réprimer la dissidence et de soutenir la sécession du Sud, tandis que l’influence du président Hadi, qu’ils défendent officiellement, n’est visible nulle part
Des soldats émiratis montent la garde pendant que des Yéménites débarquent d’un vol à l’aéroport d’Aden, en 2015 (AFP)

ADEN, Yémen – Une visite de la deuxième ville du Yémen ne laisse guère planer le doute sur l’identité de ceux qui la contrôlent. Sur les affiches et les pancartes placardées dans les rues, des portraits des hommes les plus puissants d’Aden, vêtus de l’habit national, laissent apparaître les couleurs de leur drapeau national en arrière-plan.

Mais les portraits ne représentent pas le président du Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi. Les drapeaux ne sont pas yéménites. Les personnes représentées ne sont même pas yéménites. Ce sont les dirigeants des Émirats arabes unis. 

« La plupart des membres des forces de sécurité et militaires dans le Sud travaillent sous la direction des Émiratis et se considèrent comme des combattants opérant aux côtés des Émirats »

– Aqeel al-Yafei, officier au sein de la Ceinture de sécurité

Les Émirats arabes unis contrôlent le port maritime et l’aéroport d’Aden, la plupart de ses postes de contrôle militaires, sinon tous, et forment et commandent désormais la puissante force militaire connue sous le nom de Ceinture de sécurité. Sa Société du Croissant-Rouge a reconstruit les institutions publiques de la ville.

Les Émiratis ont mis en place un système pénitentiaire, contre lequel certains à Aden ont formulé des allégations d’arrestations arbitraires visant à réduire au silence ceux qui s’opposent à la prise de pouvoir émiratie ainsi qu’à l’appel du Conseil de transition du Sud, allié aux Émirats arabes unis, à l’indépendance vis-à-vis du Yémen.  

Pendant ce temps, l’influence de Hadi, que les Émirats arabes unis défendent ostensiblement au sein de la coalition saoudienne qui combat les Houthis, n’est visible nulle part. Sa garde présidentielle et ses partisans au sein du parti al-Islah, surpassés en nombre et en puissance de feu, font profil bas.

Les affiches qui ornent les rues d’Aden sont placardées soit par des Yéménites reconnaissants envers les Émirats arabes unis, soit par les institutions contrôlées par les Émiratis.

Un panneau à Aden indique « Merci aux fils de Zayed, des services immobiliers et commerciaux d’al-Haddi », en référence aux dirigeants émiratis dont les forces contrôlent Aden (MEE)

Selon Aqeel al-Yafei, commandant de la Ceinture de sécurité, les Émiratis et les Yéménites du Sud ont de nombreux objectifs en commun et éprouvent un respect mutuel.

« La plupart des membres des forces de sécurité et militaires dans le Sud travaillent sous la direction des Émiratis et se considèrent comme des combattants opérant aux côtés des Émirats », a indiqué Yafei à Middle East Eye.

« Les Émiratis n’ont pas procédé à une invasion, contrairement aux forces des Houthis et de Saleh. Ils sont venus pour nous aider. »

« Lorsque les Houthis ont envahi Aden, ils ont pillé les armes dans les camps militaires, mais après la libération, les Émiratis ont reconstruit et nous ont fourni des armes et des véhicules militaires. »

À LIRE : « Ce n’est pas une erreur » : les Saoudiens accusés de bombarder délibérément leurs alliés yéménites

« Seule la force présidentielle n’est pas sous la direction d’Aden et sa seule tâche est de monter la garde. »

La puissance de la Ceinture de sécurité est telle que ses hommes ont fermé les bureaux du parti al-Islah à Aden et emprisonné un grand nombre de ses membres de haut rang.

Le mois dernier, la Ceinture de sécurité a arrêté onze dirigeants d’al-Islah, dont le sous-secrétaire Mohammed Abdul Malik, et pris d’assaut deux bases principales du parti : la première dans le quartier d’al-Tawahi et la seconde à Cratère, qui a également été brûlée.

Yafei a confirmé à MEE que les Émiratis avaient créé des camps d’entraînement militaires et des prisons autour d’Aden, qui restaient sous leur direction.

« Les Émiratis sont des superviseurs qui aident à sauver Aden et les autres provinces du sud, donc ils supervisent les camps militaires et les prisons. Les Émiratis n’ont rien fait de mal. »

Drapeau du Yémen du Sud près d’une affiche représentant Mohammed et Khalifa ben Zayed, respectivement prince héritier et président des Émirats arabes unis (MEE)

Les Émiratis « sèment le chaos »

MEE a contacté plusieurs dirigeants pro-Hadi et d’al-Islah à Aden, mais tous ont refusé de s’exprimer, indiquant craindre les représailles de partisans des Émirats arabes unis.

Un membre du parti al-Islah, qui n’a pas souhaité être nommé, a estimé que les Émirats arabes unis agissaient contre les intérêts du Yémen à Aden et cherchaient à mettre à mal le gouvernement Hadi afin de concrétiser leurs propres objectifs en matière de politique étrangère.

« Les Émiratis soutiennent les milices contre le gouvernement et le président, ce qui est une raison suffisante pour affirmer que les Émiratis sèment le chaos au Yémen. »

« Les Émiratis sont les plus forts à Aden et personne ne peut s’y opposer »

– Un membre du parti al-Islah

« En 2015, al-Islah a accueilli les Émirats arabes unis au sein de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, mais il est clair que les Émiratis ont trouvé de nouveaux alliés et supervisent les camps militaires et les prisons. Cela relève du devoir du gouvernement et non des Émiratis. »

La source a déclaré qu’il n’y avait pas de Houthis à Aden et que les troupes émiraties devaient soit les combattre à Ta’izz, au nord, soit s’en aller.

« Personne ne peut critiquer les Émirats arabes unis à Aden sans craindre de représailles – les forces de la Ceinture de sécurité se sont répandues partout. Elles peuvent arrêter et emprisonner n’importe qui. »

Drapeaux émiratis peints sur un bâtiment à Aden (MEE)

« Les Émiratis sont les plus forts à Aden et personne ne peut s’y opposer, alors les gens essaient de s’adapter à ce fait pour échapper au danger. »

Selon la source d’al-Islah, les Émiratis se rangent également du côté des milices salafistes à Ta’izz et portent atteinte aux forces de la « Résistance populaire » qui combattent les Houthis.

Samedi, des affrontements violents ont eu lieu entre des combattants salafistes dirigés par Abu al-Abbas – récemment étiqueté comme un agent d’al-Qaïda par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – et les gardes du bureau de la sécurité soutenus par les combattants d’al-Islah à Ta’izz.

La source a déclaré que les Yéménites avaient besoin que les Émiratis se concentrent sur les groupes violents : « Les combattants de l’État islamique et d’al-Qaïda ciblent toujours Aden. Mais les Émiratis et la ceinture de sécurité sont occupés à essayer d’arrêter les dirigeants d’al-Islah et de prendre d’assaut notre quartier général. »

L’État islamique a revendiqué un attentat de grande ampleur à Aden au début du mois, qui a fait au moins quinze morts et dix-huit blessés.

« Ils nous ont battus sans raison »

Omar, un homme de 37 ans qui a quitté Ta’izz pour Aden, a été arrêté avec deux de ses amis par des soldats de la Ceinture de sécurité dans la rue al-Sheikh Othman d’Aden, en avril 2015. Ils ont été emmenés à la prison de Bir Ahmed, supervisée par les Émiratis.

« Les forces yéménites nous ont battus sans raison et y ont été encouragées par les Émiratis. Ils nous ont battus parce qu’on a exigé un procès équitable », a déclaré Omar à MEE.

« Lorsque j’ai posé des questions sur mon accusation, ils ont dit que ma carte d’identité était expirée. C’était une accusation idiote faite par des soldats stupides. »

Le dirigeant de Dubaï Mohammed ben Rachid et les membres de la famille ben Zayed au pouvoir à Abou Dabi, représentés sur une pancarte d’une école du Croissant-Rouge (MEE)

Omar a été détenu pendant un mois avant d’être libéré sans inculpation.

« Les nouvelles prisons émiraties sont un fait que personne ne peut changer, mais nous demandons aux tribunaux publics d’envoyer des délégations dans ces prisons, car tous ceux qui s’y trouvent méritent un procès équitable. »

Il a expliqué que la plupart des prisonniers étaient arrêtés simplement en raison de leur opposition à l’indépendance du Sud et aux Émirats arabes unis.

Fadhl al-Rabie, directeur du Centre d’études stratégiques de Madar à Aden et membre du Conseil de transition du Sud, a rejeté les plaintes formulées à l’encontre des Émirats arabes unis, affirmant que la population du Sud luttait pour l’indépendance et ne soutenait pas Hadi.

« Les Émiratis ont commis des erreurs, mais ils supervisent un pays rongé par les conflits »

– Fadhl al-Rabie, membre du Conseil de transition du Sud

« Il y a une alliance entre les gens du Sud et les Émiratis, qui fait partie de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et qui est responsable d’Aden et d’autres provinces du Sud », a déclaré Rabie.

« Des erreurs peuvent se produire et les Émiratis ont commis des erreurs, mais ils supervisent un pays rongé par les conflits. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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