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France-Algérie : l’accord de 1968, pas si avantageux que ça pour les Algériens...

Remis en question par la droite et l’extrême droite françaises, l’accord de 1968 prévoit, sur le papier, des avantages pour les Algériens qui souhaitent s’installer en France. En pratique, c’est loin d’être le cas. Il présente même des contraintes
L’accord de 1968, initié sous la présidence du général de Gaulle, voulait faciliter l’installation des travailleurs algériens en France. Ici, des ouvriers du bâtiment algériens travaillent sur un chantier de construction de la région parisienne le 30 janviers 1973 (AFP)
L’accord de 1968, initié sous la présidence du général de Gaulle, voulait faciliter l’installation des travailleurs algériens en France. Ici, des ouvriers du bâtiment algériens travaillent sur un chantier de construction de la région parisienne le 30 janviers 1973 (AFP)

Le discours anti-migratoire de la droite et de l’extrême droite françaises vient de trouver une nouvelle source de légitimité en la personne de Xavier Driencourt.

L’ancien ambassadeur en Algérie (2008-2012 et 2017-2020) appelle à dénoncer et à renégocier l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Cet accord visait, lors de sa signature – soit six ans après l’indépendance de l’Algérie –, « à apporter une solution globale et durable aux problèmes relatifs à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens sur le sol français ».

Marion Maréchal, ancienne députée et petite fille de Jean-Marie Le Pen (fondateur du Front national devenu Rassemblement national, extrême droite), a salué sa « clairvoyance », estimant que le traité « offre des privilèges indus aux ressortissants algériens en France ».

Le président des Républicains (droite), Éric Ciotti, donne aussi raison au diplomate. « L’Algérie nous insulte et nous attaque en permanence et nous on leur dit : ‘’Venez !’’ Ce n’est pas réaliste », a-t-il réagi sous la forme d’un sermon qui dénonce un accord « d’une naïveté incroyable ».

« Les Algériens rient de notre naïveté », s’emporte de la même façon Xavier Driencourt.

Une interprétation discrétionnaire

Dans une note publiée en mai sur le site de Fondapol (Fondation pour l’innovation politique), un laboratoire d’idées proche de la droite, l’ancien ambassadeur a déploré le maintien d’un régime dérogatoire au droit commun fixé par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui favorise, selon lui, l’immigration des ressortissants algériens alors que leur État « ne remplit pas ses obligations, notamment en ce qui concerne la délivrance des laissez-passer consulaires sans lesquels il n’est pas possible de réaliser les Obligations de quitter le territoire français [OQTF, titre permettant d’expulser les personnes entrées illégalement en France] », argumente-t-il.

« Aucune politique migratoire cohérente n’est possible sans la dénonciation de l’accord franco-algérien », prévient par ailleurs l’ancien directeur général de l’Administration du Quai d’Orsay, estimant que ce texte « prive le législateur de la possibilité d’agir sur le flux en provenance de l’Algérie ».  

De son côté, l’ancien premier ministre Édouard Philippe pense que le maintien de l’accord est injustifié alors que la France entretient « des relations compliquées » avec l’Algérie. Même avis pour le président du Sénat, Gérard Larcher, qui estime que le texte introduit « une espèce de discrimination avec d’autres pays ».

Mais est-ce vraiment le cas ? Dans le texte, l’accord comporte certains avantages.

En 1968, la France, qui avait besoin de main-d’œuvre pour accélérer sa croissance économique, voulait favoriser l’arrivée des Algériens en leur permettant – ainsi qu’à leurs familles – d’accéder facilement au séjour.

Mais avec le temps, ce droit a été graduellement remis en cause. En 1974, l’État français a même suspendu l’immigration de travail face à l’augmentation du chômage.

Douze ans plus tard, la mise en place d’une politique de visas a privé les Algériens, au même titre que les ressortissants hors Union européenne, de la possibilité de voyager en France sur présentation de la carte d’identité, tel que stipulé dans l’accord de 1968.

Fait plus important, le certificat de résidence de dix ans renouvelable, prévu pour les Algériens conformément au traité, est un privilège qu’il n’est pas toujours facile d’obtenir.

Pour cause, quand bien même les demandeurs rempliraient les conditions de séjour (trois ans de vie minimum en France) et de ressources (moyens d’existence et activité professionnelle), la décision relève souvent du pouvoir discrétionnaire de l’administration.

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Dans un entretien avec Middle East Eye, Fayçal Megherbi, avocat spécialisé dans le droit des étrangers à Paris, évoque une affaire jugée en 2020 par le tribunal administratif de Versailles, près de Paris, dans laquelle le préfet des Yvelines a refusé de délivrer un certificat de résidence à un Algérien, au motif que ses revenus n’étaient pas stables.

Le tribunal, qui a annulé la décision, a estimé que le représentant de l’État avait commis une erreur d’appréciation et n’avait pas tenu compte de l’évolution du train de vie du requérant.

« Cette affaire montre qu’il est tout à fait possible pour l’administration d’interpréter l’accord comme bon lui semble ou d’exploiter ses lacunes », souligne l’avocat.

D’après lui, le pouvoir discrétionnaire du préfet s’applique aussi dans l’instruction des demandes de regroupement familial, avec des interprétations parfois abusives des conditions d’accueil (ressources et superficie du logement).

En février, par exemple, la cour administrative de Lyon a demandé au préfet du Rhône d’annuler une décision de refus de regroupement familial concernant un Algérien, estimant là aussi qu’il y avait eu une erreur d’appréciation sur le montant des revenus du demandeur. 

« Cela sans compter les délais de plus en plus longs de traitement des dossiers », ajoute Fayçal Megherbi.

« Figé dans le temps »

Outre les problèmes liés à son exécution, l’accord de 1968 empêche les Algériens d’accéder à d’autres dispositifs d’immigration régis par le CEDESA, comme l’admission exceptionnelle au séjour pour les étrangers en situation irrégulière, mise en place en 2012 par l’ancien premier ministre Manuel Valls.

Cette procédure permet à des étrangers d’obtenir une première carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », « salarié » ou « travailleur temporaire » pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels (parents d’enfants scolarisés, talents exceptionnels, services rendus à la communauté, ancienneté de travail ou de séjour). Mais les Algériens n’y ont pas droit.

« L’accord de 1968 ne cadre pas avec l’évolution de la politique française en matière d’immigration. Dans beaucoup d’aspects, il est beaucoup plus défavorable que le droit commun »

- Jean-François Martini, chargé d’études au GISTI

Ils ne peuvent pas non plus prétendre au passeport talent, un titre de séjour pluriannuel accordé à des étrangers hautement qualifiés (chercheurs, enseignants, ingénieurs, etc.) qui souhaitent travailler en France, ou encore à la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « étudiant programme de mobilité ».

« L’accord de 1968 est resté figé dans le temps malgré les amendements qu’il a connus [en 1985, 1994 et 2001]. Il ne cadre pas avec l’évolution de la politique française en matière d’immigration. Dans beaucoup d’aspects, il est beaucoup plus défavorable que le droit commun », affirme à MEE Jean-François Martini, chargé d’études à l’ONG GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés).

Il évoque notamment le sort des mineurs isolés algériens qui, contrairement aux ressortissants d’autres nationalités, ne bénéficient d’aucun dispositif de régularisation. « L’accord de 1968 ne prévoit rien à ce propos », précise notre interlocuteur.  

Les étudiants algériens en France souhaitant travailler sont également lésés par le traité. À l’inverse de leurs camarades étrangers, pour qui la carte étudiant suffit, ils doivent solliciter une autorisation provisoire pour pouvoir travailler. Ils ne sont par ailleurs autorisés à travailler que dans la limite d’un emploi à mi-temps qui n’excède pas 850 heures annuelles contre 954 pour les autres nationalités.  

Les diplômés, quant à eux, ont beaucoup de mal à basculer vers le statut de salarié. Pour cause, les demandes d’autorisation de travail, tel que prévu par l’accord de 1968, doivent être déposées à la préfecture par les futurs employeurs. Or dans bien des cas, les entreprises hésitent à recruter des salariés qui ne disposent pas encore d’un permis en bonne et due forme.

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