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« Ouvrez les frontières, aidez-nous » : à Melilla, arrivée d’une nouvelle vague d’exilés

En quelques jours, plusieurs milliers de personnes ont tenté de pénétrer dans l’enclave de Melilla. Selon les autorités espagnoles, en 48 heures, plus de 800 d’entre eux y sont parvenus, contre 1092 sur toute l’année 2021
Un jeune garçon escalade une des clôtures de l’enclave espagnole de Melilla à la frontière du Maroc, le 16 mai 2017 (AFP/Antonio RUIZ)
Un jeune garçon escalade une des clôtures de l’enclave espagnole de Melilla à la frontière du Maroc, le 16 mai 2017 (AFP/Antonio RUIZ)
Par AFP à NADOR, Maroc

« Si c’était à refaire, je le referais », lâche sans hésitation un jeune Soudanais, deux jours après avoir pris part à la plus importante tentative de passage forcé dans l’enclave espagnole de Melilla, frontière terrestre avec l’Union européenne, au nord-est du Maroc.

« Après trois mois passés dans une forêt à vivre dans des conditions inhumaines, j’ai décidé de tenter ma chance », raconte Mahjoub Abdellah, la silhouette fine, les traits fatigués. 

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Ce Soudanais longiligne de 22 ans ayant fui la guerre au Darfour a tenté mercredi de franchir la barrière frontalière vers Melilla au milieu de 2 500 migrants subsahariens, car il ne voit pas d’autres moyens de « vivre dignement » qu’en Europe.

Ce vendredi matin encore, plus de 1 000 personnes ont essayé de traverser la triple clôture, hérissée de barbelés et longue d’environ douze kilomètres, en quête d’un avenir meilleur.

La veille, ils étaient déjà 1 200 migrants à tenter la « boza ! » [victoire dans plusieurs dialectes d’Afrique de l’Ouest], le cri de joie poussé lorsqu’ils réussissent à franchir la frontière. 

« Violence des forces de l’ordre marocaines et espagnoles »

La minuscule enclave de Melilla, tout comme celle de Ceuta, à près de 400 kilomètres plus à l’ouest, constituent les seules frontières terrestres de l’Europe avec l’Afrique.

Cette photo prise le 4 mars 2022 montre une vue de la barrière frontalière séparant le Maroc (à gauche) de l’enclave nord-africaine de Melilla (AFP/Fadel Senna)
Cette photo prise le 4 mars 2022 montre une vue de la barrière frontalière séparant le Maroc (à gauche) de l’enclave nord-africaine de Melilla (AFP/Fadel Senna)

En 48 heures, plus de 800 d’entre eux ont réussi à entrer à Melilla, contre 1 092 sur toute l’année 2021, selon les autorités espagnoles.

Des tentatives qui se sont heurtées à « la violence des forces de l’ordre marocaines et espagnoles », selon plusieurs migrants rencontrés vendredi par des journalistes de l’AFP.

Malgré une blessure à la jambe, Mahjoub, un apprenti forgeron, se dit prêt à retenter la traversée. Mais pour l’heure, il envisage de quitter la ville frontalière marocaine de Nador à la recherche de petits boulots.  

« Ouvrez les frontières, aidez-nous. Nous en avons marre d’être pourchassés, harcelés »

- Une jeune Tchadienne de 17 ans

Avant de regagner le massif forestier voisin du Gourougou, devenu au fil des ans un refuge précaire pour de nombreux migrants originaires d’Afrique subsaharienne.

Au pied de la montagne, les forces de l’ordre marocaines étaient déployées vendredi le long de la clôture qui sépare Melilla de la ville de Beni Ansar, sous le regard d’une poignée de curieux.

Tandis qu’un groupe de migrants empruntaient, sous de violentes rafales et un froid glacial, les sentiers accidentés du Gourougou.  

« Un jour, je vais réaliser mon rêve »

Ahmed Mohamed, un autre Soudanais âgé de 17 ans, a lui aussi tenté mercredi de rejoindre Melilla. 

Il ne compte plus ses coups d’essai pour passer illégalement la frontière à Melilla et Ceuta depuis son arrivée au Maroc il y a huit mois. Il est systématiquement renvoyé plus au sud, vers Casablanca ou Safi. 

Une capture vidéo montre des exilés à Melilla, après avoir sauté la barrière frontalière séparant l’enclave espagnole du Maroc le 2 mars 2022 (AFP/El Faro TV)
Une capture vidéo montre des exilés à Melilla, après avoir sauté la barrière frontalière séparant l’enclave espagnole du Maroc le 2 mars 2022 (AFP/El Faro TV)

« Un jour, je vais réaliser mon rêve. Chez moi, il n’y a plus aucun espoir », résume-t-il.

Comme beaucoup de ses compagnons, le jeune homme dit avoir rejoint le royaume chérifien depuis l’Algérie voisine, mais il préfère ne pas s’épancher sur son périple. 

A côté de lui, une Tchadienne d’à peine 17 ans piaffe d’impatience pour fouler le sol européen : « Ouvrez les frontières, aidez-nous. Nous en avons marre d’être pourchassés, harcelés », supplie-t-elle. 

La jeune fille, au front tatoué, n’a pas pris part aux récentes tentatives mais elle ne reculera devant rien pour le faire. 

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Ces entrées massives de migrants interviennent moins d’un an après l’arrivée en mai 2021 de près de 10 000 migrants à Ceuta, dont beaucoup de mineurs, à la faveur d’un relâchement des contrôles frontaliers côté marocain.

Cette crise migratoire, sans précédent pour l’Espagne, dont le Maroc est un allié clé dans la lutte contre l’immigration clandestine, a été le point d’orgue d’une crise majeure entre Rabat et Madrid.

Celle-ci avait été provoquée par l’hospitalisation pour des « raisons humanitaires » en Espagne du chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, Brahim Ghali, considéré par le Maroc comme un « criminel de guerre ».

Par Ismail Bellaouali. 

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