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Neom : des officiers saoudiens ont « reçu l’ordre de tuer quiconque » résistait aux expulsions pour le mégaprojet

Un ancien officier du renseignement saoudien affirme que les forces de sécurité ont reçu l’ordre de recourir à la force létale pour faire place à la mégapole de Mohammed ben Salmane et dans une zone où vit la minorité chiite
Une photo fournie par l’entreprise saoudienne Neom le 26 juillet 2022 montre le projet de structures parallèles de 500 mètres de haut connues collectivement sous le nom de The Line (Neom/AFP)

Des agents de sécurité saoudiens ont reçu l’ordre de recourir à la force létale et de tuer toutes les personnes qui résistaient à leur expulsion pour faire place à la mégapole Neom et aux réaménagements de la région de Qatif, a déclaré à Middle East Eye un ancien officier du renseignement saoudien.

Dans un article publié pour la première fois par la BBC jeudi, le colonel dissident Rabih Alenezi – qui a demandé l’asile à Londres l’année dernière – a dit avoir reçu l’ordre d’expulser les membres de la tribu des Howeitat dans la province de Tabuk, dans le nord-ouest de l’Arabie saoudite, en 2020, en tuant toute personne résistant à l’expulsion.

Le gouvernement saoudien a été accusé d’avoir déplacé de force les membres de la tribu des Howeitat, qui vivent depuis des siècles à Tabuk, pour faire place à cette nouvelle ville à 500 milliards de dollars.

Alenezi a déclaré qu’il avait évité la mission à Tabuk en feignant d’être malade, mais que celle-ci était allée de l’avant et avait entraîné la mort d’Abdul-Rahim al-Huwaiti, un militant tribal qui avait refusé de quitter son domicile.

« Quant aux leaders des manifestations ou ceux qui résistaient et refusaient de quitter le quartier qui devait être démoli, la force létale a été utilisée à leur encontre »

- Rabih Alenezi, ancien colonel saoudien

S’adressant à MEE jeudi, Rabih Alenezi a déclaré avoir été informé de l’« ordre de tuer » émis en janvier 2020 sur le logiciel de renseignement interne de l’Arabie saoudite.

« J’ai étudié la sécurité aux États-Unis, à Phoenix. On m’a appris que nous n’utilisons pas de mauvais outils, que nous ne tuons pas les gens, sauf en cas de nécessité… sauf en cas de danger extrême », a-t-il expliqué.

« Dans le cas de la tribu des Howeitat, ce ne sont pas des criminels. Pourquoi [le prince héritier Mohammed ben Salmane] ne nous a-t-il pas demandé de négocier avec eux ? »

Rabih Alenezi a déclaré que cet ordre avait également été utilisé à Awamiya, une ville de la région orientale de Qatif, où vivent de nombreux membres de la minorité chiite du royaume.

En 2016, l’Arabie saoudite a annoncé son intention de démolir et de réaménager le quartier d’al-Musawara à Awamiya.

Un an plus tard, plusieurs personnes ont été tuées à la suite d’échanges de coups de feu entre les forces saoudiennes et des membres armés de la minorité chiite.

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Alenezi a déclaré qu’un « ordre de tuer » avait été émis dans la région et utilisé contre des dirigeants de la protestation non armés.

« Mes amis des services de renseignement qui se sont rendus à Qatif… ils ont dit qu’ils avaient reçu l’ordre de recourir à la force létale », a-t-il confié à MEE.

« Les manifestations ont été réprimées à coups de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes. Quant aux leaders des manifestations ou ceux qui résistaient et refusaient de quitter le quartier qui devait être démoli, la force létale a été utilisée à leur encontre. »

À l’époque, des militants avaient déclaré que les forces de sécurité saoudiennes avaient tué plusieurs civils dans les zones peuplées d’al-Musawara, dont un enfant de trois ans.

Alenezi a déclaré avoir reçu l’ordre d’espionner les Saoudiens chiites à Qatif et de surveiller leurs activités, mais il a également évité cette mission en alléguant avoir prévu des vacances.

« Je ne pouvais pas refuser et dire que je ne voulais pas y aller. Si j’avais dit cela, j’aurais pu être tué. Alors j’ai refusé en leur mentant. »

Menaces contre sa vie

Rabih Alenezi a affirmé que sa vie avait été menacée à plusieurs reprises depuis qu’il avait demandé l’asile à Londres l’année dernière et que sa tête avait été mise à prix.

En mars 2023, lorsque le ministre saoudien de l’Intérieur, le prince Abdelaziz ben Saoud, a rencontré Suella Braverman, alors ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, il a reçu un appel l’invitant à se rendre à l’ambassade saoudienne à Londres pour y rencontrer la ministre.

Il a déclaré que l’appel avait été effectué via l’application de messagerie cryptée Telegram et provenait d’un ancien ami des services de renseignement saoudiens.

L’homme a déclaré qu’Alenezi se verrait offrir 5 millions de dollars pour assister à la réunion. L’ancien colonel a refusé.

« Peut-être qu’ils essayaient de me tuer, ou de me soudoyer », a-t-il commenté. « Je préfère vivre pauvre plutôt que riche si l’argent vient de mauvaises personnes. »

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Selon les médias saoudiens, la cour royale saoudienne a mis à prix la tête de l’ancien colonel à hauteur de 250 000 dollars.

Ce dernier a déclaré avoir reçu des menaces sur les réseaux sociaux et avoir été suivi par un Saoudien il y a plusieurs mois dans l’ouest de Londres.

« Au début, il essayait de me parler et de me conseiller. J’ai dit ‘‘merci et au revoir’’, puis il m’a suivi », relate Alenezi.

Il a informé la police métropolitaine de Londres des menaces physiques et sur les réseaux sociaux qu’il avait reçues et les autorités britanniques lui ont depuis demandé de prendre diverses précautions.

James Lynch, de l’organisation de défense des droits de l’homme Fair Square, a déclaré à MEE que les révélations sur le recours à la force meurtrière à Tabuk étaient « inquiétantes ».

« Les allégations selon lesquelles il y aurait effectivement eu des ordres de recourir à la force létale alors que les gens résistaient aux expulsions sont vraiment profondément alarmantes et devraient être prises très au sérieux […] par le gouvernement britannique et les entreprises internationales », a-t-il souligné.

« Il est extrêmement honteux que le gouvernement britannique soutienne ce projet qui tue des gens. »

Traduit (partiellement) de l’anglais (original).

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