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Un transfuge saoudien craint d’être traqué à Londres après la mise en ligne d’une prime

Un compte Twitter vérifié offre 10 000 riyals saoudiens pour obtenir des informations sur l’endroit où se trouve un colonel de la police devenu dissident
Au début du mois, Rabih Alenezi a fait défection de la Direction générale de la sécurité publique d’Arabie saoudite où il était colonel (MEE)

Un colonel de la police saoudienne qui a publiquement critiqué les dirigeants du royaume depuis sa défection au début du mois dit craindre pour sa vie depuis qu’une prime a été offerte sur Twitter pour savoir où il se trouve.

Rabih Alenezi (44 ans) a confié à Middle East Eye avoir contacté la police métropolitaine de Londres dimanche après qu’un compte vérifié prétendant appartenir à un influenceur de Djeddah a offert 10 000 riyals saoudiens (2 662 dollars) pour localiser l’ancien officier.

« Quiconque localisera cette personne recevra 10 000 riyals saoudiens », indique le message en arabe. « Recherche en cours. »

Des abonnés ont répondu au tweet, ajoutant 1 000 riyals (266 dollars) à la prime et suggérant des quartiers de Londres où il pourrait être réfugié. L’un d’eux ajoute que s’ils réussissaient à le trouver, ils seraient félicités pour ce qu’ils lui feraient. Le message original et les réponses étaient toujours en ligne ce mardi après-midi au moment de la publication.

« J’ai vraiment peur », assurait Alenezi ce lundi. « J’ai peur, surtout des Arabes, des étrangers, de quelqu’un qui frappe à la porte, même quand je prends un bain. »

« Ils ont vraiment peur parce que je suis un exemple »

- Rabih Alenezi 

« Vous savez pourquoi ? Le prince héritier [Mohammed ben Salmane], c’est un fou. Il n’a pas tiré de leçon de ce qu’il a fait avec le meurtre [du journaliste Jamal] Khashoggi. Quand on a affaire à un fou, il faut s’attendre à tout. »

Rabih Alenezi raconte qu’il ne s’attendait pas à devenir un dissident et à demander l’asile lorsqu’il a décidé de se rendre au Royaume-Uni en février.

Il dit avoir vu cette visite comme une chance de se vider l’esprit dans un pays qu’il connaissait bien pour y avoir étudié l’anglais et la gestion dans des programmes financés par le gouvernement saoudien. 

Mais au bout de deux semaines, il a commencé à se demander pourquoi il n’avait jamais dénoncé les atteintes aux droits de l’homme dans son pays. « Je n’ai jamais dit ça de toute ma vie. Pourquoi est-ce que je ne le dis pas ici au Royaume-Uni ? », s’est-il interrogé.

Dans son pays, il dit avoir « poliment » évité certaines missions pendant des années.

Une fois au Royaume-Uni, il a donc posté un tweet – qu’il qualifie également de poli – appelant les policiers saoudiens à refuser d’espionner les gens, à combattre les « crimes normaux » et les « méchants ». « Simples conseils », a-t-il précisé.

Il raconte avoir rapidement été traité de traître et couvert de honte, un retour de flamme qui lui a fait réaliser qu’il devenait – ou était déjà devenu – un dissident. Il a annoncé sa défection et a commencé à faire part de ses critiques sur internet.

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Il s’est dit préoccupé par les disparitions forcées, a qualifié la stratégie Vision 2030 du prince héritier Mohammed ben Salmane de désastreuse et a tweeté sur la tribu des Howeitat, qui, selon les organisations de défense des droits de l’homme, a été déplacée de force pour faire place au mégaprojet Neom à 500 milliards de dollars.

Alenezi relate qu’il a été appelé en 2020 à se déployer à Tabuk, à près de sept heures de route de son domicile d’Arar, dans le nord du pays, pour une « mission de sécurité » visant à gérer les manifestations contre la démolition de maisons pour le projet.

« Je sais que ce qu’ils font est mal. C’est pourquoi je leur ai dit : “Les gars, je suis malade” », confie-t-il. « En fait, je n’étais pas malade, mais j’en ai marre du prince héritier. »

Pendant le dernier Ramadan, il raconte qu’on lui a demandé de se rendre dans la province de Qatif, encore une fois loin d’Arar, pour espionner les musulmans chiites priant dans les mosquées et surveiller leurs activités. Pour éviter de violer les droits de quiconque, il a dit à ses supérieurs qu’il avait prévu des vacances avec sa famille et qu’il ne pouvait pas venir.

L’Escadron du Tigre « existe encore »

En privé, il a averti ses collègues policiers qu’ils devraient remettre en question les ordres du prince héritier et a pointé du doigt l’Escadron du Tigre, l’unité secrète mise en place sous le prince héritier dans le but d’assassiner secrètement des dissidents saoudiens dans le royaume et à l’étranger, y compris le journaliste Jamal Khashoggi.

« Ces gens ont tué Khashoggi et maintenant ils sont en prison. Donc, si on dit oui à tout venant du prince héritier, à la fin, on sera en prison », affirmait-il à ses collègues. 

« L’Escadron du Tigre existe encore », ajoute-t-il. « Certains sont en prison, mais d’autres officiers les ont remplacés. »

Il reconnaît que le gouvernement saoudien a été très généreux envers lui, finançant ses études au Royaume-Uni et aux États-Unis, où il a suivi des cours dans une école de police en Arizona et s’est formé aux côtés de la police de Phoenix, selon les certificats qu’il a montrés à MEE.

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« J’ai une voiture, une bonne maison. Ma vie était parfaite. Mais ce n’est pas une question d’argent et de maisons. Il s’agit de ma dignité », insiste-t-il.

Rabih Alenezi pense qu’il fait peur aux dirigeants saoudiens et a donc attiré l’attention de centaines de comptes pro-saoudiens parce qu’ils pensent que d’autres officiers suivront.

« Ils ont vraiment peur parce que je suis un exemple », estime-t-il.

Au cours des quelques semaines passées au Royaume-Uni, il a constaté une augmentation constante du volume et de l’intensité des attaques en ligne à son encontre. Son compte Twitter a été brièvement suspendu. Après avoir été rétabli, il a été piraté et reste inaccessible.

Le compte Twitter qui a publié la prime pour connaître la localisation d’Alenezi a signalé avoir appelé un restaurant sur Edgware Road la semaine dernière pour en chasser l’ex-officier qui critiquait l’Arabie saoudite dans un live Tik Tok. Le compte explique avoir analysé le mobilier du restaurant, l’avoir trouvé à l’aide de Google Maps, puis avoir passé un coup de fil.

Le Saoudien Abdullah Alaoudh, directeur de Freedom Initiative, basé à Washington, indique que les attaques contre Alenezi sont coordonnées, systématiques et se sont intensifiées très rapidement.

« Marcher libre »

L’Arabie saoudite déploie régulièrement des armées de trolls pour traquer les dissidents à l’étranger, mais Alaoudh précise que la prime est une première.

« Ils veulent faire de lui un exemple en essayant de le faire taire. Je pense qu’ils veulent vraiment l’assassiner. Je n’exagère pas », insiste-t-il.

Alaoudh dit avoir été en contact avec Twitter au sujet de la situation d’Alenezi et que l’entreprise est au courant, mais qu’il y a « un manque d’action de leur part ». 

Le service de presse de Twitter a répondu lundi aux questions de MEE avec l’émoji caca, sa nouvelle réponse automatique à tous les journalistes

La police londonienne ne pouvait pas confirmer l’existence d’une enquête relative à Alenezi au moment de la publication. 

« Ils veulent faire de lui un exemple en essayant de le faire taire. Je pense qu’ils veulent vraiment l’assassiner »

- Abdullah Alaoudh, directeur de Freedom Initiative

L’ambassade saoudienne au Royaume-Uni n’a pas répondu aux sollicitations de MEE au moment de la publication.

Pendant ce temps, la situation d’Alenezi est surveillée de près par d’autres dissidents saoudiens au Royaume-Uni. 

Lors d’une manifestation devant l’ambassade saoudienne vendredi, la vidéo du TikTok d’Alenezi chassé du restaurant a suscité l’inquiétude de plusieurs manifestants qui ont fait remarquer à quel point il avait été facile de le retrouver et de convaincre le personnel de le faire taire.

Une militante qui a fui le royaume l’année dernière après l’arrestation de plusieurs amis pour avoir critiqué le gouvernement a confié lundi à MEE qu’être témoin de ce que vivait Alenezi en ce moment l’effrayait, même si elle s’exprime anonymement depuis l’étranger.

« J’espère un jour révéler mon identité et marcher libre », déclare-t-elle. « Tant que notre identité est cachée, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour notre peuple. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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