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Attentats de Beyrouth : pourquoi maintenant et quelle sera la prochaine étape ?

L’État islamique a revendiqué l’attentat meurtrier ayant ravagé le fief du Hezbollah à Beyrouth, causant la mort d’au moins 43 personnes

Un double attentat-suicide a ravagé la ville de Beyrouth hier, et plus précisément la zone de Burj el-Barajneh dans la banlieue sud de Beyrouth.

Au moins 43 personnes ont été tuées et plus de 230 personnes ont été blessées, d’après les dires du ministre de la Santé alors que les chiffres pourraient être revus à la hausse.

L’attaque, revendiquée par le groupe de l’État islamique, fut la plus meurtrière depuis la fin de la guerre civile il y a 25 ans, et survient après une période de calme relatif. Le dernier incident à Beyrouth remonte au mois de juin dernier lorsqu’un kamikaze s’est fait exploser après que la police ait tenté de prendre d’assaut l’hôtel de Beyrouth dans lequel il se trouvait.

Comment et pourquoi la violence refait-elle surface maintenant ? Sommes-nous sur le point d’assister à une résurgence des tensions survenues il y a plus d’un an lorsque le Liban était au bord du gouffre? Middle East Eye s’est entretenu avec de nombreux experts afin de recueillir leurs impressions sur la crise qui touche le pays aujourd’hui.

Comment une telle attaque peut-elle se produire ?

Aaram Nerguizian, chercheur principal du Centre d’études stratégiques et internationales de Washington

« Les services de sécurité libanais – dont le LAF [Forces armées libanaises], l’ISF [Forces de sécurité intérieure du Liban] et le GSD [Département de la Sécurité générale] – ont renforcé leurs dispositifs pour la collecte des renseignements au cours de la période allant de 2011 à 2015. Entre-temps, le Hezbollah a continué de maintenir une surveillance accrue de la situation dans les lieux qui supportent ce dernier. Cependant, toute mesure d’urgence pour la sécurité du sud du Beyrouth est toujours compliquée, voire compromise, dans la mesure où les responsables de la sécurité nationale libanaise font face à des obstacles en intervenant dans des zones qu’ils ne “possèdent” tout simplement pas, d’un point de vue institutionnel. »

« Ensuite, bien que les opérations pour la sécurité intérieure figurent toujours parmi les priorités actuelles des Forces armées libanaises en matière de sécurité nationale, l’importance d’assurer la défense de la frontière à l’Est, la nécessité d’assurer une présence à l’échelle nationale, en déployant des troupes dans chaque quartier, et une méfiance appropriée à l’encontre des opérations policières – qui devraient être organisées par les Forces de sécurité intérieure du Liban et le Département de la Sécurité générale – représentent de réelles contraintes en termes de ressources. »

« Enfin, il suffit d’une seule opération terroriste réussie pour ruiner, de manière significative, les nombreux efforts majeurs déployés par les responsables libanais de la sécurité nationale – dont les Forces armées libanaises - dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, je ne spéculerai pas sur les personnes à l’origine des attaques, même si nous nous avons déjà forgés des hypothèses initiales solides. »

Pourquoi maintenant ?

Phillip Smyth, chercheur à l’université du Maryland, spécialiste du groupe Hezbollah et des milices chiites

« Pour ce qui est du contexte, quelques problèmes subsistent. Les rebelles sunnites et les groupes djihadistes ont tenté de frapper le Hezbollah du fait du soutien qu’il apporte au régime du Président syrien Bachar al-Assad et de l’intervention directe dans la guerre civile en Syrie. Suite à la vague de bombardements en 2013-2014, à l’encontre de cibles iraniennes et de zones sous le contrôle général du Hezbollah, ce dernier a renforcé les mesures de sécurité dans les lieux où ces groupes sont présents. Cela a permis d’empêcher un grand nombre d’attaques. Cependant, suite au renforcement drastique et plutôt médiatisé du Hezbollah, des forces iraniennes et des autres combattants chiites en Syrie, soutenus par les forces iraniennes, dont les offensives s’étendent d’Idlib à Alep, les groupes combattant le Hezbollah souhaitent trouver un moyen de frapper le Hezbollah sur « son propre terrain. »

Sami Nader, professeur d’économie et de politique à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth

« Cela provient sans aucun doute de la Syrie. Je pense qu’il s’agit d’une réponse directe aux évènements survenus, plus tôt cette semaine, à Alep, sur la base aérienne de l’aéroport de Kweires où l’aéroport [sous le contrôle de l’État islamique] est tombé entre les mains du régime syrien… C’est une sorte d’action-réaction, vous nous attaquez sur notre terrain alors nous vous attaquons sur le vôtre.

« Il ne s’agit pas de la première vague de répercussions. Des évènements similaires ont pris fin il y a un an et demi. Après les bombardements de la banlieue Dahieh, de Tripoli, et d’autres lieux dans Beyrouth, ce cycle de violence a pris fin suite à un compromis régional. Cela comprend la rétrogradation du (Prince) Bandar (anciennement chef du renseignement saoudien) et la mise en place d’un filet de sécurité afin de s’assurer que les Libanais restent neutres. Cela a permis la formation d’un gouvernement et du dialogue entre le Hezbollah et le mouvement Courant du futur au Liban, mais nous constatons désormais que cette mesure de sécurité ne fonctionne pas – des éléments subsistent comme la vacance présidentielle, l’absence de dialogue entre le Hezbollah et le Courant du futur, et la présence, à l’échelle régionale, d’un nouvel acteur qu’est l’État islamique, et qui ne profitait pas d’une telle influence lorsque la première vague de violences a dévasté le Liban. »

Makram Rabah, analyste et chroniqueur libanais

« Les tensions entre chiites et sunnites – surtout au Yémen et en Syrie – ont fragilisé le Liban du fait des failles en matière de sécurité. L’État libanais est incapable de surmonter les obstacles qui se dressent face à lui dans la mesure où le Parlement et le Cabinet n’ont plus aucun pouvoir. Il y a deux ans, les mesures efficaces pour lutter contre le terrorisme ont pu être mises en œuvre grâce à la cohésion interne, ce qui n’est plus le cas de nos jours ».

Quel avenir ?

Lina Khatib, chercheur adjoint en chef au sein de l’Initiative de réforme arabe, un groupe de réflexion situé à Paris.

« Les attentats à la bombe sont survenus suite au crash de l’avion russe en Égypte. Bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement du même groupe terroriste à l’origine des deux incidents [bien que l’État islamique ait revendiqué les deux incidents], nous commençons à constater une tendance en matière d’attaques opportunistes assimilées à une vengeance à l’encontre des partisans du régime syrien. Cela signifie que nous devons nous attendre à de nouvelles attaques de ce type dans un futur proche car les groupes opposés à Bachar al-Assad souhaitent contrer les tentatives de ses alliés visant à soutenir le régime syrien. »

 

Photo : La banlieue sud de Beyrouth, connue comme un fief du Hezbollah, a été ravagée par un attentat meurtrier (AFP).


Traduction de l’anglais (original) par STiiL

 
 
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