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Les plans du Premier ministre israélien pour Gaza après la guerre sont « vagues et irréalistes »

La proposition israélienne de confier l’administration des territoires démilitarisés à des chefs de tribus locaux ne sera pas acceptée par les Palestiniens ou les États arabes, affirment des analystes à MEE
Un homme assis au milieu des décombres de maisons détruites après un bombardement israélien à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 février 2024 (AFP/Mohammed Abed)

Le plan d’après-guerre pour la gouvernance de Gaza présenté par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou est vague et a peu de chances d’être adopté, selon les analystes qui se sont entretenus avec Middle East Eye.

Lors d’une réunion du cabinet de sécurité, jeudi 22 février, Benyamin Netanyahou a proposé qu’Israël continue d’assurer la sécurité de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées après la fin de la guerre en cours.

Le Premier ministre a déclaré que Gaza serait démilitarisée et déradicalisée à moyen terme, et a proposé qu’Israël maintienne une présence le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte, y compris au point de passage de Rafah.

En matière de gouvernance, Benyamin Netanyahou a suggéré de remplacer le Hamas par des représentants locaux « qui ne sont pas affiliés à des pays ou à des groupes terroristes et qui ne sont pas soutenus financièrement par ceux-ci ».

Benyamin Netanyahou a également déclaré que l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, devrait être dissoute et remplacée par d’autres organisations internationales.

Ces propositions, dont Reuters a pris connaissance, ne prévoient pas de calendrier pour la réalisation des différents objectifs israéliens.

« Le plan n’offre aucune solution viable ; au contraire, il s’agit d’un plan visant à réoccuper Gaza différemment », affirme à MEE Feras Abu Helal, chroniqueur et rédacteur en chef du site d’information Arab21.

Andreas Krieg, maître de conférences à l’École des études de sécurité du King’s College de Londres, s’est dit « déçu » par ces projets.

« Il ne s’agit pas vraiment d’une extension des vagues déclarations et projets que Benyamin Netanyahou et son gouvernement ont présentés au cours des derniers mois », explique-t-il à MEE.

Andreas Krieg remet en question la formulation au sujet des dirigeants locaux non affiliés à des « groupes terroristes » appelés à jouer un rôle dans l’administration de l’enclave.

« Cela signifie-t-il que toute personne ayant travaillé dans l’administration [actuelle de Gaza] et ayant reçu des paiements par l’intermédiaire de l’administration centrale du Hamas est désormais considérée comme terroriste et ne peut plus travailler dans l’administration ? », s’interroge-t-il.  « Cela ne fonctionne pas. »

« Le plan n’offre aucune solution viable […], il s’agit d’un plan visant à réoccuper Gaza différemment »

- Feras Abu Helal, chroniqueur

Une telle approche rappelle l’opération militaire menée par les États-Unis en Irak en 2003, selon Andreas Krieg, au cours de laquelle le parti Baas de Saddam Hussein a été complètement éliminé.

« L’élément le plus important et le plus notable de l’échec stratégique en Irak a été l’éradication complète de l’ancienne administration », indique Andreas Krieg.

« Le Hamas, plus que le parti Baas, est profondément ancré dans le tissu local de l’administration, de la gouvernance et de tout ce qui a trait à la société civile [à Gaza]. »

Il affirme ainsi qu’aux termes des propositions de Benyamin Netanyahou, il ne resterait plus aucun Palestinien à Gaza qui pourrait gouverner le territoire.

Les propositions ne mentionnent pas l’Autorité palestinienne (AP), qui gouverne la Cisjordanie occupée.

« Population docile »

Laleh Khalili, universitaire à l’Institut d’études arabes et islamiques de l’Université d’Exeter, estime que les propositions du Premier ministre israélien reflètent l’état d’esprit israélien depuis un certain temps.

« Ce que veut Netanyahou, c’est une population totalement docile, contrôlée par un sous-traitant sécuritaire encore plus docile que l’Autorité palestinienne », explique-t-elle à MEE.

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« C’est un fantasme des sionistes révisionnistes qui remonte [à la figure idéologique] du Likoud, Vladimir Ze’ev Jabotinsky, fasciste déclaré, qui croyait qu’un "mur de fer de baïonnettes juives" vaincrait les Palestiniens et les forcerait à accepter une position de soumission permanente. »

Laleh Khalili estime que rien ne permet de penser qu’une telle réalité se concrétisera.

« Le siècle dernier a montré à quel point les Palestiniens ont fait preuve de résilience, d’ingéniosité et ont insisté sur leur dignité, leur humanité et leur droit à l’autodétermination. »

Feras Abu Helal affirme qu’Israël ne trouvera pas de partenaires palestiniens pour jouer le rôle d’une autorité civile.

« Israël a tenté un plan similaire dans les années 70 du siècle dernier en Cisjordanie en soutenant la ’’Ligue des villages’’ (Rawabit al-Qura). Mais cela a fini par échouer parce que les Palestiniens les considéraient comme des traîtres », explique-t-il.

Adhésion du monde arabe

Pour mettre en œuvre les plans d’après-guerre pour Gaza, Israël devra également consulter les acteurs régionaux, notamment l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar.

Feras Abu Helal estime que les propositions, dans leur version actuelle, « ne tiennent pas compte des préoccupations de l’Égypte ».

Les États arabes dirigeront probablement la reconstruction du territoire ravagé une fois la guerre terminée, aux côtés des pays occidentaux et de l’ONU.

« Ce que veut Netanyahou, c’est une population totalement docile, contrôlée par un sous-traitant sécuritaire encore plus docile que l’Autorité palestinienne »

- Laleh Khalili, universitaire

« Au minimum, [Israël] doit obtenir l’adhésion du monde arabe », ajoute Andreas Krieg.

« Pour cela, il doit disposer d’une feuille de route claire conduisant à une autonomie, qui doit inclure l’Autorité palestinienne d’une manière ou d’une autre, mais aussi les [populations] de Gaza qui sont affiliées au Hamas. »

« Il n’est pas possible de compter seulement sur le Fatah pour prendre le relais. Cela ne serait pas accepté. »

Selon Andreas Krieg, les voisins arabes s’attendront à ce que la démilitarisation comprenne le départ des troupes israéliennes de Gaza, ce qui n’est pas prévu dans les plans d’après-guerre.

D’après Feras Abu Helal, un plan d’après-guerre doit inclure une autonomie politique et économique pour les Palestiniens.

« Tout plan viable pour Gaza et la Cisjordanie après la guerre devrait mettre fin au siège permanent de Gaza et donner aux Palestiniens le droit d’avoir leur propre aéroport et leur propre port maritime, sous la supervision de l’Europe et des pays arabes », ajoute Feras Abu Helal.

« [Il devrait] ouvrir le poste-frontière de Rafah à l’aide et au commerce, donner aux Palestiniens le droit de choisir qui les gouverne, mettre fin aux colonies en Cisjordanie et parvenir à une solution politique qui garantisse aux Palestiniens leurs droits sur leurs terres. »

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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