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Ahmed Azirar : « Les conséquences du coronavirus et de la sécheresse au Maroc seront lourdes, d’autant que Ramadan approche »

Au Maroc, la propagation du nouveau coronavirus coïncide avec une grande sécheresse. Quels effets ces deux crises auront-elles sur l’économie ? Les réponses de l’économiste Ahmed Azirar, cofondateur de l’Institut marocain d’intelligence stratégique
Le risque de sécheresse suscite une grande inquiétude au Maroc, pays fortement dépendant de son secteur agricole qui affronte un sévère déficit des pluies affectant ses ressources en eau (AFP)
Par Bilal Mousjid à CASABLANCA, Maroc

Pour faire face à la propagation du nouveau coronavirus, le Maroc a suspendu le 15 mars tous les vols internationaux en provenance et à destination du pays. Le ministère de la Santé a annoncé dix nouveaux cas dimanche, ce qui porte le bilan à 28 cas confirmés, dont un décès. Mais toujours selon les chiffres officiels, les cas détectés ont triplé en trois jours.

Le roi Mohammed VI a d’ailleurs donné ses instructions pour que soit créé un fonds de dix milliards de dirhams (plus de 900 millions d’euros) pour soutenir le dispositif médical et l’économie afin d’accompagner les secteurs les plus touchés. D’autant que cette crise inédite coïncide avec une sécheresse annonçant une année particulièrement difficile pour l’agriculture, un des piliers de l’économie marocaine.

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Middle East Eye : Crise sanitaire du COVID-19 et sécheresse de grande ampleur : le Maroc traverse une période particulièrement difficile. Peut-on évaluer les conséquences que cette double crise aura sur l’économie marocaine ?

Ahmed Azirar : L’épidémie provoque une crise inédite, mondiale, qui impacte profondément le monde et même la mondialisation, et impose aux pays un changement de paradigme économique et social. Le Maroc en souffre comme les autres pays.

Il se trouve que cette crise coïncide avec une sécheresse assez conséquente qui impacte lourdement l’agriculture avec un effet désastreux sur les céréales et le bétail. Or, Ramadan approche et l’Aïd al-Adha demande cinq à six millions de têtes à abattre. Le Maroc va devoir importer du blé, du maïs et de l’orge.

Le blocage de la chaîne mondiale d’approvisionnement risque de bouleverser notre économie dans l’automobile, le tourisme – qui pâtit déjà de la crise à cause des annulations de réservations –, les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE), les investissements directs étrangers… Ce sera une année assez difficile avec un taux de croissance qui risque d’être très bas. D’autant que nos partenaires directs, à savoir la France et l’Espagne, sont touchés.

MEE : Cette crise vient aussi interroger certains choix politiques et économiques faits par le royaume. Quelles leçons en retenir ?

AA : Il faut changer de cap, bien entendu. Comme je l’ai souligné, la mondialisation va changer de visage : les achats occidentaux chez les pays low cost seront revus à la baisse, tout comme le processus de relocalisation. On peut aussi prévoir un gonflement des dettes publiques. Emmanuel Macron a franchi le cap en parlant de souveraineté. Tout cela aura un impact indélébile. Le Maroc doit revoir ses politiques. À court terme, la loi de finance sera rectifiée car toutes les données sur lesquelles elle a été élaborée ont été bouleversées.

Il faut lancer des programmes pour la décennie, basés sur le digital, la biotechnologie ou l’industrie 4.0

Et c’est le moment, en effet, de revenir sur un certain nombre de choix. Nous avons, par exemple, négligé l’autosuffisance et voulu tout donner à l’investissement étranger.

Il est temps que l’État stratège prenne ses responsabilités, revienne à l’autosuffisance alimentaire et prenne en main l’industrie au lieu de la laisser aux étrangers qui feront tôt ou tard le choix de relocaliser leurs activités. Il faut lancer des programmes pour la décennie, basés sur le digital, la biotechnologie ou l’industrie 4.0. Il faut les lancer rapidement avec des capacités, notamment une task force pour ficeler les projets et les exécuter, pour qu’ils puissent donner rapidement leurs fruits.

En période de crise, il faut lancer une politique contracyclique massive [qui adopte les tendances inverses de celles du cycle économique conjoncturel], un plan d’investissement très ambitieux. Comme on est en pleine réflexion sur un nouveau modèle de développement, profitons des taux au plus bas sur les marchés financiers. Un plan très important – de plus de cinq milliards d’euros – permettra de créer toutes ces nouvelles industries dont on rêve et entamer la relance. C’est le moment.

MEE : Cela devra passer par une remise en cause de la règle d’or budgétaire (un minimum de 3 % de déficit), si chère au FMI, et que le Maroc observe religieusement, parfois, au détriment de ses intérêts

AA : Je fais partie des économistes qui ont toujours dit qu’il existe un bon déficit et un mauvais déficit, comme il y a un mauvais cholestérol et un bon cholestérol. Emprunter ou creuser un déficit budgétaire pour booster un investissement créateur d’emplois et de richesse, c’est un déficit salvateur. Il faut oser le déficit.

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