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Amr Waked : « Le régime de Sissi compte de nombreux opposants qui n’appartiennent pas au courant islamique »

L’acteur égyptien et star d’Hollywood Amr Waked revient pour MEE sur son opposition au gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi et son appel à porter du noir lors du référendum constitutionnel visant à prolonger son mandat
L’acteur égyptien Amr Waked participant aux manifestations anti-gouvernementales sur la place Tahrir, en février 2011 (AFP)

L’acteur égyptien Amr Waked s’est fait connaître dans des films hollywoodiens tels que Syriana et Des saumons dans le désert, en plus de nombreux films et spectacles égyptiens.

Mais plus récemment, l’artiste, qui vit en exil volontaire en Europe, a fait la une en raison de ses prises de position contre le gouvernement égyptien dirigé par le président Abdel Fattah al-Sissi, se distinguant de la plupart des célébrités égyptiennes qui soutiennent largement le chef de l’État – ce qui a fait de lui l’objet d’un important retour de bâton. 

Amr Waked, deuxième à gauche, et Khaled Abol Naga, deuxième à droite, assistent à un panel sur les droits de l’homme à Washington en mars (MEE/Ali Harb)
Amr Waked, deuxième à gauche, et Khaled Abol Naga, deuxième à droite, assistent à un panel sur les droits de l’homme à Washington en mars (MEE/Ali Harb)

Après une visite à Washington le mois dernier, où lui et son confrère Khaled Abol Naga ont publiquement critiqué les autorités égyptiennes lors d’une audience au Congrès américain, les deux hommes ont fait face à une vive réaction dans leur pays.

Le syndicat des acteurs égyptiens a exclu les deux artistes de l’organisation et un magazine progouvernemental a publié un photomontage des acteurs, torse nu dans les bras l’un de l’autre, avec en arrière-plan la chanteuse Sherine Abdel Wahab, elle-même accusée d’avoir « insulté l’Égypte » dans ses déclarations publiques. Le titre clamait « Agents et plus ».

Dans une interview pour MEE, Amr Waked relève que ses déclarations aux États-Unis ont porté « un coup fatal » au gouvernement égyptien car elles montrent que l’opposition égyptienne englobe un large éventail de citoyens.

Il explique également pourquoi il n’a pas voté lors des dernières élections dans le pays, pourquoi il votera au référendum à venir sur les modifications de la Constitution qui permettraient à Sissi de rester au pouvoir jusqu’en 2030 et pourquoi il portera du noir à cette occasion.

Middle East Eye : Qu’avez-vous pensé de la réaction du gouvernement vis-à-vis de vos réunions à Washington ?

Amr Waked : C’était la campagne la plus cruelle et la plus violente jamais lancée contre nous. Cette attaque était sans précédent et a atteint de terribles niveaux de désinformation et d’infamie dans le but de nous déshonorer.

Nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec quiconque réduit la grandeur de l’Égypte à une seule personne ou à un système politique particulier, ou à des choix et à des décisions auxquels nous sommes fermement opposés. C’est un droit constitutionnel garanti à tous les citoyens égyptiens et je vous assure que cette campagne de diffamation organisée et méthodique ne me fera reculer sur aucune de mes positions, de mes idées ni aucun de mes principes.

Cela n’entamera pas non plus ma conviction que ceux qui nous dirigent représentent un grand danger et qu’ils sont les véritables ennemis de l’Égypte.

MEE : Quand la campagne de diffamation dans les médias a-t-elle commencé et pourquoi ?

AW : Depuis la fin de l’année 2013, il y a eu des abus et des attaques répétés à la télévision et dans divers médias favorables au régime, notamment des attaques visant à me déchoir de ma nationalité égyptienne et à m’accuser de trahison, venant s’ajouter à d’innombrables autres accusations.

Tout cela parce que je croyais au besoin de changement dans mon pays.

MEE : Avez-vous intenté une action en justice contre ces campagnes ?

AW : J’ai engagé de nombreuses poursuites contre ceux qui m’ont calomnié et diffamé. Je me suis présenté au tribunal moi-même. Cependant, le pouvoir judiciaire a malheureusement acquitté toutes ces personnes, comme si elles n’avaient commis aucun crime contre un citoyen égyptien.

MEE : Pourquoi vos activités au Congrès américain ont-elles déclenché cette vague d’accusations contre vous ?

AW : Le régime tente de convaincre la communauté internationale que les Frères musulmans et les islamistes sont ses seuls opposants, mais cette affirmation biaisée a perdu du terrain avec notre visite.

« Le régime tente de convaincre la communauté internationale que les Frères musulmans et les islamistes sont ses seuls opposants »

Pour la première fois, nous avons réussi à transmettre un message clair à la communauté internationale : le régime compte de nombreux opposants qui n’appartiennent pas au courant islamique.

Informer tout le monde, dans le pays ou à l’étranger, que le cercle des opposants politiques et populaires au régime s’est élargi et englobe tous les différents spectres et convictions politiques affecte le régime et lui porte un coup fatal.

Il est désormais contraint d’expliquer au monde la raison pour laquelle toutes ces communautés populaires et sociétales sont des opposants et de justifier pourquoi des artistes, des scientifiques et des écrivains qui se soucient uniquement de l’avenir de l’Égypte et de ses enfants sont emprisonnés.

MEE : Qui est responsable de la prétendue « guerre contre le terrorisme » du gouvernement ?

AW : Le terrorisme a commencé à se développer et à se répandre dans toute l’Égypte sous le régime actuel en raison de ses pratiques et politiques répressives en matière de sécurité – des pratiques que tout le monde connaît. Le scénario du terrorisme a été projeté lors de l’événement [le coup d’État] qui s’est déroulé le 3 juillet 2013. Sissi lui-même estimait que cette menace était réelle lorsqu’il a demandé un mandat pour y faire face.

Cependant, au cours des six dernières années, la stratégie antiterroriste s’est élargie pour cibler non seulement la police et l’armée, mais également les civils coptes et pro-régime ainsi que les touristes, plus récemment.

La zone géographique du terrorisme s’est également élargie. Il était auparavant confiné au Sinaï, mais aujourd’hui, il a atteint le cœur de la capitale, qui a été le théâtre de nombreux incidents terroristes. Le terrorisme a également touché certains gouvernorats du sud et du nord, suscitant des interrogations sur les responsables et les bénéficiaires des attaques.

Sans terrorisme, l’existence d’un leadership militaire serait-elle nécessaire ? Je pense que la présence du terrorisme est très importante pour le maintien de l’État militaire, lequel se nourrit des craintes des citoyens, qui sont alimentées par la situation dans les pays voisins et les menaces constantes. De cette manière, ils sont facilement manipulables et ne revendiquent pas leurs droits et leurs libertés.

Un bus transportant des touristes vers les pyramides de Gizeh a été touché par une bombe placée au bord de la route en décembre, faisant quatre morts et dix blessés (AFP)
Un bus transportant des touristes vers les pyramides de Gizeh a été touché par une bombe placée au bord de la route en décembre, faisant quatre morts et dix blessés (AFP)

Nous souffrons vraiment du terrorisme, car il est devenu un fait réel de nos jours. Cependant, il faut examiner les raisons qui le sous-tendent et les traiter de manière appropriée afin que la crise ne s’aggrave pas, rendant le terrorisme insupportable et incontrôlé.

L’idéologie extrémiste existe et les prisons ont engendré des extrémistes qui saisissent les occasions de recruter des ignorants et des innocents en manipulant leur esprit et leurs sentiments pour se venger de la terrible injustice à laquelle ils ont été victimes. Les extrémistes attirent les opprimés, qui sont devenus nombreux en Égypte.

La religion peut être l’un des déclencheurs du terrorisme, mais les principales causes en sont l’oppression, l’injustice et la haine. Le terroriste en Nouvelle-Zélande n’était pas un musulman. Par conséquent, le terrorisme n’a pas de religion, c’est plutôt un phénomène lié à la haine, à l’incitation à la haine, à la moralité et à la vengeance.

MEE : Comment se sont déroulées vos réunions avec des membres du Congrès américain et du département d’État ? Ont-ils compris ce que vous défendez ?

AW : J’ai évoqué la situation égyptienne de mon point de vue personnel et ses perspectives d’avenir. J’ai expliqué les abus dont j’ai été victime en tant qu’acteur indépendant égyptien. Je n’ai pas demandé leur sympathie ni déposé aucune requête.

« Les responsables américains sont parfaitement au courant de ce qui se passe en Égypte et des détails des événements – encore plus que les Égyptiens »

Les responsables américains sont parfaitement au courant de ce qui se passe en Égypte et des détails des événements – encore plus que les Égyptiens… Ils travaillent directement avec le gouvernement égyptien et ses institutions militaires, clairement en tant qu’alliés, et échangent également des connaissances dans différents domaines.

Mon message était clair : le changement se produit inévitablement en Égypte. Nous voyons ses caractéristiques et ses signes avant-coureurs. Vous devez respecter les souhaits et les aspirations du peuple égyptien, ainsi que ses choix, et vous y tenir. Vous ne devez pas vous opposer à la volonté et aux initiatives des Égyptiens dans leur quête de changement, car vos intérêts sont en de bien meilleures mains auprès du peuple égyptien qu’auprès de ceux qui l’oppriment et l’écrasent.

MEE : Comment répondez-vous à ceux qui vous accusent de demander de l’aide à des forces extérieures au pays ?

AW : Je suis contre le fait de demander l’aide de forces extérieures. Ce comportement est typique des officiels au pouvoir. Comment un artiste peut-il demander l’aide de tiers ? Est-ce que revendiquer ses droits est considéré comme une demande de soutien auprès de parties étrangères ? Tout ce que j’ai, c’est ma liberté d’expression, et je ne représente aucune autorité, aucun groupe ni aucune institution. 

J’ai exprimé mon opinion en Égypte. On m’a alors informé que j’avais été condamné à une peine militaire de huit ans simplement parce que j’avais exprimé mon opinion. Quand j’ai exprimé mon opinion à l’étranger, on a prétendu que je cherchais le pouvoir à l’étranger.

En réalité, celui qui va chercher des armes à l’étranger pour harceler son peuple est celui qui cherche le pouvoir à l’étranger. Celui qui paye des millions de dollars à l’Occident pour des armes qui ne sont pas utilisées alors que son peuple traverse la pire crise économique est celui qui cherche le pouvoir auprès des parties étrangères.

Cela se produit alors que les dettes sur le plan national et international atteignent des sommets effrayants. Des promesses insensées sont faites : construire une nouvelle capitale, de nouvelles prisons et d’autres projets que nous ne considérons pas comme nécessaires et qui ne serviront à rien, tant que le réseau ferroviaire sera endommagé et que des citoyens se feront tués.

MEE : Pourquoi avez-vous entrepris cette démarche maintenant, alors que la détérioration de la situation des droits de l’homme a commencé avec les événements du 3 juillet 2013 ? Ne pensez-vous pas qu’il était tard pour entreprendre une telle démarche ?

AW : Je ne sais pas s’il est tard ou pas. Et si c’est tard, comme certains le pensent, il vaut mieux tard que jamais.

MEE : Reproduirez-vous ce que vous avez fait à Washington dans d’autres capitales occidentales ?

AW : En effet, cela pourrait se reproduire. Nous n’avons plus de tribune à l’exception des tribunes à l’étranger. Si tous les prisonniers politiques étaient libérés et que les autorités s’engageaient à ce que les opposants ne soient pas poursuivis pour des affaires fabriquées de toutes pièces, la première capitale dans laquelle nous nous exprimerions serait le Caire. Malheureusement, cela s’avère impossible à présent.

Dans la période à venir, je m’attacherai davantage à exprimer mon opinion sur les violations de la Constitution. Notre objectif est de sensibiliser les Égyptiens en Égypte comme à l’étranger aux dangers de tels amendements. Ils devraient les rejeter s’ils veulent la justice, leurs libertés et leurs droits et s’ils aspirent à un avenir meilleur pour toutes les franges de la société, sans exclusion ni discrimination.

MEE : Quels sont vos projets futurs à cet égard ?

AW : Je prépare actuellement la campagne « Haak Alaya Ya Masr » (Pardonne-moi, Égypte). J’essaie d’unir les gens et de les inviter à participer au prochain référendum vêtus de noir et, lorsqu’ils voteront, de montrer leur rejet populaire et le prouver devant toutes les caméras et tous les médias.

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Ceci, à mon avis, mettra le régime dans une situation critique et rendra difficile la falsification des résultats. Ces images de noirceur seront la preuve évidente de leur rejet, un moyen de garantir les droits de nos enfants et de notre pays à la liberté, à la justice et à des conditions de vie décentes.

Ce référendum est une véritable opportunité d’opérer un changement, en particulier à la lumière du rejet populaire des amendements constitutionnels et du fait que le boycott en cours depuis le 3 juillet 2013 n’a pas encore abouti à des résultats tangibles, à l’exception d’un nouvel échec. Par conséquent, nous sommes pressés d’aller de l’avant et de penser différemment.

J’ai boycotté toutes les récentes élections, mais pour quel résultat ? Nul. Notre boycott des élections législatives a abouti à la formation d’un Parlement qui ne nous représente pas. Le Parlement actuel est responsable des terribles amendements constitutionnels. Nous avons boycotté les précédentes élections présidentielles. Le résultat est que nous sommes toujours dirigés par le même président. 

Par conséquent, nous devons adopter une approche différente cette fois-ci. Cela portera peut-être ses fruits et ouvrira la voie au changement souhaité.

MEE : Qu’en est-il des personnes qui pourraient refuser de porter du noir par peur de mauvais traitements ou d’arrestation ?

AW : C’est triste que nous en soyons arrivés à cette situation. Cela nous invite à unir nos forces pour mettre fin à ce règne de l’intimidation. Si nous en sommes au stade où certains ont peur de porter du noir, nous n’avons pas le droit de rêver de changement ou quoi que ce soit. Nous serons obligés de demander la permission aux autorités même dans nos rêves.

« Personnellement, je porterai des vêtements noirs et irai voter le jour du référendum et je dirai mille fois “non” »

La répression en Égypte a-t-elle atteint ce niveau terrible de peur ? Ce serait très frustrant, mais je ne pense pas que les choses aient atteint ce niveau.

Personnellement, je porterai des vêtements noirs et irai voter le jour du référendum et je dirai mille fois « non ». Si tout le monde accepte ce plan, comment tous les Égyptiens peuvent-ils être arrêtés et où seront-ils emprisonnés ? Je ne peux pas imaginer que cela se produise.

Les gens ne participeront à aucune manifestation le jour du référendum. Au lieu de cela, ils répondront à l’appel du régime en portant les vêtements qu’ils ont choisis. Le régime nous a envoyé cette invitation, que nous acceptons, et nous nous engageons sur le chemin pacifique qu’il nous a tracé afin d’exprimer nos points de vue de manière civilisée, simple et sûre.

Avant d’avoir peur, nous devrions savoir qu’il existe une case « je n’accepte pas » sur le bulletin du référendum. Ils doivent retirer ce choix s’ils veulent nous intimider.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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