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À Idleb, les frappes russes et syriennes visent « délibérément » les hôpitaux

Alors que les coordonnées GPS des centres de santé avaient été données par l’ONU à toutes les parties pour « protection », les médecins sur place dénoncent des frappes russes et syriennes délibérées sur les hôpitaux
Des blessés reçoivent des soins à l’hôpital d’Idleb (AFP)

GAZIANTEP, Turquie – Samedi après-midi, Tahsen al-Ese marchait dans le couloir de l’hôpital de Has, dans la campagne d’Idleb.

À l’instar des médecins des autres infrastructures médicales de la région, il s’attendait à un afflux de civils blessés en provenance des villages voisins, alors que les forces du président syrien Bachar al-Assad entamaient une campagne de bombardement sur Idleb.

Mais alors qu’il marchait dans le couloir, la terre commença à trembler. Deux bombes-barils larguées par des hélicoptères du gouvernement venaient de frapper l'hôpital.

« L’hôpital entier a tremblé comme pendant un tremblement de terre. Le bruit de la bombe m’a laissé abasourdi »

- Tahsen al-Ese, médecin à l’hôpital de Has

« Il est sorti de nulle part. L’hôpital entier a tremblé comme pendant un tremblement de terre. Le bruit de la bombe m’a laissé abasourdi, les oreilles sonnant pendant plusieurs minutes », raconte Ese à Middle East Eye.

« J’ai été coincé sous les pierres avec deux autres collègues. Nous avons eu la chance de survivre à l’attaque et, heureusement, personne n’a été tué. »

Ce que Ese a vécu n’a rien de nouveau. Une fois de plus, les établissements de santé ont fait les frais d’une nouvelle offensive du gouvernement syrien, les forces d'Assad menant une dernière offensive pour prendre le contrôle d’Idleb.

La semaine dernière, des avions gouvernementaux russes et syriens ont ciblé au moins quatre hôpitaux dans la ville, selon des ONG soutenant des installations médicales basées dans le nord-ouest de la Syrie.

Le ciblage des installations médicales signifie que les patients gravement blessés doivent maintenant se déplacer plus loin pour recevoir des soins médicaux urgents. Souvent, ils succombent à leurs blessures et meurent sur le chemin de l’hôpital.

Pour de nombreux observateurs de la guerre en Syrie, le bombardement des hôpitaux est devenu une « tactique familière » utilisée par le gouvernement syrien et ses alliés russes, qui enfreignent ainsi le droit international.

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« La quasi-élimination des installations médicales dans les zones contrôlées par l’opposition dans le nord-ouest de la Syrie s’avère dévastatrice pour la population civile assiégée, car elle se retrouve obligée de de fuir et de chercher refuge ailleurs », explique à MEE Kristyan Benedict, responsable des situations de crise pour Amnesty International au Royaume-Uni.

« C’est une tactique si familière qu’elle est forcément intégrée à une stratégie militaire délibérée entre la Syrie et la Russie, menée parce que ceux qui commandent les attaques estiment qu’ils ne seront jamais punis pour ces atrocités. »

« Il n’y a aucune excuse pour un gouvernement qui empêche délibérément les gens d’accéder aux soins médicaux. Il n’y a aucune excuse pour cibler délibérément les hôpitaux les uns après les autres. »

« Les victimes sont pour la plupart des femmes et des enfants »

Ahmed Mahmoud, porte-parole du Secours islamique en Syrie, confirme les propos de Kristyan Benedict et qualifie le ciblage des hôpitaux de « délibéré ».

« Quatre établissements de santé ont été ciblés, y compris des sites partagés avec toutes les parties prenantes dans la crise pour éviter les attaques ciblées et spécifiques. Pourtant, une fois encore, ils ont été ciblés et parmi les victimes se trouvent des médecins et du personnel médical », constate Mahmoud, qui était en visite à Idleb la semaine dernière.

« Les victimes sont pour la plupart des femmes et des enfants, en raison du ciblage spécifique de zones civiles particulièrement peuplées », ajoute-t-il.

L’hôpital de Has a été touché par des bombes-barils larguées par les hélicoptères du gouvernement syrien (AFP)

La province syrienne d’Idleb « ne doit pas être transformée en bain de sang », a pourtant affirmé mardi lors d'une allocution solennelle le chef de l’ONU António Guterres en réclamant à la Russie, à l’Iran et à la Turquie de tout faire pour protéger les civils.

« Combattre le terrorisme n’absout pas les belligérants de leurs obligations imposées par le droit international », a ajouté le secrétaire général de l’ONU. Une offensive militaire du régime à Idleb « déclencherait un cauchemar humanitaire sans précédent dans le conflit syrien déjà meurtrier », a-t-il estimé.

La population à Idleb est estimée à environ trois millions de personnes, dont un million d’enfants. Près de la moitié sont des réfugiés ayant fui d’autres zones de conflit en Syrie.

« Des ambulances ont également été visées. Certains blessés meurent avant d’atteindre l’hôpital, car il leur faut plus de temps pour se rendre dans les hôpitaux, leur établissement de santé local ayant été bombardé et mis hors service. »

Malgré les bombardements et les ravages attendus, le personnel médical à Idleb continue de prendre des mesures préventives pour s’adapter à la nouvelle norme des installations médicales bombardées.

« Nous ne faisons que notre devoir d’humanitaires et nous continuerons, quelles qu’en soient les conséquences »

- Khaled Ghani, médecin

Le docteur Khaled Ghani, qui travaille à l’hôpital principal de Maarrat al-Nouman (sur la route d’Alep, dans la province d’Idleb) explique que son établissement a subi de « fortes pressions » pour répondre aux besoins des blessés.

« Nous nous attendions aux attaques bien avant qu’elles ne commencent et nous avons pris des mesures préventives pour protéger nos installations », témoigne-t-il à MEE.

« Certaines de ces mesures de protection comprennent la couverture des fenêtres et la construction de murs en sacs de sable à toutes nos entrées afin de réduire les risques de dommages causés par des attaques potentielles. Mais cela n’a pas empêché le régime et les avions russes de tirer des missiles sur nos autres hôpitaux. Nous faisons ce que nous pouvons pour minimiser les pertes. »

Mahmoud précise que si de nombreuses installations ont été contraintes de s’installer sous terre, elles ont tout de même été ciblées et endommagées par les frappes aériennes russes et syriennes.

Pour l’instant, Ghani continue de se préparer à l’inévitable alors que les frappes aériennes russes s’intensifient dans le nord-ouest de la Syrie.

« Nous ne faisons que notre devoir d’humanitaires et nous continuerons, quelles qu’en soient les conséquences. »

Traduit de l’anglais (original) et actualisé.

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