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Une ville frontalière tunisienne craint des représailles après un raid de l’État islamique

De nouveaux combats survenus mardi laissent une communauté déjà ébranlée face à la crainte de devenir une poudrière
Les Tunisiens se recueillent sur les cercueils des victimes de l’attaque revendiquée par l’EI, le 9 mars 2016 près de la frontière avec la Libye (AFP)
Par Anonyme

BEN GUERDANE (Tunisie) – Au lendemain des attaques « sans précédent » d'islamistes armés contre leur ville, située à la frontière tuniso-libyenne, les habitants désemparés de Ben Guerdane ont été laissés face à la crainte que leur communauté ne devienne la prochaine poudrière d’une lutte régionale contre le groupe État islamique.

Bien que le gouvernement ait déployé des renforts, fermé la frontière avec la Libye et déclaré un couvre-feu nocturne, de nouveaux combats ont éclaté mardi matin lorsque les forces de sécurité ont tenté de débusquer les islamistes armés qui s’étaient barricadés dans les maisons locales, ont indiqué des témoins à Middle East Eye.

La ville voisine de Jalel a également été prise dans les combats, alimentant les craintes que la paix fragile n’ait été brisée une fois pour toutes dans les régions frontalières de la Tunisie.

Les autorités ont continué d’exhorter les habitants de Ben Guerdane à ne pas sortir tout en poursuivant leur chasse aux assaillants, tandis que les écoles ont été fermées pour la deuxième journée consécutive.

Lundi, de violents combats ont éclaté lorsque des combattants présumés de l’État islamique ont franchi la frontière et pris d’assaut un poste de la Garde nationale et une caserne militaire dans une ville largement oubliée et pauvre située à environ 40 km de la frontière libyenne.

Au moins 7 civils, 12 membres des forces de sécurité et 37 assaillants ont été tués dans des attaques dénoncées par le président tunisien Beji Caïd Essebsi, qui les a jugées « sans précédent ».

Si aucun groupe n’a encore revendiqué l’attaque, les autorités tunisiennes l’ont toutefois attribuée à l’État islamique et à son désir d’établir un « émirat » en Afrique du Nord.

Une attaque à l’aube

L’attaque semble s’être déroulée en plusieurs étapes. Mohamed Houssin, propriétaire d’un garage sur la route principale à proximité d’une caserne militaire, a raconté que vers 4 heures du matin, heure à laquelle il ouvre sa boutique, il a été surpris de voir des hommes étranges sur la route.

« Ils étaient divisés en trois groupes, et parmi eux, il y avait trois femmes portant le niqab, a expliqué Houssin à MEE. Un des hommes m’a dit de ne pas ouvrir le magasin parce qu’ils faisaient partie de l’État islamique. »

« Nous planifions une attaque et nous sommes bien positionnés, rentrez chez vous », lui aurait-on dit.

Un autre témoin qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat a indiqué à MEE qu’aux alentours de cinq heures du matin, alors qu’il se rendait à son travail, il a vu environ 90 hommes devant une caserne militaire, au moment exact où les tirs ont commencé.

« La scène était très effrayante, les tirs étaient très bruyants et soutenus, a-t-il raconté. Beaucoup de mes voisins sont sortis sur la route principale pour regarder et certains ont été tués. »

Un homme regarde par la fenêtre d’une maison à Benniri, au sud de Ben Guerdane, près de la frontière libyenne, où les djihadistes présumés se cachaient (AFP)

Mohamed Abdelsalam, 71 ans, qui vit près de l’une des maisons qui ont été prises par les islamistes armés, a expliqué que les combattants se sont barricadés dans des maisons et des bâtiments désertés pendant que des hélicoptères et des véhicules militaires parcouraient la région à leur recherche.

« Nous avons entendu des coups de feu intenses, puis les militaires sont venus et ont fait irruption dans la maison, a-t-il affirmé. Ensuite, deux terroristes sont sortis avec un soldat, et l’un d’entre eux avait les mains en l’air. »

Dehors, des traces de sang appartenant aux islamistes armés, selon des voisins étaient visibles sur le sable.

« L’un d’eux a été blessé », a déclaré Abdelsalam.

Un autre habitant, Mohamed Outherni, était dans sa maison aux alentours de 8 heures du matin ce lundi lorsqu’il a aperçu un militant dans son jardin.

« Je croyais que le terroriste était seul et je me suis dit que je devais faire quelque chose pour protéger ma mère et ma sœur qui étaient dans la maison », s’est-il souvenu.

« Je suis sorti et je me suis faufilé derrière lui, mais il m’a vu et j’ai découvert qu’il y avait un autre homme armé avec lui. Il m’a frappé à la tête avec la crosse de son fusil. Peu de temps après, l’armée est arrivée. Le terroriste m’a dit que j’allais mourir avec lui, mais je suis parvenu à m’échapper pendant les tirs. »

Des attaques à venir ?

Beaucoup d’autres habitants de Ben Guerdane ont également fait part à MEE de leur crainte d’assister bientôt à des représailles, puisqu’ils n’ont pas aidé les islamistes armés contre l’armée.

« Ils connaissent très bien les gens ici », a précisé Abdelsalam, l’habitant de 71 ans. « Je pense que certains d’entre eux se cachent encore dans des maisons désertes et qu’ils cibleront les citoyens dont ils savent qu’ils ont coopéré avec les forces de sécurité. »

« Je pense que certains d’entre eux connaissent très bien la ville », a déclaré un autre témoin qui s’est exprimé pour MEE sous couvert d’anonymat. « C’est pour cette raison que nous craignons qu’ils n’attaquent à nouveau et qu’ils ne s’en prennent aux gens qui ont collaboré avec la police ou qui les ont critiqués dans les médias », a expliqué le témoin.

Les forces spéciales tunisiennes montent la garde à Ben Guerdane (AFP)

Le ministère de l’Intérieur a déclaré que les hommes armés ont été en mesure d’identifier plusieurs cibles militaires et des forces de sécurité dans la ville, ainsi que les maisons de membres clés des forces de sécurité, ce qui indique que les assaillants avaient une bonne connaissance de Ben Guerdane.

Ce type d’assassinat ciblé, où des hommes armés ont pris d’assaut la maison du chef local de la brigade anti-terrorisme et l’ont tué tout en lançant des attaques contre des cibles des forces de sécurité, ont représenté un nouveau degré de sophistication selon les autorités. Toutefois, les services de sécurité ont ensuite pu déjouer d’autres attaques contre des maisons de responsables des forces de sécurité.

« La plupart des assaillants étaient des Tunisiens », a déclaré ce mardi le Premier ministre, Habib Essid, qui a cependant reconnu que certains étaient peut-être des étrangers.

Au moins 5 500 Tunisiens auraient rejoint l’État islamique et d’autres groupes de combattants en Syrie, en Irak et en Libye. Les craintes que les jeunes hommes ne cherchent à rentrer au pays et à semer le chaos existent depuis longtemps. L’attaque constitue le deuxième affrontement mortel dans la région frontalière en moins d’une semaine.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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