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Au Yémen, le coup de force émirati déstabilise Riyad

Les combats dans le sud du Yémen entre des factions soutenues par ceux qui étaient supposés être des alliés dans la guerre contre le Yémen, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, font craindre le pire
Un soldat du gouvernement yéménite, arme en main, debout devant le quartier général des séparatistes du Conseil de transition du sud à Ataq, dans le sud du Yémen (Reuters)

Jusqu’à la mi-août 2019, la communauté internationale s’accommodait de la radioscopie servie par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) sur la situation au Yémen.

Un discours largement relayé par les médias occidentaux, selon lequel les « méchants » Houthis, soutenus par l’Iran, étaient des parias qu’il fallait éliminer coûte que coûte pour restaurer le gouvernement « légitime » de Abdrabbo Mansour Hadi (président du Yémen, en résidence surveillée en Arabie saoudite depuis 2017) à travers la mise en place d’une coalition menée par Riyad et Abou Dabi.

Sauf qu’après cinq ans d’une guerre dévastatrice qui a causé des milliers de morts et une famine sans précédent, les dessous de la cartographie géopolitique yéménite nous informent, jour après jour, que la situation dans le pays ne répond pas aux raccourcis servis par les acteurs majeurs de ce conflit où tous les types d’armes ont été testés et tous les coups permis.

Les Émirats arabes unis ont subitement fait volte-face en soutenant des groupuscules séparatistes militant pour l’indépendance du sud du Yémen

Depuis quelques jours, la coalition anti-houthis connaît de profondes divisions.

Alors qu’elle s’est donné pour mission de rétablir dans ses fonctions, dans la capitale Sanaa, le gouvernement du président Abdrabbo Mansour Hadi, exilé depuis des années à Riyad, les Émirats arabes unis ont subitement fait volte-face et décidé de faire cavalier seul en soutenant des groupuscules séparatistes militant pour l'indépendance du sud du Yémen.

Ces groupuscules sont menés par le très controversé Hani ben Brik, salafiste extrémiste, et homme fort des Émirats à Aden, à l’instar du général Khalifa Haftar, commandant en chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) depuis 2015, en Cyrénaïque, en Libye.

Saoudiens et Émiratis : un ennemi commun, les Houthis…

En 2011, les Houthis devaient faire partie, dans le cadre d’une entente nationale, du nouveau gouvernement constitué par Ali Abdallah Saleh, ex-président yéménite mort assassiné en décembre 2017.

Mais des rapports des services de renseignement orientés, soumis à l’ancien président yéménite par les Saoudiens et les Occidentaux, ont fait capoter cet accord, ce qui a suscité la colère des Houthis qui se sont insurgés contre cette marginalisation orchestrée, selon eux, par Washington, Paris, Londres et Riyad.

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Alors que les Saoudiens et Émiratis sont d’accord pour ne pas permettre aux Houthis, alliés de circonstance de Téhéran, de contrôler du détroit de Bab-el-Mandeb, ce qui offrirait aux Iraniens un accès à ce corridor stratégique, ils ne possèdent en revanche pas les mêmes visées sur ce pays à court et moyen termes.

Concernant les Saoudiens, ils n’ont jamais vu d’un bon œil la réunification du Yémen qu’ils considèrent comme une menace pour leur sécurité nationale : à travers cette guerre, Riyad pousse vers une division de ce pays à l’histoire millénaire qui occupe une position stratégique très convoitée dans la partie méridionale de la péninsule arabique.

Des Yéménites des comités populaires de résistance, se battant du côté des forces fidèles au président yéménite soutenu par l’Arabie saoudite Abdrabbo Mansour Hadi, à Ta’izz en 2016 (AFP)

De leur côté, les Émirats arabes unis veulent une présence militaire et économique au Yémen par le contrôle des ports et des voies maritimes.

Face au silence assourdissant de la Ligue des États arabes et une sortie très timide du Conseil de sécurité de l’ONU – qui n’a à aucun moment appelé Saoudiens et Émiratis à retirer leurs forces spéciales qui activent sur le terrain –, le conflit va certainement s’enliser et risque même de conduire à une confrontation directe entre « frères arabes » du Golfe : l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

…. mais des visées divergentes

Fragilisé depuis l’éclatement de l’affaire Khashoggi, le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, souffre d’une crise de leadership dans le dossier yéménite qui a longtemps été géré d’une main de fer et avec mæstria par ses prédécesseurs les princes Moukrine ben Abdelaziz et Mohammed ben Nayef. Alors que son alter ego émirati Mohammed ben Zayed, voit son influence nettement s’élargir dans la région.

Saoudiens et Émiratis ont surévalué leurs capacités et ne s’attendaient pas à se retrouver empêtrés dans ce qui est devenu un véritable bourbier

Mohammed ben Zayed n’en demandait pas tant, lui qui activait souvent dans l’ombre du puissant gouverneur de Dubaï, Mohammed ben Rachid al-Maktoum, qui a cherché, un certain temps, à acheter le port d’Aden. À défaut, les forces spéciales émiraties le contrôlent aujourd’hui.

Le Yémen est un pays tribal. Comme en Afghanistan, aucune solution militaire n’est possible à la crise.

Les Yéménites n’accepteront jamais une immixtion étrangère dans leurs affaires intérieures ou une présence de puissances étrangères sur leur territoire.

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En intervenant militairement au Yémen, Saoudiens et Émiratis ont surévalué leurs capacités et ne s’attendaient pas à se retrouver empêtrés dans ce qui est devenu un véritable bourbier.

Même leur approche diplomatique n’est pas bonne et fait dans la provocation. À titre d’exemple, Mohammed al-Jaber, « ambassadeur » saoudien au Yémen, se comporte en véritable « résident général » avec une nette connotation colonisatrice, attitude très contestée et non sans rappeler celle de Paul Bremer (diplomate américain, de 2003 à 2004 administrateur de la coalition pro-américaine pendant l’occupation de l’Irak par les États-Unis) en Irak.

Les Yéménites condamnés à s’entendre au prix fort

En résidence permanente, pour ne pas dire surveillée, à Riyad, le « président » yéménite Abdrabbo Mansour Hadi n’a pas réagi aux derniers développements à Aden (les combats mortels depuis mercredi 21 août et la déroute des forces gouvernementales du sud du Yémen, soutenus par l’Arabie saoudite, face aux séparatistes soutenus par les Émirats arabes unis).

Son silence inquiète ses partisans et conforte les factions hostiles dans leurs thèses selon lesquelles Abdrabbo Mansour Hadi, trimballé de Sanaa à Aden, puis de Aden à Mascate, pour enfin atterrir à Riyad, manquerait cruellement de charisme et ne serait qu’une « marionnette » entre les mains des services de renseignement saoudiens.

Abdrabbo Mansour Hadi vit en résidence permanente, pour ne pas dire surveillée, à Riyad (AFP)

Il n’empêche qu’il est responsable sur le plan éthique et politique, il est tenu de faire une déclaration quand bien même elle serait rédigée par le staff du Saoudien Mohamed al -Jaber.

Or ni les stratèges du United-States Central Command à Tampa (Floride) ou à Manama (Bahreïn) ni les analystes du National Security Council (NSC), encore moins les bureaucrates du ministère saoudien des Affaires étrangères, ne sont capables de changer la donne dans ce pays.

Seuls des états généraux qui réuniraient exclusivement des Yéménites pourraient aboutir à une entente cordiale comme celle née des pourparlers qui ont donné lieu à la réunification en 1990.

Cette région du monde est malheureusement vouée à une déflagration majeure dont aucune partie ne sortira vainqueur

Mais au vu, d’une part, des développements séparatistes sur le terrain, appuyés par Abou Dabi et Riyad, qui se sont déchirés ces dernières semaines par médias interposés, et, d’autre part, les ambitions hégémoniques saoudiennes et émiraties – qui font du dossier yéménite une affaire inhérente à leur sécurité nationale –, les deux pays, et pour éviter une escalade aux conséquences imprévisibles, ont décidé d’instaurer une trêve par la mise en place, à compter du lundi 26 août, d’un comité conjoint chargé de maintenir un cessez-le-feu dans les provinces de Chabwa et Abyan, dans le sud du Yémen.

Car, au final, cette région du monde est malheureusement vouée à une déflagration majeure dont aucune partie ne sortira vainqueur, et condamnera, in fine, les Yéménites à s’entendre, au prix fort, malgré les pressions et convoitises internationales.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abdellah El Hattach est directeur de Global Impact, structure spécialisée en International Affairs et Intelligence, orientée géopolitique et décryptage de l’information sensible et complexe. Ancien journaliste pour des supports francophones et arabophones marocains, il a son actif des centaines d’articles et d’analyses sur les questions géopolitiques, géostratégiques, de défense et de sécurité relevant des régions MENA, bassin méditerranéen et monde arabo-musulman. Il conseille plusieurs entreprises de premier plan au Maroc. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @aelhattach et @GlobalImpactIn2
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