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Aujourd’hui les cours de musique obligatoires, demain l’interdiction du hijab

Les détracteurs d’un père désirant retirer ses enfants des cours de musique et de théâtre d’une école publique canadienne ne comprennent pas le précédent que cela créerait

« Mes enfants ne peuvent pas participer à des cours de musique ou de théâtre, c’est clair », a déclaré Mohammad Nouman Dasu, un père musulman vivant à Toronto qui souhaite retirer ses enfants de ces cours dans une école publique. Cette controverse a attiré l’attention nationale après que The Globe and Mail a rapporté cette affaire.

Et c’est reparti. Les musulmans s’obstinent à vouloir changer les valeurs canadiennes – c’est du moins l’impression donnée par certains commentateurs qui ont vivement critiqué le choix de Mohammad Nouman Dasu.

Beaucoup l’ont taxé d’être « étroit d’esprit », « arriéré », « absurde » ou « extrémiste ». Pourtant, il suffit de se demander combien de pratiques d’autres personnes, qu’elles soient religieuses ou autres, ne pourraient être qualifiées ainsi par des observateurs extérieurs. Contrairement à de nombreux parents, j’estime pour ma part que le fait d’autoriser un enfant à monter sur un ring de boxe ou à entrer sur un terrain de football est absurde et n’est pas dans l’intérêt de l’enfant compte tenu du risque de commotion cérébrale.

Malheureusement, bon nombre de musulmans canadiens sont également prompts à dénoncer le droit de cet homme à pratiquer sa religion en accord avec ses convictions profondes. Il est compréhensible qu’ils craignent de potentielles réactions hostiles. Nombreux sont ceux qui l’ont dénoncé de vive voix ou par écrit. En effet, ils doivent être perçus comme « modérés » et promouvoir une version plus acceptable de l’islam.

Les limites de l’adaptation

Tout comme le niqab et les espaces de prière dans les écoles, cette affaire ramène de nouveau au premier plan la question des limites de l’adaptation au sein d’une société libérale multiculturelle.

Personnellement, je pense que les parents commettent une erreur en refusant que leurs enfants soient exposés à la musique, qui est essentielle au bon développement humain. J’ai évidemment le droit de me forger une opinion et je suis libre de l’enseigner à mes enfants.

Mohammad Nouman Dasu n’est pas seul. À un moment, plus de 130 parents avaient signé sa « Pétition pour l’adaptation aux croyances religieuses des élèves musulmans ». En effet, la musique constitue une question très controversée pour de nombreux musulmans. J’ai grandi avec la croyance qu’il s’agissait d’un péché, notamment la musique recourant à des instruments.

D’ailleurs, la pop star Cat Stevens a renoncé à la musique instrumentale lorsqu’il s’est converti à l’islam à cause de plusieurs hadith attribués au prophète Mohammed. Il lui fallut plus de vingt ans pour reprendre la musique. Même la musique « islamique » a évolué de chants exclusivement vocaux (nachîds) à des morceaux comportant des instruments. Cela était clairement visible lors de la MuslimFest organisée en août au Canada.

Certains intellectuels considèrent que la musique est haram (interdite). D’autres pensent qu’elle est mubah (neutre), selon le contexte et l’objet. D’autres encore estiment qu’elle est mauvaise mais devrait faire l’objet d’un compromis dans le contexte en question, dans une adaptation mutuelle.

L’esprit de la loi

Que dit la loi ? Dans le contexte des écoles publiques, la Charte canadienne des droits et libertés et la législation relative aux droits de l’homme s’appliquent.

D’une part, dans le contexte canadien, la religion est définie comme ce en quoi un individu croit sincèrement, et non pas la définition donnée par les chefs religieux ou même la majorité. La Cour suprême du Canada a estimé qu’il était suffisant de démontrer les croyances religieuses d’un individu et le fait que sa pratique est liée à ces croyances, même si les pratiques autorisées ou requises par les autorités religieuses sont également protégées.

Ce raisonnement s’inscrit dans la volonté de garantir que l’État n’ait pas à déterminer quelles pratiques religieuses sont authentiques ou non. Les tribunaux doivent uniquement établir que les revendications religieuses sont faites de bonne foi et non feintes.

D’autre part, le concept d’« adaptation raisonnable », c’est-à-dire un ajustement apporté à un système pour le rendre équitable pour un individu sur la base d’un besoin établi protégé sur le plan légal, peut également s’avérer pertinent si l’on considère la situation en tenant compte à la fois de la Charte et de la législation relative aux droits de l’homme.

Comme d’autres l’ont fait remarquer, les arrêts de la Cour suprême relatifs à la Charte ont créé un précédent selon lequel le concept d’« adaptation raisonnable » doit être appliqué au sein des écoles publiques si l’un des parents le souhaite. Cela vaut bien sûr également dans le domaine des droits de l’homme lorsqu’il s’agit de déterminer si une entité est tenue de s’adapter jusqu’au seuil de « contrainte excessive ».

« Malheureusement, nous ne pouvons accorder d’exemption puisque nous sommes tenus d’enseigner le programme de l’Ontario », a déclaré Ryan Bird, porte-parole du district scolaire de Toronto. L’école affirme avoir proposé d’autoriser les enfants de Mohammad Nouman Dasu à écrire sur l’histoire des chants islamiques ou à frapper des mains sans participer activement. Ces deux possibilités contreviendraient aux enseignements de cette version particulière de l’orthodoxie.

Il est intéressant de constater que le refus de la vaccination par les parents suscite moins d’indignation

Mohammad Nouman Dasu affirme avoir décidé de retirer ses enfants uniquement après que les alternatives qu’il avait proposées, à savoir passer ces heures à la bibliothèque ou à effectuer des activités bénévoles, ont été refusées. Il ne souhaite pas imposer son opinion. Il cherche à protéger ses enfants d’une chose qu’il considère comme dangereuse pour eux. Il est intéressant de constater que le refus de la vaccination par les parents suscite moins d’indignation.

Qui décide ?

Les parents doivent se demander s’ils désirent vraiment laisser à d’autres le soin de tout décider pour leurs enfants. Je partage l’avis de la Cour suprême sur le fait que d’autres personnes ne doivent pas intervenir tant que l’on ne nuit pas à l’enfant, par exemple lorsque l’intérêt légitime de l’État pour la sécurité et la santé publiques ou d’autres fondements d’intérêt général ne sont pas impliqués.

Aujourd’hui les cours de musique sont obligatoires, demain le hijab sera peut-être interdit, ensuite ce sera la barbe et pour finir ce sera : « les écoles savent ce qui est bon ».

En effet, s’agissant de religion, les néo-athées ne cessent d’ores et déjà de mettre en garde contre le danger des parents qui endoctrinent leurs enfants avec des « superstitions » religieuses.

Il se peut que le gouvernement sache ce qui est bon pour les enfants dans certains contextes, mais les parents le savent dans d’autres. Ainsi, l’article 26 (3) de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule : « les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants ».

Les enfants ne sont pas de simples créatures de l’État. Ceux qui les ont mis au monde en sont responsables, les élèvent et doivent aussi avoir le droit de les influencer et de les préparer pour la vie.

Le fait que la décision d’un parent ne soit pas acceptable pour la majorité des personnes ne doit pas automatiquement entraîner le transfert complet de cette responsabilité à l’État.
 

- Faisal Kutty est conseiller juridique à KSM Law, professeur associé à l’Université de Droit de Valparaiso dans l’Indiana et professeur adjoint à la Osgoode Hall Law School de l’Université York à Toronto. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @faisalkutty

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une classe de musique vide (Wikimédia).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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