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Ce que l’exhibition de la lingerie des Palestiniennes par les soldats israéliens révèle sur la psyché sioniste

L’intrusion effrontée des soldats israéliens dans la vie romantique et sexuelle des Palestiniennes déplacées ou tuées témoigne de manière inquiétante de la capacité des forces d’occupation à commettre des violations en toute impunité
Des femmes palestiniennes déplacées portant leurs affaires brandissent un drapeau blanc improvisé alors qu’elles passent devant les forces israéliennes en fuyant la zone de Hamad City à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 5 mars (AFP)

L’ouvrage Les Damnés de la terre du psychiatre et penseur Frantz Fanon présente l’étude de cas d’un inspecteur de police européen chargé d’interroger et de torturer des Algériens pour obtenir des informations sur la résistance anticoloniale.

L’inspecteur décide de consulter un psychiatre, car la brutalité qu’il exerce derrière les portes hermétiques des salles d’interrogatoire commence à déborder de manière incontrôlable sur sa vie privée. Il se plaint auprès de Frantz Fanon des agressions de plus en plus fréquentes qu’il fait subir à son épouse et ses trois enfants, étant même allé jusqu’à attacher sa femme à une chaise comme pour ses victimes algériennes.

Si l’inspecteur est bien conscient que ses cauchemars et son comportement violent découlent directement de sa profession, il affirme ne pas avoir l’intention de quitter les forces de l’ordre. Au contraire, il demande à Frantz Fanon de l’aider à continuer sa pratique de la torture sur les Algériens sans en ressentir ou faire apparaître dans son foyer les répercussions psychologiques destructrices.

Je ne peux m’empêcher de penser à cette étude de cas de l’Algérie colonisée lorsque je vois les images et les vidéos abjectes que les membres des forces israéliennes partagent fièrement sur les réseaux sociaux aujourd’hui.

Plus particulièrement, cette tendance des soldats hommes à se montrer en train de piller, de fouiller et de fantasmer sur la lingerie de femmes palestiniennes est révélatrice de l’impact destructeur du génocide des Palestiniens sur la psyché des Israéliens qui le commettent.

Dans l’une de ces innombrables vidéos perverses, un soldat israélien se filme pénétrant dans la chambre à coucher d’une Palestinienne, au mur criblé d’impacts de balles, où un lit cassé est retourné et où des affaires abandonnées jonchent le sol. Tandis qu’il fouille l’armoire de la femme et exhibe sa lingerie, le soldat lance des remarques méprisantes en hébreu : « J’ai toujours dit que les Arabes sont les plus grandes p**** qui soient. »

Ce commentaire et ces actions intrusives du soldat sont symptomatiques d’une psyché qui a été gravement affectée par sa participation à la violence coloniale. Il a recours à la misogynie et au racisme anti-arabe pour justifier les atrocités de l’occupation. Bien qu’il ne les nomme pas, les crimes du soldat se manifestent dans le chaos de la chambre de la femme et suggèrent une tentative de faire ce que le patient de Frantz Fanon, l’inspecteur de police européen, s’est plaint de ne pas pouvoir faire : torturer sans remords.

Violations sexuelles et misogynie

Dans une vidéo Instagram tout aussi invasive, le soldat israélien né au Royaume-Uni Levi Simon se filme allègrement en train de piller une maison vidée de ses habitants à Gaza, sans jamais divulguer le sort des Palestiniens qui y vivaient. Il plonge sans hésiter la main dans une commode et saisit des poignées de sous-vêtements féminins, affirmant : « Dans chacune des maisons de Gaza, c’est ce que je trouve. Deux ou trois tiroirs remplis de la lingerie la plus exotique que vous puissiez imaginer. »

Cette impunité a permis à Israël de commettre des violences sexuelles massives à l’encontre des Palestiniens pendant plus de 75 ans

Levi Simon accompagne sa vidéo d’un sondage qui demande « WHAT DYA THINK » (qu’en pensez-vous ?), avec quatre possibilités de réponse : « Kinky terrorism » (terrorisme coquin), « Wtf » (c’est quoi ce bordel ?), « Halal » ou « Haram ». D’un air narquois, il termine la vidéo par ces mots : « These naughty, naughty Gazans » (ces coquines, coquines de Gazaouies).

Tandis que Levi Simon incite ses abonnés à prendre part à ces célébrations misogynes et islamophobes, nous ne devons pas oublier qu’il admet lui-même qu’il fouille délibérément dans les affaires les plus intimes des Palestiniennes, dans « chaque maison de Gaza ».

De fait, son sentiment d’avoir le droit de s’immiscer dans la vie romantique et sexuelle des Palestiniennes déplacées ou tuées témoigne de manière inquiétante de la capacité des forces d’occupation à commettre des violations en toute impunité.

Cette impunité a permis à Israël de commettre des violences sexuelles massives à l’encontre des Palestiniens pendant plus de 75 ans. Comme l’ont documenté des universitaires féministes palestiniennes et des responsables sionistes eux-mêmes, les milices sionistes ont systématiquement violé et torturé de nombreuses Palestiniennes dont elles avaient rasé les villages lors de la Nakba de 1948.

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Le rapport 2022 d’Amnesty International sur le système israélien d’apartheid révèle que les autorités israéliennes maltraitent et harcèlent sexuellement les Palestiniens en détention depuis des décennies. Plus récemment, les Nations unies ont révélé dans un rapport que des femmes et des filles palestiniennes étaient « soumises à de multiples formes d’agression sexuelle », y compris des viols, aux mains de gardiens de prison israéliens.

La semaine dernière, l’UNRWA a annoncé la publication prochaine d’un rapport détaillant les tortures et les abus infligés par les forces israéliennes à plus d’un millier de Palestiniens de tous sexes à Gaza. Après avoir visionné plusieurs vidéos de soldats fouillant allègrement dans les sous-vêtements de femmes palestiniennes, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les violations qui sont commises dans l’ombre. Une inquiétude qui est d’autant plus renforcée par la photo troublante que Benjamin, un soldat israélien de 25 ans, également citoyen français, a postée sur son profil d’un site de rencontre. Jambes écartées, arme à la main, il affiche un sourire narquois face à une collection de lingerie féminine palestinienne accrochée à un mur.

Cette exhibition du butin du génocide organisée par les forces d’occupation soulève une série de questions préoccupantes : où sont aujourd’hui les personnes qui ont porté ces vêtements ? Les soldats israéliens les ont-ils forcées à quitter leurs maisons sous la menace des armes, voire les ont-ils tuées avant de poser pour leurs séances photo ? Est-ce que certains d’entre eux ont arraché la lingerie du corps des femmes, et si oui, à quelles horreurs ces Palestiniennes ont-elles bien pu être confrontées ?

Dans quel but le soldat sioniste, à la recherche d’une partenaire romantique, se moque-t-il ouvertement de la capacité des Palestiniens à entretenir des relations amoureuses et sexuelles profondes ? Pourquoi le soldat sioniste offre-t-il à sa propre partenaire des colliers et des chaussures pillés aux Palestiniennes mortes ou déplacées, et qu’est-ce que de tels gestes révèlent sur la mutilation du romantisme par le colonialisme de peuplement ?

« Stratégies jumelles »

Pour revenir à l’étude de cas de Frantz Fanon, ce qui me frappe, c’est la honte de l’inspecteur européen. Il aspire à se débarrasser des sentiments de culpabilité qu’il éprouve à l’égard de ses actes. Il souhaite cantonner sa fureur aux cellules d’interrogatoire et cesser de s’acharner sur sa famille. Il admet avoir pratiqué la torture lors de sa consultation privée avec Frantz Fanon.

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Pour autant, son témoignage n’est pas celui d’un homme qui aurait rendu publiques ses actions comme le font les soldats israéliens.

Que penser alors du fait que les Israéliens documentent sans vergogne leur propre participation au génocide des Palestiniens ? Comment expliquer le plaisir glaçant qu’ils affichent dans les images et les vidéos, en particulier lorsqu’ils portent atteinte aux femmes palestiniennes ?

Qu’est-ce que ce plaisir peut révéler sur les fantasmes sexuels qu’ils désirent réaliser, ou qu’ils ont déjà réalisés, sur les corps de Palestiniennes colonisées ?

On ne peut répondre à ces questions si l’on considère les exemples cités plus haut comme des manifestations isolées de misogynie et de racisme anti-palestinien de la part des soldats.

En d’autres termes, on ne peut pas seulement remettre en question les psychés individuelles tout en négligeant l’institution du sionisme, qui a toujours ciblé les corps et la sexualité des Palestiniens. Envahir la terre et ravager les Palestiniens eux-mêmes sont des stratégies jumelles dans l’agression coloniale contre l’indigénéité palestinienne.

Nous devons également reconnaître que la violence sexuelle israélienne à l’encontre des Palestiniennes est rendue possible par un modèle colonial du féminisme répandu en Occident.

Traduction : « L’étalage de la dépravation des forces d’Israël est d’un autre niveau. L’obsession de ces combattants sionistes pour la lingerie des femmes palestiniennes qu’ils ont tuées ou déplacées ne relève pas seulement d’un fétichisme sexuel malsain de la part de recrues et de mercenaires, pour la plupart des racistes à la mentalité d’adolescents, mais d’une insulte délibérée aux femmes arabes dont ils connaissent bien le caractère sacré de la femme et de la sexualité dans la culture de ces dernières. C’est fait pour provoquer. Signe désespéré d’une armée incapable d’atteindre ses objectifs militaires et qui se résout soit à assassiner des civils, soit à leur porter atteinte. Dénoncez ces dégénérés. »

Pendant des années, les féministes coloniales ont repris de manière sélective le discours sur les droits des femmes et les droits humains des mouvements de justice sociale, tout en apportant un soutien matériel au régime sioniste sous lequel les violences sexuelles à l’encontre des Palestiniens se multiplient sans aucune conséquence.

Des personnalités comme Hillary Clinton et Kamala Harris, qui ont ignoré de nombreux rapports sur les viols et les abus systémiques dont sont victimes les Palestiniens, se sont empressées de pathologiser les hommes palestiniens sur la base d’un article largement discrédité du New York Times faisant état d’un « schéma de violence sexuelle » à l’encontre des femmes israéliennes le 7 octobre.

Où était leur indignation, il y a trois ans, lorsque des soldats israéliens ont fait irruption dans un centre pour femmes à Jérusalem occupée et ont arrêté arbitrairement des femmes palestiniennes lors d’un événement célébrant la Journée internationale des femmes ?

Où était leur indignation il y a six ans lorsque l’avocat d’Ahed al-Tamimi a fourni la preuve que la jeune militante palestinienne de 16 ans avait été harcelée sexuellement par son interrogateur israélien ? Où était leur indignation lors de l’assaut israélien de 2014 sur Gaza, lorsque le discours public israélien encourageait activement les violences de genre et sexuelles à l’encontre des Palestiniens ?

Je suis certaine que leur silence sera assourdissant lorsque l’UNRWA publiera ses dernières conclusions sur la torture des détenus palestiniens par Israël, financé par les États-Unis.

- Shereen Hindawi-Wyatt est une doctorante qui se spécialise dans les littératures décoloniales et anticoloniales. Elle est membre du Collectif féministe palestinien.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

Shereen Hindawi-Wyatt is a PhD candidate specialising in de-/anti-colonial literatures. She is a member of the Palestinian Feminist Collective.
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