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Cinéma : les douze meilleurs films de 2019 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Cette année a été marquée par la présence de l’Arabie saoudite et du Soudan. Mais les meilleurs films ont été produits en Afrique du Nord
L’équipe de Tlamess à Cannes : de gauche à droite, les acteurs Abdullah Miniawy et Souhir Ben Amara et le réalisateur Ala Eddine Slim (la Quinzaine des Réalisateurs)

Vivons-nous un âge d’or du cinéma du Moyen-Orient ? Cette question est peut-être exagérée au regard de la production irrégulière du cinéma dans la région MENA, le manque de fonds régionaux et la censure croissante.

Il se passe toutefois quelque chose de passionnant, comme en témoignent les visions audacieuses, les innovations sur la forme, la politique libérale et la popularité croissante des films dans les festivals internationaux et au box-office.

Capharnaüm de Nadine Labaki est devenu le film arabe le plus rentable de tous les temps

Cette année, le Soudan et l’Arabie saoudite se sont présentés en tant que forces cinématographiques, Capharnaüm de Nadine Labaki – nommé aux Oscars et sorti en 2018 – est devenu le film arabe le plus rentable de tous les temps grâce à ses 50 millions de dollars de recettes en Chine, le réalisateur palestinien Elia Suleiman a sorti son premier long métrage depuis dix ans et le cinéma de genre a commencé à s’épanouir dans la région MENA.

Mais surtout, 2019 a été l’année où le cinéma du Maghreb – Tunisie, Algérie et Maroc – a élevé la scène cinématographique régionale à un niveau plus élevé. Grâce à une diversité de genres, d’esthétiques et des politiques de confrontation, c’est en Afrique du Nord que se produit la véritable évolution du cinéma de la région MENA.

L’audace des meilleurs films de 2019 n’empêche toutefois pas de fermer les yeux sur les graves défauts de plusieurs des films les plus populaires et les plus vigoureusement défendus de l’année. Il y a souvent eu une disjonction flagrante entre l’attention des festivals et du box-office d’une part, et le cinéma de qualité d’autre part (comme le montre par exemple le succès de Papicha au box-office français, où malgré sa superficialité, ce premier film de la réalisatrice algérienne Mounia Meddour a récolté environ 1,6 million d’euros).

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La plupart des applaudissements dirigés vers les films de ce genre concernaient leur politique. Mais ces lectures se sont avérées malavisées, voire orientalistes, passant trop souvent à côté la perspective politique globale tout en négligeant les insuffisances structurelles et narratives des films dans le seul but de promouvoir des messages valables auprès des publics occidentaux.

L’année 2019 a été touchée par un autre phénomène : les aléas dus à l’instabilité de la politique régionale. Avant même les protestations de masse, l’effondrement de l’économie libanaise a frappé une scène cinématographique florissante qui occupait une place importante sur la scène des festivals internationaux cette dernière décennie.

Les deux seules grandes productions – All This Victory et 1982, le film primé à Toronto du réalisateur Oualid Mouaness – étaient en préparation depuis des années. Preuve que la sélection a vraiment été limitée.

Le cinéma égyptien a souffert de la censure croissante et de la monopolisation de l’industrie du divertissement par le gouvernement de Sissi, ce qui a fait de 2019 la pire année pour la plus grande industrie cinématographique de la région MENA depuis plus d’une décennie.

Seuls deux longs métrages à petit budget ont pu se frayer un chemin jusqu’aux festivals internationaux : Bi Elm El Wossul, une observation relativement tiède d’Hisham Saqr du malaise de la classe moyenne, ainsi que Let’s Talk, un portrait familial autobiographique de Marianne Khoury. Leur nature apolitique et leur dépendance vis-à-vis des fonds privés font état des restrictions étouffantes qui pèsent sur l’industrie égyptienne.

L’absence notable de films palestiniens – mis à part celui d’Elia Suleiman – en 2019 est moins due à un déclin qu’à une absence permanente d’infrastructures à cause de laquelle il est difficile pour les réalisateurs, même établis, de faire leur travail.

L’Irak a connu un succès rare au Festival international du film de Shanghai avec le thriller de guerre Haifa Street de Mohanad Hayal.

Dans le même temps, l’Iran a encore du mal à sortir de l’ombre du réalisateur vénéré Abbas Kiarostami, décédé en 2016, ne parvenant pas à attirer les programmateurs et les distributeurs. Le pays a tout de même livré deux formidables drames policiers, Just 6.5 de Saeed Roustaee et The Warden de Nima Javidi.

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Hors des salles obscures, le sujet le plus en vogue à propos de l’industrie cinématographique dans la région MENA a été le Festival international du film de la mer Rouge organisé en Arabie saoudite. Ce festival, dont l’ouverture est prévue le 12 mars, attribuera au total plus d’un million de dollars de subventions. Mais il se tiendra le même mois que le festival Qumra de Doha, la plateforme la plus importante et la plus respectée de la région consacrée à l’industrie cinématographique, ce qui pourrait déclencher une guerre culturelle dans le Golfe.

L’ombre de Jamal Khashoggi et des violations des droits de l’homme planent toujours sur les efforts déployés par l’Arabie saoudite pour revitaliser sa culture. Savoir si ce riche nouveau venu dans le secteur du cinéma attirera de manière conséquente l’industrie ou s’il sera boudé par les cinéastes pourrait être l’histoire la plus intrigante dans le milieu cinématrographique l’année prochaine. Mais cela attendra 2020.

Voici ma sélection des douze meilleurs films du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord pour l’année 2019, par ordre décroissant.

12. À Mansourah, tu nous as séparés

Dorothée-Myriam Kellou, une journaliste franco-algérienne devenue cinéaste primée, enquête sur le déplacement forcé de deux millions d’Algériens par l’armée française pendant la guerre d’Algérie en accompagnant son père au cours d’une visite de sa maison d’enfance qu’il n’a pas vue depuis près d’un demi-siècle.

Travaillé avec beaucoup de sensibilité, de tact et de compassion, ce premier documentaire est une étude perspicace du traumatisme, des caprices de la mémoire collective et de l’impact débilitant du sentiment de perte.

11. Amussu

Un groupe de villageois marocains résidant à côté de la plus grande mine d’argent d’Afrique sabote un pipeline après avoir enduré des années de pénurie d’eau à cause de l’usine.

Cet acte de rébellion se transforme en un grand mouvement qui aboutit à la formation d’un camp de protestation où les villageois sont confrontés à la police.

Combinant ethnographie, cinéma direct et, avec une touche de style sauvage et musical, ce deuxième long métrage de Bouhmouch se regarde comme un coup de poing asséné aux autorités, un regard désobligeant sur l’impact du capitalisme étatique sur la vie traditionnelle et un hymne à la ténacité collective face à un Goliath apathique. Probablement le film politique le plus féroce de l’année.

10. The Cave

Waad al-Kateab et Edward Watts ont été unanimement acclamés pour Pour Sama, énorme succès syrien de cette année qui a raflé des prix dans le monde entier et figure dans de nombreux classements de fin d’année. Malgré ses mérites certains, il souffre d’une trop grande familiarité, présentant un récit inspirant mais soigné dont le but légitime est de rappeler au monde les atrocités que Bachar al-Assad continue de commettre plutôt que de donner un nouvel éclairage sur le conflit.

The Cave, la suite orchestrée par Feras Fayyad de son film nommé aux Oscars Les Derniers Hommes d’Alep, ne montre pas non plus la guerre sous un nouvel angle. Mais il opte pour l’insolence en se passant de tout récit, créant au contraire une viscéralité implacable qui immortalise avec éclat le chaos, le désespoir et l’absurdité des combats tels qu’observés depuis un hôpital souterrain de la Ghouta orientale. Entre témoignage physique déchirant et examen de notre relation conflictuelle avec les images de violence, The Cave est peut-être trop éreintant et trop graphique pour certains mais il n’est certainement pas aussi simple que ce qu’ont jugé certains experts arabes.  

9. Last Visit

Les graines du nouveau mouvement cinématographique saoudien, semées clandestinement il y a une décennie, ont finalement porté leurs fruits en 2019, donnant naissance à trois films totalement différents. 

The Perfect Candidate, quatrième long métrage de Haifaa al-Mansour, est un drame dont l’intrigue, qui se déroule dans le monde du travail, retrace l’histoire d’une jeune femme médecin saoudien qui se présente à des élections.

Scales, le premier long métrage de Shahad Ameen, est une fable féministe centrée sur la lutte d’une adolescente pour briser une ancienne malédiction qui la voue à un destin de sirène et défier les traditions patriarcales.

Last Visit peut se targuer d’être le premier véritable film d’art et d’essai saoudien

Mais Last Visit, le premier long métrage d’Abdulmohsen Aldhabaan, est une proposition tout à fait différente. Ce drame familial mesuré met en scène un père et un fils (incarnés par Oussama Alqess et Abdullah Alfahad) contraints de reconnaître leur éloignement mutuel et les déceptions qu’ils éprouvent l’un envers l’autre lorsqu’ils sont brusquement appelés à s’occuper d’un grand-père mourant.

Avec ce duo qui rappelle l’œuvre du réalisateur Ingmar Bergman, ce film intimiste, remarquablement ambitieux mais subtil, aborde la déconnexion intergénérationnelle, l’impossible communication, la toxicité héréditaire de la masculinité et la tyrannie subtile de la tradition.

Par son récit qui dépeint une nation à la croisée des chemins mais ne sachant pas où aller ensuite, Last Visit peut se targuer d’être le premier véritable film d’art et d’essai saoudien.

8. Un Fils

L’essor du cinéma de genre a été l’une des tendances les plus passionnantes observées ces dernières années dans le cinéma de la régions MENA. Avec Un Fils, le réalisateur tunisien Mehdi Barsaoui trouve un nouveau caractère d’urgence et un nouveau but pour le thriller social nord-africain.

Livrant l’une des meilleures performances arabes de l’année, Sami Bouajila (Indigènes, London River) incarne un mari et un père de la classe moyenne supérieure qui doit faire des choix moralement difficiles après que son fils de 10 ans est blessé au cours d’une embuscade terroriste en 2011.

Mehdi Barsaoui trouve un nouveau caractère d’urgence et un nouveau but pour le thriller social nord-africain

S’ensuit un drame sous pression fait de faux-semblants, alors que la divulgation de secrets de famille laisse place à un portrait de classe incisif, un machisme latent et des confabulations égoïstes, le tout dans un pays au bord d’un bouleversement sismique.

D’une main sûre, Barsaoui tisse harmonieusement ces fils pour en faire un récit étroitement contrôlé, utilisant une dynamique familiale épineuse pour contester la moralité discutable de l’élite libérale bien-pensante tunisienne.

7. Aidiyet

https://www.youtube.com/watch?v=WPFSoQhfgKQ

Ce ne fut pas un grand cru pour le cinéma turc : A Tale of Three Sisters (Kız Kardeşler) d’Emin Alper, qui a reçu un accueil froid en compétition à la Berlinale, a été le film le plus en vue des festivals. Mais la véritable découverte turque de 2019 a été Aidiyet de Burak Çevik, une comédie dramatique expérimentale qui se classe parmi les films de la région les plus inventifs de l’année sur la forme. 

Cette deuxième œuvre de Çevik se divise en deux parties : la première retrace le meurtre d’une vieille dame commis par le petit ami de sa fille, raconté en voix off et juxtaposé à des images fixes de lieux urbains vides.

Aidiyet, une comédie dramatique expérimentale qui se classe parmi les films de la région les plus inventifs de l’année sur la forme

La deuxième partie, qui se déroule au cours d’une soirée, raconte la première rencontre romantique entre la fille et le petit ami. Entre thriller noir, panorama de paysages d’avant-garde américaine et romance à la Before Sunrise, l’hybride atypique composé par Çevik, tout aussi séduisant qu’enchanteur, déborde de mystère et de charme.

Plus que tout, Aidiyet témoigne des contours illimités et des possibilités infinies du récit qui subvertit la narration traditionnelle.

6. 143 rue du désert

Après avoir attiré l’attention pour Dans ma tête un rond-point, le documentariste algérien Hassen Ferhani est revenu en 2019 avec son troisième film – et le meilleur à ce jour : 143 rue du désert, témoignage pittoresque de Malika, une vieille femme célibataire, propriétaire d’un restaurant routier dans le désert, dans son monde apparemment immobile.

Malika est un sujet insaisissable, tout comme le désert envahissant et énigmatique dont l’existence est tout aussi opaque que le personnage central de Ferhani.

Ses anecdotes, racontées à travers des interactions sporadiques avec les passants et les quelques hommes de sa vie, deviennent de plus en plus contradictoires alors que la caméra, en grande partie silencieuse, ne parvient pas à pénétrer son psychisme.

Tout aussi expansive et intime, la fresque riche et multiple de Ferhani est une méditation sur le vieillissement, la nature glissante de la mémoire et la fugacité du temps. C’est aussi l’une des enquêtes cinématographiques les plus fascinantes sur la relation floue et épineuse entre le cinéaste et ses sujets.

5. Talking About Trees

L’essor du cinéma soudanais a été la plus grande success story arabe de l’année. Dans Talking About Trees, premier long métrage de Suhaib Gasmelbari – qui a remporté le prix du meilleur documentaire à la Berlinale –, nous avons peut-être affaire au tout premier classique soudanais. Le récit retrace les longues et vastes entreprises d’un collectif de réalisateurs à la retraite, le Sudanese Film Club, qui tente de rouvrir une salle de cinéma à Omdourman, la ville la plus peuplée du Soudan.

Ce joyau drôle et réconfortant est un documentaire arabe rare

Face à une paperasse incroyable et à une résistance générale à tout ce qui est culturel, la détermination du groupe cache un désir d’affirmation de soi et de redécouverte de l’esprit et de la passion que le régime d’Omar el-Béchir avait réprimés pendant près de trente ans.

À la fois hommage à l’héritage cinématographique soudanais depuis longtemps oublié et célébration du cinéma comme outil de résistance, ce joyau drôle et réconfortant est un documentaire arabe rare : un film riche en émotions qui régale le public et qui n’hésite jamais à pointer du doigt la réalité laide et déprimante de son pays.

4. It Must Be Heaven

https://www.youtube.com/watch?v=RYSKzDiUGdk

Elia Suleiman, le plus grand auteur de cinéma vivant du monde arabe, a fait son retour tant attendu en 2019 avec son premier long métrage tourné en grande partie hors de Palestine. À la différence de ses films précédents, Suleiman est présent dans presque toutes les scènes d’It Must be Heaven, alors que son alter ego muet tatiesque quitte Nazareth et sa patrie sans espoir pour une vie plus saine à Paris puis à New York.

Le résultat est inégal et irrégulier. Certains gags se classent parmi les plus drôles de Suleiman alors que d’autres sont superflus et manquent de punch. Ses esquisses d’un Paris luxueux et gâté et d’un New York fourmillant d’armes paraissent souvent redondantes et pas si perspicaces. Pourtant, bien qu’It Must Be Heaven ne soit certainement pas la meilleure œuvre de Suleiman, ce film renferme encore suffisamment de transcendance cinématographique pour l’élever au rang des meilleurs films de l’année.

Par-dessus tout, It Must Be Heaven est un manifeste furieux des frustrations arabes

Le monde extérieur à la Palestine, déduit finalement Suleiman, n’est pas différent de sa patrie ; avec sa violence, son aliénation et son indifférence, il forme une grande prison capitaliste faite d’individualisme et de futilité.

Par-dessus tout, It Must Be Heaven est un manifeste furieux des frustrations arabes, du traitement humiliant dans les aéroports à l’oisiveté exaspérante et à l’absence de sens de la vie chez soi, en passant par le racisme perpétuellement aveugle d’un Occident blanc suffisant. Grouillant d’humour acide et de rage profonde, mais égayé de touches d’humanité, ce film est parachevé par la fin la plus puissante de tous les films de la zone MENA sortis cette année.

3. Abou Leila

Y a-t-il déjà eu un film sur la guerre civile algérienne aussi hallucinant, aussi troublant et aussi imprévisible qu’Abou Leila ? Le premier long métrage d’Amin Sidi-Boumédiène est tout sauf un film sur la guerre civile algérienne comme les autres. Alliant narration volontairement opaque et flou moral, son esthétique et sa forme sont aux antipodes du drame historique et social associé au sujet. Le meilleur thriller de la région MENA de l’année est un voyage en enfer, un périple conradien cauchemardesque au cœur des ténèbres.

Abou Leila est une bête unique, une image évocatrice qui combine les genres et immortalise brillamment la paranoïa d’un peuple mis à genoux par une violence incompréhensible

Au plus fort de la guerre, deux hommes (incarnés par Slimane Benouari et Lyes Salem) se lancent dans une expédition de mauvais augure au milieu du Sahara pour traquer le terroriste qui donne son nom au film. Cette intrigue forme l’essentiel d’un film où les identités, les motivations et la logique sont floues quasiment jusqu’à la fin.

Dans le désert prémonitoire et impitoyable de Sidi-Boumédiène, le réel et le cauchemardesque sont difficiles à discerner, reflétant le climat sanguinaire des années 1990. Les comparaisons avec le cinéma noir et surréaliste de David Lynch sont inévitables, mais Abou Leila est une bête unique, une image évocatrice qui combine les genres et immortalise brillamment la paranoïa d’un peuple mis à genoux par une violence incompréhensible.

Bien qu’un peu brut de décoffrage, ce film reste l’un des premiers longs métrages algériens les plus passionnants de la décennie.

2. Le Miracle du saint inconnu

https://www.youtube.com/watch?v=0dDpCHgLBUM

À des fins de pur divertissement, Le Miracle du saint inconnu, premier long métrage prometteur du réalisateur marocain Alaa Eddine Aljem, est le film arabe le plus agréable et le plus hilarant de l’année, regorgeant de comédie minimaliste et de blagues presque blasphématoires qui feraient la fierté de Suleiman – une influence reconnue.

Mais si l’on creuse un peu plus, on découvre une comédie intelligente et originale comme on en voit rarement non seulement dans le monde arabe, mais aussi ailleurs. C’est le genre d’humour qui pose avec délicatesse et habileté certaines des questions les plus pertinentes sur la réalité du Maroc post-Hassan II.

Younes Bouab, le prince du cinéma marocain indépendant, joue le rôle d’un voleur sans nom qui enterre son butin dans un village désert avant de finir en prison. À sa libération, il découvre que l’endroit a été transformé en sanctuaire religieux et attire les touristes.

Ce qui commence comme une comédie de casse mettant en scène certains des voleurs les plus idiots du cinéma arabe se transforme progressivement en un commentaire astucieux abordant les périls de la religion organisée, le besoin désespéré d’un sauveur et la recherche d’un but collectif. Aljem comprend que l’illusion est le moyen principal de survie dans une région qui refuse aux gens le droit à l’autodétermination.

Dans Le Miracle du saint inconnu, sa comédie est plutôt analytique que réprobatrice et traite ses sujets avec une grande compassion tout en refusant de donner des réponses définitives.

1. Tlamess

Qualifier de singulier le nouveau film du réalisateur tunisien Ala Eddine Slim est un euphémisme : il n’y a jamais rien eu de tel que Tlamess dans le cinéma arabe auparavant.

C’est un gigantesque casse-tête qui défie toutes les règles imaginables de la narration classique, une énigme diaboliquement façonnée qui a tout autant séduit que frustré le public depuis sa présentation à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, en mai.

Il n’y a jamais rien eu de tel que Tlamess dans le cinéma arabe auparavant

La longue évasion naturaliste du soldat pendant la première moitié du film cède la place à un troisième acte bizarre où les rôles biologiques genrés sont inversés et où toute interprétation lucide du public est jetée par la fenêtre.

Tlamess englobe plusieurs thèmes, notamment l’impact dévastateur de la militarisation sur l’individu, l’absurdité des rôles genrés, l’impossibilité d’une vie de famille heureuse et la fugacité de toute quête de bonheur. Mais dans sa forme la plus élémentaire, c’est une pure offensive contre les sens, un collage étourdissant de mouvements, de sons et d’images qui choque, désarme et captive.

C’est un acte de défi résolu contre les impératifs commerciaux du cinéma, la moralité commune et notre perception limitée de la réalité. Tlamess, pour reprendre le titre du livre influent de l’historien Amos Vogel, représente le cinéma en tant qu’art subversif.

- Joseph Fahim est un critique et programmateur égyptien. Délégué arabe du festival international du film de Karlovy Vary, il a aussi été membre de la Semaine de la critique de Berlin et directeur de la programmation du festival international du film du Caire. Il est co-auteur de plusieurs livres sur le cinéma arabe et a collaboré avec le Middle East Institute, plusieurs médias au Moyen-Orient, comme Al Monitor, Al Jazeera, Egypt Independent, The National, et plusieurs publications cinématographiques internationales telles que Verite. Ses écrits ont été publiés dans cinq langues différentes.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Joseph Fahim is an Egyptian film critic and programmer. He is the Arab delegate of the Karlovy Vary Film Festival, a former member of Berlin Critics' Week and the ex director of programming of the Cairo International Film Festival. He co-authored various books on Arab cinema and has contributed to numerous outlets in the Middle East, including Middle East Institute, Al Monitor, Al Jazeera, Egypt Independent and The National (U.A.E.), along with international film publications such as Verite. To date, his writings have been published in five different languages.
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