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Hollywood, qu’as-tu fait pendant la guerre d’Israël contre Gaza ?

Dénoncer le génocide à Gaza n’est plus considéré comme une menace pour la carrière, certains trouvant le courage de critiquer Israël
Le panneau Hollywood, à Los Angeles, Californie, le 22 janvier 2024 (Mario Tama/Getty Images/AFP)
Le panneau Hollywood, à Los Angeles, Californie, le 22 janvier 2024 (Mario Tama/Getty Images/AFP)

La semaine dernière, l’organisation populaire Cinema For Gaza a collecté plus de 326 000 dollars pour l’Aide médicale aux Palestiniens (MAP) en mettant aux enchères les dons fournis par des personnalités du monde du cinéma, dont Tilda Swinton, Ayo Edebiri et Josh O’Connor.

Petite opération au départ, organisée par un groupe de cinéastes et d’auteurs basés au Royaume-Uni, elle proposait dans un premier temps des lots tels qu’un rôle dans le prochain film de Gurinder Chadha ou une séance de mentorat Zoom avec un réalisateur.

Mais l’effort a rapidement pris de l’ampleur et est devenu bien plus grand : Cinema For Gaza a saisi l’esprit du moment.

Pour ses partisans, il y avait aussi une pointe de soulagement à pouvoir enfin apporter un soutien vocal à la Palestine sans crainte de diabolisation ou de représailles professionnelles.

Le changement de tendance, en particulier dans le monde du cinéma, a été progressif, mais deux moments clés y ont contribué de manière significative

Le changement de tendance, en particulier dans le monde du cinéma, a été progressif, mais deux moments clés y ont contribué de manière significative.

Le premier a été le discours prononcé par Jonathan Glazer lors de la cérémonie des Oscars début mars, lorsqu’il a accepté le prix du meilleur long métrage international pour le drame sur l’Holocauste, La Zone d’intérêt.

« Nous refusons que notre judéité et l’Holocauste soit détournés par une occupation qui a conduit à un conflit pour tant de personnes innocentes », avait-t-il alors déclaré en faisant référence à l’occupation israélienne.

Il s’agit de loin de la déclaration la plus importante et la plus intransigeante faite par un artiste depuis les attentats du 7 octobre menés par le Hamas, et qui lui a d’abord valu l’opprobre et le désarroi.

La condamnation est venue du réalisateur de Son of Saul, Laszlo Nemes, dans The Guardian, qui a remporté le même prix en 2016, et d’un millier de « créateurs juifs », qui ont publié une lettre ouverte de dénonciation.

En fait, n’importe qui pouvait signer la lettre, qui était un simple formulaire Google qui ne demandait pas si les signataires étaient juifs ou des professionnels de la création. L’un des noms était « Riverto Thesea », un jeu de mots sur l’expression « du fleuve à la mer ».

Le cas Barrera

Glazer est cependant resté ferme. D’après ce qu’on m’a dit, il a été extrêmement choqué et blessé par le traitement qu’il a subi – et a courageusement fourni une couverture à d’autres artistes souhaitant mettre en lumière le sort des Palestiniens dans le génocide en cours.

Il a ensuite été soutenu par un groupe « d’artistes, cinéastes, écrivains et professionnels de la création juifs », ainsi que par le directeur du Mémorial d’Auschwitz.

Le deuxième moment, début avril, est survenu après les frappes israéliennes ciblées qui ont tué sept travailleurs humanitaires de World Central Kitchen, qui ont suscité la condamnation de tous les côtés et ont brièvement uni la presse occidentale dans l’horreur.

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Après tout, il est plus difficile de dissimuler le meurtre d’humanitaires occidentaux blancs que celui d’enfants palestiniens.

L’une des créatrices de Cinema For Gaza, la journaliste Hanna Flint, l’a dit dans des commentaires adressés aux médias. À la suite de l’attaque du 7 octobre et des représailles immédiates d’Israël, elle a déclaré au Hollywood Reporter avoir remarqué une « peur de s’exprimer », ajoutant que « parfois, il faut ce genre de voix collective pour aider les gens à se sentir courageux et à dire : je veux me lever et aider ».

C’est certainement vrai – et voir cet effet est réconfortant. Mais c’est aussi une générosité, peut-être injustifiée, de la part des légions de personnalités influentes et éminentes du secteur qui ont passé des mois à ne rien dire de peur de nuire à leur réputation.

Ceux qui se sont prononcés très tôt se distinguaient par leur rareté. Le licenciement de l’actrice Melissa Barrera du prochain opus de la franchise Scream, en novembre, a fait office de récit édifiant.

Barrera a été limogée pour avoir partagé un article accusant Israël de génocide et de nettoyage ethnique – une position qui, cinq mois plus tard, est pratiquement devenue une orthodoxie publique, après que la CIJ a estimé en janvier qu’il existait des motifs raisonnables de conclure qu’Israël pouvait avoir commis des actes de génocide.

L’autre délit de pensée de Barrera a été de partager un article affirmant qu’Israël déforme les faits sur l’Holocauste pour stimuler son industrie de l’armement. Encore une fois, cet argument, qui a été étudié dans les travaux de Pankaj Mishra et Antony Loewenstein, entre autres, n’est guère extraordinaire.

En décembre, l’acteur de The Marvels, Saagar Shaikh, a parlé de sa faible contribution à la promotion du film.

« Je ne pense tout simplement pas que ce soit important. C’est un putain de film et des gens meurent. Et nous payons pour cela », a-t-il déclaré. « Je m’en fous si mon travail est en jeu parce que j’en trouverai un autre. Je deviendrai menuisier s’il le faut. »

Il a ajouté : « Tout le monde a une voix. Si vous ne l’utilisez pas, pourquoi êtes-vous ici ? »

Tout le monde a une voix, mais on vous aurait pardonné de ne pas le savoir au cours des premiers mois de la guerre l’année dernière. Hollywood n’a jamais été aussi silencieux depuis l’ère du cinéma muet.

Déséquilibré et lâche

Pendant ce temps, l’industrie cinématographique poursuivait pour l’essentiel son cours habituel, allègre et soi-disant « apolitique », s’arrêtant de temps en temps pour scruter le monde à l’extérieur des salles de projection et poser des questions percutantes telles que : « Est-ce quelque chose dont je devrais être conscient ? »

Au Festival international du documentaire d’Amsterdam en novembre, plusieurs réalisateurs ont retiré leurs films de la sélection officielle après une sévère condamnation par la direction du festival de l’expression « du fleuve à la mer » lors d’une manifestation pendant la soirée d’ouverture.

Proposer une critique virulente d’un appel à la liberté plutôt que du meurtre de – à ce stade – plus de 35 000 Palestiniens serait risible s’il n’était pas aussi déséquilibré et lâche.

Mais le monde du cinéma ne faisait, dans un sens, qu’imiter les organisations artistiques désemparées ou pétrifiées du monde entier.

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La Foire du livre de Francfort, le Musée d’art Folkwang, le Barbican, la Galerie Lisson, le Prix Hannah Arendt (!) et la mairie de Paris sont quelques-unes des organisations qui ont annulé des événements d’artistes ou d’écrivains soutenant Gaza au cours des six derniers mois.

En février, cet appel à la honte a été rejoint par le Festival du film de Berlin, lorsque ses directeurs sortants ont annoncé qu’ils entamaient une procédure pénale contre un agent qui avait piraté le site internet pour dire, entre autres, « du fleuve à la mer ».

À cette époque, les responsables allemands ont annoncé qu’ils enquêteraient sur la manière dont le festival avait permis que des discours « unilatéraux » en faveur de la Palestine soient prononcés lors de sa cérémonie de clôture, notamment par plusieurs professionnels du cinéma.

Mariette Rissenbeek, la directrice exécutive du festival, s’était prononcée pour exiger la libération des captifs détenus par le Hamas.

Mais le discours de remise des prix des cinéastes israéliens et palestiniens Yuval Abraham et Basel Adra, attaquant l’occupation de la Palestine par Israël, rapidement devenu viral, a été fermement condamné par les autorités allemandes, qui ont mené une campagne contre tout artiste – y compris de nombreux artistes juifs – qui s’exprime.

Abraham (qui est juif) a été qualifié d’antisémite et jeté aux loups dans les commentaires allemands.

Les organisateurs de Cinema For Gaza ont montré l’exemple, en participant aux marches dès le début et en utilisant leurs plateformes pour partager des nouvelles et des messages de soutien, de protestation et de demandes de financement.

D’autres professionnels de l’industrie cinématographique voudront peut-être réfléchir à leurs réponses à un moment où il était personnellement risqué de prendre position.

Mais il semble exagéré d’espérer que le monde du cinéma ait tiré des leçons durables de ce qui s’est passé à Gaza depuis le 7 octobre.

Traduit de l’anglais (original).

Caspar Salmon is a culture journalist, author and broadcaster who has contributed to The Guardian, the BBC, Prospect, The New Statesman, GQ and Sight & Sound, among others.
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