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Comment l’État islamique utilise des comptes piratés pour déverser sa propagande sur Twitter

Contrairement à l’assertion selon laquelle l’EI se meurt, l’activisme du groupe sur Twitter montre que ses opérations de propagande demeurent prospères
Twitter a suspendu de nombreux comptes de propagande, mais de nouveaux continuent à apparaître (AFP)

Les personnes qui connaissent Twitter en arabe savent qu’il s’agit d’un terrain miné. Les hashtags tendances sont souvent dominés par de la propagande, du porno et des publicités pour le viagra. 

Cependant, il y a également des comptes de l’État islamique (EI) – des tas et des tas de comptes. En cliquant sur un hashtag tendance en arabe, il y a des chances de voir alors une vidéo d’une attaque de l’EI, d’un discours de l’ancien dirigeant Abou Bakr al-Baghdadi, des véhicules piégés et des exécutions à bout portant.

L’idée est qu’un tweet apparaîtra alors sur de multiples tendances à travers Twitter en arabe. En d’autres termes, pas moyen d’y échapper

Un fil conducteur unit toutes ces vidéos : les exhortations des mérites de l’EI, une organisation connue pour sa brutalité très médiatisée. 

Ce n’est pas une anomalie. Au cours des derniers mois, les hashtags les plus populaires dans les pays arabes ont été rapidement spammés par des milliers de vidéos de propagande de l’EI, de l’Arabie saoudite à l’Algérie.

Au cours des deux dernières semaines de janvier, j’ai téléchargé un échantillon non exhaustif de 5 800 tweets de propagande de l’EI. Plus de 4 100 d’entre eux ont été publiés en l’espace d’à peine deux jours. 

Quasiment tous ces tweets contenaient des vidéos de propagande de l’EI. Les plus sinistres d’entre elles montraient une rangée d’hommes être exécutés systématiquement au fusil automatique par un homme. 

Le mode opératoire de quiconque gère ces comptes est grossier. Ils choisissent des sujets tendances à travers le monde arabe, et les spamment avec des tweets contenant de nombreux hashtags. L’idée est qu’un tweet apparaîtra alors sur de multiples tendances à travers Twitter en arabe. En d’autres termes, pas moyen d’y échapper.

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De nombreux comptes semblent être automatisés, publiant des tweets à intervalles réguliers. Par exemple, @MarroZabala (désormais suspendu) publiait deux tweets à la minute, avec environ 40 secondes d’écart.

Volume élevé, cycle de vie limité

Ces comptes sont souvent suspendus assez rapidement par Twitter, mais c’est variable – et la suspension n’intervient pas avant qu’ils n’aient diffusé des centaines de tweets chacun, suggérant que cette suspension repose sur des signalements, plutôt que sur un algorithme automatique.  

La plupart de ces comptes semblent avoir été à l’origine de véritables comptes que s’est appropriés l’EI pour diffuser sa propagande. Sur beaucoup, on peut encore voir des preuves des tweets de l’utilisateur originel, contrastant fortement avec la propagande.

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Un compte, @MonarchyHistory (désormais suspendu), semblait s’intéresser à tout ce qui est en lien avec la monarchie britannique. Un autre appartenait à une mère galloise et comportait toujours des photos de l’équipe de foot régionale sur son fil d’actualité.

La plupart des comptes tweetent énormément, certainement pour maximiser leur cycle de vie limitée. Un compte piraté, @TerriReid, a publié 1 500 tweets en seulement six jours. Un autre compte, @Wiz_Khaliffa, a tweeté 800 fois en seulement deux jours entre le 22 et le 24 janvier. 

En raison notamment du volume élevé de tweets, l’engagement peut être important. Dans mon échantillon de 5 800 tweets, il y a plus de 800 retweets et 900 favoris. Les vidéos de propagande suscitent de nombreuses réactions, l’une d’entre elles a amassé environ 21 000 vues. Des gens interagissent avec les tweets, exprimant leur réprobation ou leur soutien. En clair, ces tweets ne sont pas ignorés.

Les vidéos apparaissent fréquemment dans la section principale des résultats de recherche Twitter, ceux qui explorent certains hashtags sont donc assurés d’être immédiatement exposés à la propagande de l’EI. 

Combattre la désinformation

Il y a plusieurs années, Twitter avait annoncé avoir suspendu 125 000 comptes principalement liés à l’EI entre la mi-2015 et février 2016. Des recherches ultérieures ont remis en question l’efficacité de ces suspensions, se demandant si elles ne relevaient pas davantage du jeu de la taupe. 

En effet, de nouveaux comptes de propagande apparaissent dès que les autres sont suspendus ou presque, suggérant que les gestionnaires ont un réservoir de comptes dans lequel puiser. 

Quelles que soient les tactiques de Twitter pour juguler les efforts de l’EI, ceux qui gèrent la machine de propagande automatisée du groupe maîtrisent la partie, avec un effet certes grossier mais puissant

La tactique actuelle semble être le recours à un nombre relativement limité de comptes qui peuvent être sacrifiés si besoin et qui publient de très nombreux tweets avec de nombreux hashtags. Plutôt que de déployer tous ces comptes en une seule fois et de risquer de les voir suspendus en masse, cela permet à celui qui gère le réseau de proposer un flux de propagande de l’EI plus régulier et à plus long terme. 

Cela jette de nouveaux doutes sur la capacité de Twitter à combattre efficacement les fake news, la désinformation et la propagande en ligne.

Les tentatives de juguler leur influence reposent sur une politique visant à limiter les dommages plutôt que sur la prévention. En outre, de nombreuses vidéos semblent avoir été publiées via Twitter Ads, la plateforme publicitaire officielle de Twitter, laquelle permet de programmer les tweets.

Quelles que soient les tactiques de Twitter pour juguler les efforts de l’EI, ceux qui gèrent la machine de propagande automatisée du groupe maîtrisent la partie, avec un effet certes grossier mais puissant.

Et contrairement à l’assertion selon laquelle l’EI se meurt, cela montre, pour le moins, que l’opération d’information du groupe est toujours florissante. 

Marc Owen Jones est professeur adjoint d’études du Moyen-Orient et d’humanités numériques à la faculté de sciences humaines et sociales de l’Université Hamad ben Khalifa (HBKU), au Qatar. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @marcowenjones.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marc Owen Jones is an Associate Professor of Middle East Studies at HBKU, and a Senior Non Resident Fellow at Democracy for the Arab World Now and the Middle East Council for Global Affairs
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