N’évoquez pas nos coups d’État, s’il vous plaît monsieur Bolton
Ce bon vieux John Bolton. Ce faucon diplomatique américain, vétéran des interventions américaines, du fiasco Iran-Contra aux perturbations mondiales en tant que conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, a tout déballé la semaine dernière.
Le reporter de CNN Jake Tapper a piqué la vanité de Bolton à propos de son bilan inique pour l’amener à parler des activités de changements de régime auxquelles il a participé au cours de ses dix-sept mois tumultueux au service de Trump.
Le 6 janvier est devenu un événement déterminant qui pourrait prouver, au moins à ceux qui s’en soucient, l’indicible malfaisance de Trump et ses partisans
Tapper a aiguillé Bolton en lui disant : « Pas besoin d’être brillant pour tenter un coup d’État. » Bolton a mordu à l’hameçon et répondu : « Ayant moi-même contribué à planifier des coups d’État, pas ici, mais, vous savez, ailleurs ; cela demande énormément de travail. » Tapper a encouragé Bolton à en dire davantage sur ce qu’il fallait faire pour planifier un coup d’État, étant donné qu’il mentionnait son expertise dans leur planification.
Bolton a déclaré qu’il n’entrerait pas dans les détails, avant d’ajouter : « Eh bien, j’ai parlé du Venezuela dans ce livre et qui s’est révélé être un échec. » Il s’agissait d’une tentative de coup d’État soutenue par les États-Unis contre Nicolás Maduro à la suite de l’élection contestée de 2018. Comme l’admet Bolton, ce fut un échec (bien que les sanctions américaines dont celui-ci était un fervent partisan handicapent toujours l’économie du Venezuela).
Bolton était interviewé à propos de l’assaut violent et chaotique sur le Capitole le 6 janvier dernier, actuellement au cœur des auditions au Congrès. Comme le Russiagate (les auditions supposées prouver comment Trump était la marionnette de Vladimir Poutine, mais qui se sont terminées par un échec), les audiences du 6 janvier examinent le rôle de l’ancien président dans cette tentative de renversement de la victoire de Biden en 2020. Cependant, Trump ne s’avère pas être un Mussolini en herbe : au lieu de troupes d’assaut disciplinées prêtes à exécuter son plan, il était entouré par des clowns et des opportunistes incapables.
En ce qui concerne les véritables organisateurs de coup d’État, Bolton s’en approche le plus, bien que les vrais exécutants des coups d’État ne donnent pas d’interview sans concession à CNN. (L’un d’eux : John Sipher, ancien des services secrets de la CIA, a même interpellé Bolton sur Twitter en insistant sur le fait que les États-Unis ne pratiquaient plus de coups d’État.)
Assaut du 6 janvier et autres coups d’État
Alors que c’est la débandade dans l’administration Biden avant les élections de mi-mandat, le 6 janvier est devenu un événement déterminant qui pourrait prouver, au moins à ceux qui s’en soucient, l’indicible malfaisance de Trump et ses partisans et donner un coup de pouce aux démocrates dans un contexte d’immense déception vis-à-vis de la présidence de Biden.
Bien entendu, en matière de coup d’État en dehors des États-Unis (trop nombreux pour être mentionnés), les démocrates ne rechignent pas à aider à organiser l’assaut de bâtiments gouvernementaux à travers le monde, même contre des dirigeants élus démocratiquement.
Les huiles de Washington étaient bien entendu furieuses que Bolton brise l’omerta de l’autorité américaine, qui passe chaque jour à entretenir le discours des valeurs américaines de la démocratie tout en travaillant tout aussi dur pour saper les gouvernements considérés comme une menace pour les intérêts impérialistes des États-Unis.
Evo Morales, ancien président de Bolivie renversé en 2019 par l’armée, estime que ces remarques montrent que les États-Unis sont « le pire ennemi de la démocratie et de la vie », rapporte le Washington Post.
« Ce n’est pas une surprise », réagit quant à lui Wang Wenbin, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. « Cet aveu montre simplement que l’ingérence dans les affaires internes d’autres pays et le renversement de leurs gouvernements sont devenus une pratique standard du gouvernement américain… cela fait partie du manuel des États-Unis. »
Larry Diamond, de l’institution Hoover à l’université de Stanford, tacle l’aveu de Bolton : « Cela nuit à nos efforts pour faire progresser et soutenir la démocratie », indique-t-il. « Nous avons suffisamment de mal à contrer les propagandes russe et chinoise. » Il apparaît que Diamond était un acteur important dans le renversement de l’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch en 2014 et avait précédemment conseillé l’autorité d’occupation américaine en Irak après l’invasion décidée par George W. Bush.
Soulèvement ou coup d’État ?
L’une des plus grandes réussites de Diamond fut la vidéo « Je suis Ukrainien » devenue virale lors de la crise 2013-2014. Elle semblait montrer l’état d’esprit des jeunes Ukrainiens combattant un régime corrompu, mais a été créée par une société de production financée par la National Endowment for Democracy (surnommée National Endowment for Regime Change) et dirigée par nul autre que le conseiller du département d’État américain Larry Diamond.
L’implication américaine dans les coups d’État et les changements de régime en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe ne sont pas une curiosité de la guerre froide
L’acteur clé américain dans le soulèvement de février 2014 en Ukraine était la vice-secrétaire d’État du président Barack Obama : Victoria « Fuck the EU » Nuland. Grâce à la révélation d’enregistrements (et aux milliards de dollars qui sont passés en Ukraine), il est clair que les États-Unis tiraient les ficelles de ces événements largement présentés dans les médias occidentaux comme un soulèvement populaire pour renverser Ianoukovitch et mettre en place un régime nationaliste pro-américain.
Dans une conversation dévoilée entre la Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères Catherine Ashton et le ministre estonien des Affaires étrangères Urmas Paet en mars 2014, ce dernier mentionnait les preuves balistiques que les snipers qui avaient abattu plus de 80 personnes des deux camps dans les jours critiques des affrontements de la place Maïdan à Kyiv ne travaillaient pas pour le gouvernement de Ianoukovitch mais faisaient partie de l’opposition d’extrême droite. Les États-Unis n’en n’ont pas moins blâmé le gouvernement déchu, créant un discours autour des événements toujours en vigueur à ce jour.
Depuis le coup d’État en Iran en 1953, les États-Unis ont affiné un modèle de renversement des gouvernements à l’aide de forces locales clientes, d’agents volontaires sur le terrain, dans les médias et la propagande, et bien sûr des ruses et des troupes spécialisées.
Fin de partie en Ukraine
Bien entendu, cette partie d’échecs géopolitique – qui a été traitée avec dérision par Bolton et son interviewer – a une fin : la guerre en Ukraine. Une fois que le nouveau régime à Kyiv, aujourd’hui dirigé par Volodymyr Zelensky, a été installé en 2014, la région du Donbass a fait sécession et la Russie a annexé la Crimée. Une guerre a éclaté dans l’Est, ce dont le président russe Vladimir Poutine est le principal accusé.
Mais les États-Unis ont apporté un soutien sans faille à ces forces en Ukraine qui ont vu la guerre avec la Russie comme le seul moyen de se libérer de Moscou et d’effacer la défaite des forces ukrainiennes pro-Nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette alliance avec les forces d’extrême droite a été largement édulcorée lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en février cette année.
L’implication américaine dans les coups d’État et les changements de régime en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe ne sont pas une curiosité de la guerre froide. Les moments de candeur tels que celui de Bolton nous rappelle qu’ils n’ont pas disparu.
L’idée que les États-Unis représentent la démocratie et la liberté à travers le monde vit toujours dans la bulle du discours officiel américain, mais au moment où Joe Biden offre son plein soutien au régime israélien d’occupation à Tel Aviv et à la dictature saoudienne à Riyad, cela ne leurre personne.
- Joe Gill a travaillé comme journaliste à Londres, Oman, Venezuela et aux États-Unis pour diverses publications dont le Financial Times, le Morning Star et Middle East Eye. Il est titulaire d’un master en politique de l’économie mondiale de la London School of Economics. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @gill_joe
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].