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Israël-Palestine : à quoi ressemblera le Moyen-Orient après la guerre ?

Le conflit à Gaza va exacerber la crise des réfugiés dans la région, dans un contexte d’évolution des dynamiques politiques et de déclin des acteurs étatiques officiels
Une fillette à l’entrée d’une tente montée par des Palestiniens s’abritant des bombardements aériens à Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 23 novembre 2023 (AFP)

Il est impossible de prédire exactement à quoi ressemblera le Moyen-Orient après la guerre à Gaza, laquelle va remodeler la région si on en croit la promesse du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.

On ne sait pas encore quels seront les résultats de cette guerre, même si ses proportions désastreuses sont de plus en plus manifestes : on dénombre plus de 18 400 Palestiniens tués jusqu’à présent, en majorité des femmes et des enfants. Environ 1,8 million de personnes ont été déplacées à cause de la destruction des infrastructures gazaouies.

Le nouveau visage du Moyen-Orient sera donc marqué par un nombre important de réfugiés et de déplacés, comparable aux effets de la Nakba de 1948, dont les descendants peuplent encore aujourd’hui les camps de Gaza. On est face à un état de déplacement forcé générationnel.

Cette situation est comparable à la guerre en Syrie, qui a contraint énormément de réfugiés et de déplacés à vivre dans des camps bondés et dans des conditions inhumaines.

En effet, une nouvelle génération émerge dans la région. En Jordanie, le taux de natalité parmi les réfugiés syriens serait plus élevé que celui des Jordaniens. Il y a plus de cinq millions de réfugiés syriens enregistrés en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak et en Égypte, s’ajoutant aux millions de déplacés au sein même de la Syrie. Beaucoup vivent dans des conditions difficiles et une extrême pauvreté.

La guerre au Yémen a également alimenté la crise des réfugiés, 4,5 millions de personnes ayant été contraintes de fuir leur foyer. Cela intervient après les guerres en Irak et en Afghanistan qui avaient elles-mêmes produit leurs flux de réfugiés ces vingt dernières années.

Les déplacés de Gaza viennent désormais s’ajouter à la liste. Par ailleurs, cette guerre créera une nouvelle génération d’angoisse psychologique, face à l’ampleur des décès et des pertes.

Désintégration de la souveraineté des États

Les dynamiques de déplacement forcé sont nécessairement liées aux dynamiques du radicalisme, de l’anxiété, de l’incertitude et de la colère. Cela facilite le processus de recrutement de jeunes révoltés dans des organisations telles que l’État islamique. On a là une bombe à retardement, constituée par une génération instable et marginalisée qui vit dans des conditions anormales.

Le « nouveau Moyen-Orient » qui se dessine après la guerre à Gaza sera aussi affecté par le rôle croissant des acteurs non étatiques et semi-étatiques. Cette guerre a renforcé la pertinence de ces acteurs, principalement le Hamas, considéré comme une organisation terroriste par l’Union européenne notamment. Le statut du Hezbollah libanais et des Houthis yéménites a également été rehaussé.

On a là une bombe à retardement, constituée par une génération instable et marginalisée qui vit dans des conditions anormales

Si on les ajoute à un autre groupe d’acteurs en dehors de la guerre à Gaza, comme Hayat Tahrir al-Cham à Idleb (Syrie) et les Forces démocratiques syriennes dominées par les Kurdes, on constate un déclin relatif du poids militaire des acteurs étatiques officiels dans le contexte des dynamiques régionales.

Le rôle croissant des acteurs non étatiques ou semi-étatiques reflète l’échec lamentable du concept d’État-nation arabe. Cela entraîne également de lourdes conséquences, notamment un retour des affiliations ethniques, religieuses et confessionnelles ainsi que la désintégration de la souveraineté des États de la région. 

En outre, cela reflète une prolifération des relations transfrontalières et une extension de l’influence iranienne (dans le cadre de l’« axe de la résistance »).

Par ailleurs, on constate l’évolution de la nature des guerres régionales, avec un accent de plus en plus marqué sur la guérilla urbaine, les batailles par procuration, la guerre psychologique, la propagande et la désinformation.

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Dans le même temps, la guerre à Gaza renouvelle la discussion sur l’importance stratégique du Moyen-Orient dans la sphère de la politique internationale, à l’heure où les États-Unis mènent une politique de désengagement régional dans le cadre d’un pivotement vers la Chine et la Russie. L’actuelle guerre amène à repenser ces politiques.

Il devient de plus en plus clair que la valeur et l’importance du Moyen-Orient vont au-delà de simples considérations économiques et commerciales et s’étendent aux sphères religieuses, symboliques et culturelles, liant des pays majeurs à travers la région, en particulier en ce qui concerne la cause palestinienne.

S’il y a là certaines des implications régionales initiales, d’autres apparaîtront sûrement au fil du temps et de l’émergence d’un tableau plus clair des résultats de la guerre à Gaza.

- Mohammad Abu Rumman est professeur associé à l’Université de Jordanie et conseiller académique au Politics and Society Institute d’Amman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mohammad Abu Rumman is Associate professor of politics at the University of Jordan and an academic advisor at the Politics and Society institute.
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