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Le gaz palestinien pillé ? L’UE pourrait être accusée de complicité

Un nouveau rapport sous-entend qu’une compagnie énergétique qui développe des réserves de gaz israéliennes a également pu extraire illégalement des ressources palestiniennes. Si le projet de gazoduc israélo-européen avance, l’UE pourrait se révéler complice du crime de pillage

Une société énergétique américaine qui a signé un contrat avec le gouvernement israélien pour développer les réserves de gaz offshore d’Israël a été accusée de « piller » potentiellement des réserves de gaz dans les territoires palestiniens.

Ces révélations surviennent un mois à peine après que les responsables israéliens et de l’Union européenne ont accepté des plans visant à développer un énorme gazoduc sous-marin de 2 200 kilomètres. Le gazoduc « EastMed » acheminerait du gaz israélien vers la Grèce et l’Italie, où il pourrait ensuite être transporté vers l’Europe.

Ces plans, qui forment l’un des 195 « projets d’intérêt commun » d’infrastructures énergétiques évalués par la Commission européenne, pourraient permettre au gazoduc d’acheminer du gaz israélien vers l’Europe d’ici 2025.

L’extraction de gaz d’un gisement aussi contigu nécessite un accord de coopération avec l’Autorité palestinienne

Une partie de ce gaz pourrait comprendre des ressources volées dans les eaux palestiniennes. C’est ce que laisse entendre un nouveau rapport publié en mai par SOMO, une organisation néerlandaise de défense des droits de l’homme qui est financée par la Commission européenne et le ministère néerlandais des Affaires étrangères.

Une extraction illégale ?

Le rapport établit que Noble Energy, une compagnie de pétrole et de gaz basée à Houston (Texas), a potentiellement extrait illégalement du gaz du gisement israélien Noa, qui est contigu au Gisement frontalier palestinien.

L’extraction de gaz d’un gisement aussi contigu nécessite un accord de coopération avec l’Autorité palestinienne (AP) en vertu des accords d’Oslo. Néanmoins, Noble Energy a extrait le gaz de Noa en sachant pourtant que cela « pouvait entraîner un drainage du gaz du Gisement frontalier palestinien », selon le rapport.

Le gisement Noa, indique le rapport, forme « une ressource géologique contiguë au Gisement frontalier » qui, selon les estimations, contient 40 millions de milliards de mètres cubes de gaz :

« Une extraction unilatérale violerait la souveraineté de la population palestinienne sur ses ressources naturelles, susciterait des inquiétudes quant à l’implication des compagnies de gaz dans l’acte de pillage et constituerait une violation du devoir d’Israël en tant que puissance occupante de protéger les biens immeubles de l’État occupé. »

L’extraction de détails

Bien que la compagnie assure ne pas prélever de gaz dans les eaux palestiniennes, son rapport annuel de 2012 a confirmé qu’elle avait bien développé le gisement de gaz « Noa/Noa sud » – Noa sud étant la partie du gisement qui est contiguë au gisement détenu par l’AP.

« Malgré les demandes que nous avons formulées, Noble Energy n’a pas été en mesure de fournir des données vérifiables montrant l’extraction de Noa et le statut du Gisement frontalier », a indiqué Lydia de Leeuw, auteure du rapport.

« Noble Energy n’a pas reconnu la nature du contexte dans lequel elle opère – occupation militaire, blocus naval, marché palestinien captif »

– Lydia de Leeuw, SOMO

Les cartes produites par BG Group, m’a indiqué de Leeuw, montrent que toute extraction de gaz de Noa porte clairement le risque d’extraire également du gaz du gisement transfrontalier palestinien.

« Notre impression est que Noble Energy n’a pas reconnu la nature du contexte dans lequel elle opère – occupation militaire, blocus naval, marché palestinien captif », a affirmé de Leeuw.

« Noble n’a pas tenu compte du statut d’occupation de la bande de Gaza, ni de la souveraineté et de l’autodétermination palestiniennes quant au Gisement frontalier et à Gaza Marine. Elle n’a pas agi avec précaution lors du développement et de l’extraction du gaz de Noa. Le déséquilibre des pouvoirs entre Israël et l’AP et le manque d’influence perçu auprès des autorités israéliennes sont ce qui, selon moi, a contribué à cette approche adoptée par Noble. »

Le fait de ne pas avoir obtenu le consentement palestinien pour le forage constitue une violation des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, conclut le rapport. Si le gaz palestinien est effectivement drainé du Gisement frontalier par l’extraction du gaz de Noa, les implications sont encore plus graves.

Dans ce cas, le rapport de SOMO précise qu’« on peut soutenir que Noble Energy a participé à un acte de pillage en violation du droit international humanitaire et pénal qui pourrait également entraîner une responsabilité pénale individuelle ».

Noble Energy n’a pas répondu à de multiples demandes de commentaires.

L’Autorité palestinienne complice ?

Middle East Eye a précédemment rapporté qu’un autre gisement, Mari-B, qui a déjà été largement épuisé par Noble et son partenaire, la compagnie israélienne Delek Group, aurait pu parfaitement être revendiqué par les Palestiniens, pour une superficie atteignant 6 600 kilomètres carrés de territoire maritime dans le bassin levantin riche en gaz, situé en Méditerranée orientale.

LIRE L’ENQUÊTE DE MEE : Gaz palestinien : la boîte noire

L’AP s’est cependant montrée réticente à revendiquer les droits palestiniens sur une grande partie de ces ressources.

Les Palestiniens dépendent presque totalement de l’Israel Electric Corporation (IEC) soutenue par l’État israélien, qui approvisionne environ 85 % de leur électricité. Toutefois, le gaz de Noa, de Mari-B et, selon SOMO, du Gisement frontalier, est vendu à l’IEC par Noble Energy et Delek Group.

Cela signifie qu’au lieu de voir les Palestiniens développer leurs propres réserves, qui pourraient ensuite être utilisées soit pour exporter et générer de nouveaux revenus, soit pour soutenir la production d’électricité intérieure, nous pourrions voir le gaz palestinien être siphonné et revendu aux Palestiniens sous la forme d’électricité. Il est également utilisé pour fournir de l’électricité aux colonies israéliennes en Cisjordanie.

Gaza Marine possède également des ressources importantes en gaz, estimées à 28 millions de milliards de mètres cubes. Israël considère depuis longtemps le développement de ce gisement sous le contrôle du Hamas comme une menace existentielle qui doit être bloquée par une action militaire si nécessaire.

Camp de réfugiés de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, en avril 2017. La seule centrale électrique de la bande de Gaza était hors service plus tôt dans la semaine suite à un manque de carburant (AFP)

Au cours des derniers mois, l’AP a accéléré les négociations avec Shell, qui possède la plupart des droits, en vue de démarrer les travaux de développement de Gaza Marine. Toutefois, dans le même temps, elle a tenté de faire pression sur le Hamas en cessant de verser des paiements à Israël pour l’approvisionnement en électricité de la bande de Gaza.

Désormais, le Times of Israel prévoit que la détérioration de la situation entraînera probablement une nouvelle guerre, dans la mesure où Israël ne financera l’approvisionnement de Gaza en électricité que jusqu’à un certain point.

Si le projet de gazoduc israélo-européen avance, l’UE pourrait se révéler complice du crime de pillage. Le porte-parole de la Commission européenne à l’énergie a refusé de répondre à une demande d’explications quant à la position de l’UE sur l’achat de gaz en provenance d’Israël qui pourrait comprendre du gaz palestinien extrait illégalement.

L’UE semble commodément fermer les yeux sur la colonisation des ressources énergétiques palestiniennes.

Nafeez Ahmed est journaliste d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu’il appelle la « crise de la civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation Project Censored dans la catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l’intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The Independent, Sydney Morning Herald, The Age, The Scotsman, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, Prospect, New Statesman, Le Monde diplomatique et New Internationalist. Son travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et à l’enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : travailleur sur une plate-forme de forage de gaz israélienne en Méditerranée au large des côtes d’Israël, en 2015 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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