Le terrorisme est un problème mondial, pas un problème musulman
Aujourd’hui, des pays du monde entier sont terrorisés et ravagés par l’extrémisme. Les territoires comme les esprits sont conquis par une croisade militante et idéologique. Qu’elle soit juste ou erronée, la simple mention du mot « terrorisme » évoque des images d’hommes musulmans barbus – kalachnikovs à la main – qui cherchent à éradiquer toute pensée, toute personne ou tout objet contraire à leur idéologie fondamentaliste étroite.
Traduction : « "La menace terroriste n’a rien à voir avec l’islam". Vraiment ? Prévenez-nous tous quand un attentat terroriste aura été perpétré par quelqu’un qui n’est pas un musulman. »
Traduction : « Quand vous dites "musulman", la première idée qui nous vient à l’esprit est "terrorisme". Les mollahs devraient assumer leur responsabilité, pas rejeter la faute sur les autres. »
Pourtant, en dépit des vastes débats juridiques et politiques qui s’étendent sur des décennies, la question demeure : « Qu’est-ce que le terrorisme ? ». Sans définition juridique internationale commune, sur quels motifs les pays définissent-ils et poursuivent-ils une entité terroriste ? En outre, cette absence de définition pourrait-elle constituer un écran de fumée permettant aux gouvernements d’orchestrer un terrorisme d’État en sévissant contre des mouvements politiques légitimes – tant nationaux qu’étrangers ?
« Ce ne sont pas seulement les agences individuelles au sein du même appareil gouvernemental qui ne s’accordent pas sur une définition unique du terrorisme. Les experts et autres spécialistes de longue date dans ce domaine sont également incapables de parvenir à un consensus », conclut le professeur Bruce Hoffman, directeur du Centre d’études sur la sécurité de l’Université de Georgetown.
Accessoirement, il n’y a aucun doute dans l’esprit de nombreuses personnes quant à la nature et aux auteurs du terrorisme. Suite au massacre tragique de près de 3 000 personnes sur le sol américain en 2001, le président des États-Unis George Bush a lancé la tristement célèbre « guerre contre le terrorisme » lors d’une session conjointe du Congrès et devant le peuple américain. « Notre guerre contre le terrorisme commence avec al-Qaïda, mais elle ne s’arrête pas là. Elle ne s’arrêtera pas tant que nous n’aurons pas découvert, neutralisé et démantelé tous les groupes terroristes aux ambitions internationales », avait annoncé Bush.
Émile Lahoud, alors président du Liban, avait souligné à juste titre : « Il ne suffit pas de déclarer la guerre contre ce que l’on considère comme du terrorisme sans en donner une définition précise et exacte. » Lahoud avait peut-être manqué de relever que Bush était tout à fait explicite dans son emploi des termes « terrorisme » et « terroristes musulmans » en tant que synonymes.
Et soyons francs à ce sujet : beaucoup réexamineront le discours de Bush simplement comme une reconnaissance de la vérité – l’extrémisme musulman est le problème. Aujourd’hui encore, ces sentiments trouvent leur écho à travers les médias du monde entier et sont perpétués par des images de sauvages décapitant des travailleurs humanitaires et des journalistes occidentaux au grand cœur en Syrie et en Irak.
Traduction : « Hier : le Congrès désigne le Qatar comme un sponsor du terrorisme. Aujourd’hui : le Qatar expulse des dirigeants des Frères musulmans. Conclusion : les Frères musulmans sont des terroristes. »
Alors que le terrorisme est un sujet vaste et complexe, les discussions modernes se limitent presque exclusivement au terrorisme d’insurrection – où des groupes idéologiques comme al-Qaïda prennent les armes et se soulèvent contre divers acteurs politiques nationaux et étrangers. Cependant, les discussions générales encadrent peu le terrorisme d’État, qui se réfère aux États ou aux régimes qui contraignent leur peuple par la force et la peur au lieu de le protéger. Le manque général d’intérêt populaire dans ce domaine est étrange, étant donné qu’il s’agit de la forme de terrorisme la plus ancienne et la plus dommageable.
L’impact du terrorisme d’État est sans pareil. Dans leur livre Global Terrorism, James Lutz et Brenda Lutz énumèrent les exemples suivants de terrorisme d’État :
Timor oriental (1975 – 1993) : plus de 200 000 morts
Guatemala (1965 – 1995) : 200 000 morts
Salvador (1979 – 1992) : 70 000 morts
Irak (1980 – 1990) : 200 000 morts
Algérie (1992 – présent) : 100 000 morts
(Ex-)Yougoslavie (1991 – 1995) : 110 000 morts
Tchétchénie (1994 – 2004) : 100 000 morts
Chili (1973 – 1985) : 20 000 morts
Argentine (1976 – 1982) : 11 000 morts
L’Université du Maryland héberge la « Global Terrorism Database », une base de données en ligne du terrorisme mondial. Le site web, considéré comme « la base de données non classifiée la plus complète sur les actes terroristes à travers le monde », conserve des archives approfondies des événements terroristes mondiaux survenus depuis 1970. La base de données a enregistré un nombre hallucinant de plus de 150 000 actes de terrorisme. Parmi les principales statistiques pour les quatre dernières décennies, 76 413 bombardements, 17 747 assassinats et 9 651 enlèvements ont notamment été enregistrés. La plupart de ces crimes semblent avoir été le fruit de terrorisme d’État plutôt que des actions indépendantes de groupes insurgés.
Un autre mythe de premier plan veut que le terrorisme soit un problème du tiers-monde. Cependant, divers exemples récents de terrorisme dans des pays occidentaux racontent une tout autre histoire. Par exemple, un rapport récent a révélé que sur le sol américain, entre 1990 et 2013, quelque 368 citoyens américains ont été tués par des groupes d’extrême droite pour des raisons idéologiques. Ce chiffre inclut cinquante policiers tués. Pour remettre cela dans son contexte, c’est un peu plus de la moitié du nombre de soldats britanniques tués en Irak et en Afghanistan.
Les troubles en Irlande ont coûté la vie à 3 600 personnes, soit quelques centaines de moins que le nombre de soldats américains tués en Irak. En Espagne, au cours d’un des conflits violents les plus longs d’Europe, le groupe séparatiste basque ETA a causé la mort d’environ 829 personnes.
James et Brenda Lutz résument intelligemment le problème universel que le terrorisme pose au monde :
« Le terrorisme n’a pas commencé avec les attentats du 11 septembre 2001 à New-York et Washington, D.C., ni en avril 1995 avec l’attentat à la bombe à Oklahoma City, ni même avec la prise d’otages aux Jeux Olympiques de Munich en 1972. Le terrorisme n’a pas non plus commencé avec la guerre froide, ni avec la création de l’Union soviétique après la Première Guerre mondiale. Le terrorisme ne s’est pas non plus limité aux activités de groupes du Moyen-Orient ou des parties du monde à forte population musulmane. Le terrorisme a été un phénomène presque universel. »
Traduction : « Encore assez ignorants pour penser que le #terrorisme est un problème #musulman ? »
Et c’est ce phénomène qui doit être reconnu et évoqué plus largement. Les conversations modernes réduisent trop souvent le terrorisme à un problème musulman. Nous devons nous inquiéter du fait que de telles attitudes détournent notre attention du terrorisme mondial plus large et du rôle joué par les États dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement. Et du fait qu’elles nous empêchent également de prendre du recul et de chercher des réponses plus empiriques à un problème cyclique qui a touché toutes les époques, tous les peuples et toutes les religions.
Par exemple, il est nécessaire de répondre à des questions sérieuses sur l’interaction entre l’Occident, les États sous-développés et les insurgés dans l’alimentation des flammes du terrorisme. De plus, trouvons-nous des modèles de relations similaires dans d’autres régions du monde ? Commentant spécifiquement la propagation du terrorisme et de l’extrémisme au Moyen-Orient, Owen Jones décrit avec à-propos le dilemme actuel :
« Il manque un élément, et cet élément est la relation entre l’Occident et les dictatures du Moyen-Orient qui ont joué un rôle pernicieux dans la montée du terrorisme islamiste fondamentaliste. Ce n’est pas étonnant : l’Occident est allié à ces régimes souvent brutaux sur le plan militaire, économique et diplomatique et nos médias reflètent trop souvent les objectifs de nos gouvernements en matière de politique étrangère. »
Il ne fait aucun doute que les extrémistes musulmans sont un moteur du terrorisme au Moyen-Orient et en Asie du Sud ; cependant, le problème est nettement plus vaste. Ignorer ce fait revient à compromettre notre capacité à aborder de manière globale le fléau qu’est le terrorisme. Un bon point de départ serait que la communauté internationale convienne d’une définition commune du terrorisme, qui ne néglige pas le phénomène mortel du terrorisme d’État.
- Adam Walker a publié des travaux sur divers sujets liés à l’histoire, au droit et aux affaires sociales de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Il est également corédacteur de la première encyclopédie occidentale sur le Prophète Mohammed.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des New-Yorkais visitent un mémorial en hommage aux victimes des attaques du World Trade Center (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation. Cet article a été publié pour la première fois en septembre 2014, les références statistiques ont été mises à jour.
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