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De quoi la politique étrangère de l’Algérie est-elle le nom ?

La politique étrangère et régionale d’Alger est façonnée par son héritage, marqué par un colonialisme violent, des révoltes, la guerre d’indépendance et une guerre civile
Le président Houari Boumédiène accueille son homologue égyptien, Anouar al-Sadate, à l’aéroport d’Alger, le 10 septembre 1973 (AFP)
Le président Houari Boumédiène accueille son homologue égyptien, Anouar al-Sadate, à l’aéroport d’Alger, le 10 septembre 1973 (AFP)

L’Algérie a récemment fait la une de plusieurs médias concernant la rédaction de sa nouvelle Constitution, dans laquelle le rôle de l’Armée nationale populaire (ANP) serait redéfini, l’autorisant sous conditions à intervenir au-delà des frontières nationales.

Si cette information a beaucoup été analysée et commentée, il serait toutefois erroné de voir cela comme un changement radical dans la politique sécuritaire et la diplomatie algériennes, Alger ayant, depuis l’indépendance du pays en 1962, toujours été, mais de manière discrète, à l’avant-garde du continent africain pour la paix et la sécurité.

Il est primordial de comprendre que toute analyse de la politique régionale et étrangère de l’Algérie serait incomplète sans un examen de son passé, et en particulier de son nationalisme et son panafricanisme, qui sont l’essence même de la politique algérienne.

« Comprendre la politique algérienne nécessite de prendre du recul pour réfléchir à ce qui [se passe] autour d’elle »

- Robert Malley, ex-conseiller de Barack Obama

Ses principes doctrinaux sont imprégnés dans la conscience nationale, leurs racines étant ancrées dans sa propre histoire, marquée par les violences extrêmes et profondes du colonialisme et de la guerre d’indépendance.

Comme le souligne parfaitement Robert Malley, président de l’ONG International Crisis Group et ex-conseiller de Barack Obama, dans son ouvrage The Call from Algeria (University of California Press), « comprendre la politique algérienne nécessite de prendre du recul pour réfléchir à ce qui [se passe] autour d’elle ».

C’est sous le leadership du président Houari Boumédiène (1965-1978) que la politique étrangère de l’Algérie a été définie. Celle-ci consiste en quatre points cardinaux : la préservation de l’indépendance nationale, le refus de toute forme d’intervention étrangère, l’absence de toute base militaire étrangère sur le sol algérien et le refus de toute alliance régionale ou militaire.

Quarante ans après la mort de Boumédiène, ces principes restent de vigueur. Cette indépendance et ce refus d’autoriser toute intervention étrangère se retrouvent aussi bien dans la politique gouvernementale et militaire qu’au sein de la population algérienne, elle-même profondément jalouse de sa souveraineté nationale.

Lors des massives manifestations du hirak, qui a débuté le 22 février 2019, des slogans tels que « Ceci est une entreprise familiale » ou « Aucune intervention étrangère, s’il vous plaît » ont par exemple été lancés par les manifestant à l’endroit des puissances étrangères.

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Contrairement à ce qui est trop souvent présenté par les « experts » et la presse internationale, l’Algérie demeure très active, et ce sur plusieurs fronts à la fois, pour préserver la paix et la sécurité en Afrique. Les exemples sont nombreux, soulignant cet activisme et implication politico-militaire de l’Algérie dans la région du Maghreb et du Sahel.

Alger mène par exemple une lutte sans merci contre le terrorisme international et ses activités connexes, telles que le trafic d’armes et de drogue.

À cet égard, l’Algérie a depuis vingt ans noué des liens de sécurité très solides avec Washington, qui depuis les attaques du 11 septembre, considère Alger comme un acteur clé dans la lutte contre le terrorisme international.

Washington ne manque pas de rappeler que l’Algérie assume à elle seule 60 % de la charge de la lutte contre le terrorisme dans la région, le Maroc, le Mali, le Niger et la Mauritanie couvrant les 40 % restant.

Alger fait également preuve d’un réel leadership régional, loin des projecteurs trop souvent concentrés essentiellement sur les interventions militaires.

Collaboration discrète

Dans cette lutte contre le terrorisme et les trafics en tous genres, l’Algérie a mis en place le « plan de Tamanrasset » convenu en 2009 avec le Niger, le Mali et la Mauritanie, conduisant à la création, en 2010, du Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC) situé à Tamanrasset (sud de l’Algérie) ainsi qu’une cellule mixte du renseignement, l’Unité de fusion et de liaison (UFL), à Alger.

Il est important de souligner ici que malgré le cadre de Tamanrasset, ces trois États sahéliens ont constamment maintenu et cherché à étendre leur coopération en matière de sécurité directement avec des puissances extérieures telles que la France et les États-Unis et ont même travaillé les unes avec les autres dans des opérations militaires conjointes, sans aucune coordination avec l’Algérie.

À plusieurs reprises, l’Algérie a dû faire face à des initiatives extérieures émanant de la France et de ses alliés africains qui, dans une certaine mesure, reproduisent celles d’Alger.

Cela ne relève par exemple pas du hasard si un sommet extraordinaire du G5 Sahel soutenu par la France s’est tenu à Nouakchott le lendemain du lancement du processus de Nouakchott par l’Union africaine (UA) en mars 2013.

De même, en 2014, la France lançait l’Unité régionale de fusion de renseignements (RIFU) qui ressemble à s’y méprendre à l’UFL d’Alger.

L’Algérie a par exemple dépensé au cours des dix dernières années plus de 100 millions de dollars au Mali, au Tchad, au Niger, en Libye et en Mauritanie afin de former des forces spéciales ainsi que leur fournir les équipements adéquats

En raison de sa vulnérabilité et de son instabilité, le Sahel revêt une importance considérable pour l’Algérie pour sa propre sécurité et stabilité, mais aussi pour toute la région sahélo-saharienne.

Aussi, Alger ne ménage pas ses efforts pour renforcer la paix et la stabilité chez ses voisins malien, nigérien, libyen et tunisien à travers différentes coordinations militaires et sécuritaires, les encourageant à prendre en charge leurs propres enjeux sans interventions militaires et en ayant un rôle important en matière de formations et d’aides logistiques.

L’Algérie a par exemple dépensé au cours des dix dernières années plus de 100 millions de dollars au Mali, au Tchad, au Niger, en Libye et en Mauritanie afin de former des forces spéciales ainsi que leur fournir les équipements adéquats.

En 2012, l’Algérie avait aussi annulé une dette de 3 milliards de dollars de dix États africains tandis qu’en 2013, Alger annulait une dette supplémentaire de 902 millions de dollars de quatorze autres pays africains.

Au Mali, l’Algérie est le principal médiateur du dialogue inter-malien qui a pu réunir tous les principaux protagonistes du pays pour signer l’accord de Bamako en avril 2015.

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Pour Bamako, Alger a toujours joué un rôle majeur et essentiel dans la stabilité du Mali. À cet effet, l’ANP a récemment offert à son voisin du sud 53 véhicules militaires, notamment des véhicules logistiques utilisés dans les opérations de combat, des véhicules de transmission, des ambulances et des véhicules destinés au transport d’unités.

À la suite de l’intervention militaire désastreuse de l’OTAN en Libye en 2011, qui a conduit à l’effondrement de l’État libyen, l’Algérie, qui plaide pour la réconciliation nationale à travers un processus de dialogue inclusif réunissant tous les protagonistes, ne cesse de chercher une solution définitive et durable à l’impasse politico-militaire actuelle dans laquelle les Libyens sont plongés.

Toutefois, les efforts et l’approche d’Alger ne sont pas pour plaire à tout le monde, comme l’indique le récent lobbying contre la nomination de Ramtane Lamamra en tant qu’envoyé spécial des Nations unies en Libye.

L’Algérie est aussi très impliquée en Tunisie à travers une coopération forte et étroite en matière de lutte contre le terrorisme et de sécurité transfrontalière avec son voisin de l’est.

Alger et Tunis multiplient les réunions bilatérales entre les structures en charge de la sécurité des frontières, en coordonnant les actions et l’échange d’informations en matière de sécurité des frontières et de contrôle des activités de contrebande.

Dans la Tunisie post-Ben Ali, l’Algérie a également aidé à former les forces de sécurité tunisiennes aux tactiques antiterroristes, leur enseignant les stratégies des unités d’intervention rapide de la gendarmerie d’élite algérienne et leur fournissant des laboratoires de criminologie et de médecine légale.

Le poids de l’histoire

Malgré tous ses engagements auprès de ses voisins, l’Algérie souffre paradoxalement de l’image d’un pays qui fait peu pour la sécurité régionale, en particulier auprès des « experts » de tous bords, alors qu’elle est au contraire l’État le plus engagé pour sécuriser ses propres frontières et, par ricochet, celles de ses voisins.  

Cette image peut s’expliquer en partie par le fait que la militarisation croissante de la politique mondiale éclipse trop souvent le rôle d’autres instruments d’action efficaces prôné par Alger.

Aussi est-il primordial de souligner que les crises régionales en cours ne doivent pas éclipser les investissements de longue date de l’Algérie pour la sécurité régionale, favorisant à des moments clés le dialogue dans les crises internes respectives de ses voisins.

Il est tout aussi primordial de souligner que pour l’Algérie, assurer sa sécurité ainsi que la stabilité de toute la région sahélo-saharienne repose sur deux axes fondamentaux.

Le premier est le déploiement de ses unités militaires et forces de sécurité dotées de tous les moyens et équipements nécessaires pour sécuriser les frontières avec les pays voisins et empêcher ainsi toute infiltration de terroristes ou circulation d’armes à travers une étroite collaboration régionale.

Le deuxième axe, diplomatique, se traduit par des initiatives de médiation et de rapprochement des points de vue entre parties belligérantes, en vue de réaliser la réconciliation nationale.

Militaires algériens dans le Sahara, près de la frontière avec la Libye (AFP)
Militaires algériens dans le Sahara, près de la frontière avec la Libye (AFP)

« Ne pensez-vous pas, Monsieur, que l’État barbare central [Alger] est plutôt particulier… Je ne comprends pas… Ça marche bien avec Tunis, Tripoli et le sultan de Fès mais lorsqu’il s’agit de l’État barbare central, ça se complique. » C’est ainsi que le président américain Georges Washington (1732-1799) parlait de l’Algérie à son successeur John Adams (1735-1826) il y a déjà 200 ans.  

Plus de deux siècles se sont écoulés et il ne fait aucun doute que l’Algérie demeure une énigme pour beaucoup à travers le monde.

Pourtant, ce n’est qu’à travers le prisme de l’histoire de ce pays, ce peuple, que l’on peut avoir une meilleure compréhension de la politique étrangère de l’Algérie.

L’histoire porte une lourde responsabilité dans la construction d’une nation, sa doctrine et ses principes, et les Algériens n’échappent pas à cette réalité. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle Robert Malley soutient que « les développements actuels et futurs probables rendent d’autant plus nécessaire la compréhension du passé de [l’Algérie] ».

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Aussi, toute tentative d’analyser la politique étrangère et régionale d’Alger sous l’angle des conflits voisins empêche une évaluation claire et transparente de la position de l’Algérie, laquelle est façonnée par son propre héritage, marqué par un colonialisme violent, des révoltes, la guerre d’indépendance et une guerre civile.

De même, évaluer la diplomatie d’Alger sans examiner son propre édifice national interne et les alliances et affiliations régionales historiques est voué à l’échec. Mais comme l’indique Robert Malley concernant l’analyse de l’islam mais qui peut être transposé à une perception générale de l’Algérie, « les observateurs occidentaux sont tellement fascinés [par l’Algérie] qu’ils ont tendance à confondre la réalité avec leurs propres fantasmes » !

Il ne fait pourtant aucun doute que ce géant africain demeure une force stabilisatrice dans la région de l’Afrique du Nord et du Sahel. Son influence et sa diplomatie en font un interlocuteur régional indispensable pour l’UA, les États-Unis, la Russie, la France et, plus largement, l’Union européenne.

Puissance régionale, acteur essentiel dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité régionale, l’Algérie a opté pour une diplomatie et des actions qui contredisent ainsi l’image d’un pays insulaire peu à l’aise avec la coopération régionale et internationale.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Cet article est tiré du chapitre intitulé « Understanding Algeria’s foreign policy in the Sahel » publié dans The Politics of Algeria: Domestic Issues and International Relations, sous la direction de Yahia H. Zoubir, Ed. Routledge.

Abdelkader Abderrahmane est chercheur en géopolitique et consultant international sur les questions de paix et de sécurité en Afrique
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