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Preuves croissantes d’impunité concernant les sunnites disparus en Irak

Deux semaines après la disparition de sunnites d’Anbar, il semble que le gangstérisme continue de prospérer dans les rangs des milices chiites en Irak

Pendant un bref moment, la semaine dernière, le monde a appris la disparition d’au moins 643 civils irakiens de Saqlawiyah, ainsi que la torture et l’humiliation qui en attendaient des centaines d’autres capturés par des milices soutenues par l’Iran en maraude.

L’indignation était au mieux faiblarde et la couverture médiatique quasi-inexistante. Bien que les forces gouvernementales aient repris Falloujah à l’État islamique (EI), le sort des hommes « perdus » de Saqlawiyah, d’al-Karma et d’al-Azraqiya reste inconnu. Certains ont été libérés mais avec le corps criblé de sombres zébrures saillantes, infligées par les milices sectaires. Il semble que seul un profond silence accompagne ces développements honteux, laissant de nombreuses questions importantes sans réponse.

Des responsables gouvernementaux ont répété que des enquêtes sur les allégations de méfaits commis par leurs forces de sécurité étaient en cours. Lundi dernier, le porte-parole du gouvernement Sa’ad al-Hadithi a affirmé que le gouvernement de Haider al-Abadi était sérieux au sujet des poursuites judiciaires concernant les exactions contre les habitants de Falloujah. Le ministre de la Défense Khaled al-Obaidi a ajouté que quatre militaires avaient été arrêtés après l’émergence d’une vidéo prouvant leurs abus.

Alors pourquoi les détails des enquêtes fédérales n’ont-ils pas encore été rendus public ? Pourquoi les personnes arrêtées n’ont-elles pas été interrogées à la télévision nationale, comme cela se fait avec les membres supposés de l’EI qui ont défilé devant les caméras ? Falah al-Fayadh, chef des Unités de mobilisation populaire (UMP) de l’Irak, a fait l’éloge de cette force accusée de violations des droits de l’homme. Il l’a décrite comme « la meilleure chose qu’ait connue l’Irak » depuis 2003 et qualifié d’« injustes » les dernières allégations à son encontre.

Al-Fayadh a riposté contre les rapports de crimes motivés par la confession, en faisant valoir que « face à la mort, nos forces tirent leur force de l’islam, c’est normal. Nous sommes musulmans… cela ne nous rend pas sectaires. Nous sommes ‘‘Husseiniyyoun’’ et Hussein est présent en esprit à chaque combat ». C’est exactement le genre de rhétorique teintée de sectarisme qui évoque davantage la haine et la bigoterie et rend impossible la conciliation entre les communautés religieuses d’Irak.

Le gouvernement a défendu les arrestations arbitraires d’habitants au motif des contrôles de sécurité obligatoires. Cependant, en l’absence d’un contrôle judiciaire indépendant, dans de nombreux cas, la procédure « dégénère en atteintes physiques et en d’autres formes d’abus » afin d’« obtenir des aveux forcés », comme a alerté le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad al-Hussein.

Sans transparence, il ne peut y avoir d’examen scrupuleux des conclusions du gouvernement. Le souci, comme l’a évoqué Christoph Wilcke (chercheur auprès de Human Rights Watch), est que ces enquêtes demeurent « enveloppées dans le secret sans aucune transparence ».

La question la plus importante est de savoir s’il existe des mesures qui peuvent freiner la propagation du comportement criminel des forces armées. « Que ce soit dans le droit irakien pénal, civil ou militaire, les crimes contre l’humanité n’existent pas, ce qui rend les poursuites difficiles », a-t-il ajouté, démontrant pourquoi cela devrait constituer un sujet de préoccupation pour la coalition de lutte contre l’EI si elle veut vraiment un Irak stable.

Depuis la semaine dernière, des centaines d’hommes sont retenus à Amiriyat al-Falloujah dans des cliniques de fortune, mais les journalistes sont tenus à l’écart. Wilcke m’a confié que bien que 650 des 700 disparus de Saqlawiyah aient réapparu, l’« armée est venue et en a emmené vingt » pour un examen plus poussé.

Mahmoud al-Naji, l’un des rares à avoir été interviewés, décrit les mauvais traitements auxquels il a été soumis par des milices des UMP. Ce survivant décharné a rapporté à FRB news qu’un homme a commencé à le piétiner de tout son poids. « Il m’a cassé les côtes, écrasé l’estomac et a fortement appuyé sa botte sur ma nuque. Ils nous ont battus avec de lourds tuyaux ».

Ces témoignages de survivants, en plus des exactions documentées, exposent l’effrayante portée des activités criminelles perpétrées par les milices chiites soutenues par l’Iran, alliées aux UMP et opérant sous leur égide. Les méthodes utilisées vont de l’immolation et des passages à tabac aux violences sexuelles, mais aucun débat parlementaire n’a été organisé au sujet de ces violations flagrantes, en dépit de leur gravité.

Certains sont persuadés que les milices qui combattent à et autour de Falloujah ont l’intention de régler de vieux comptes avec les habitants en fuite – en d’autres termes, ils tiennent des innocents pour responsables de la barbarie de l’EI. Une preuve vidéo montre des miliciens qui alignent des sunnites d’une manière qui rappelle le brutal massacre de Tikrit en 2014 lorsque l’EI a exécuté 1 700 cadets de l’armée irakienne. On entend un des hommes dire « œil pour œil, dent pour dent », indiquant clairement un désir de vengeance contre les citoyens de Falloujah pour un crime avec lequel ils n’avaient rien à voir. Tandis que l’amalgame entre la communauté sunnite d’Irak et l’EI devient une pratique courante parmi les milices des UMP, l’inaction du gouvernement ne fait qu’alimenter les crimes de guerre contre une population sans défense.

Les tribus d’Albu Badran, al-Bekkara et al-Mahamda attendent toujours le retour de leurs proches. Le manque de confiance envers les enquêtes menées actuellement par le gouvernement a conduit ces tribus à mener leur propre enquête. Le cheikh al-Jaleel de la tribu al-Bekkara a recueilli des témoignages de ceux qui sont revenus vivants, partageant certaines de ses conclusions préliminaires avec moi.

« Les milices ont pénétré dans la région le 4 juin. À l’aide de mégaphones, les Brigades Badr et les hommes de main d’Asaïb Ahl al-Haq ont ordonné aux gens de partir. Les habitants se sont livrés. Ils ont séparé les hommes des femmes, les alignant. Quatre pelleteuses que [les milices chiites] avaient emmenées ont commencé à creuser un fossé de plusieurs mètres de profondeur. Tout le monde s’est reculé, perplexe. Ils ont bandé les yeux et menotté les hommes, avant de lancer des accusations selon lesquelles ils avaient aidé l’EI. Le premier groupe de personnes accusées a été jeté dans la tranchée tout juste creusée et enterré vivant – 68 personnes au total. »

Outre les pénibles allégations de fosses communes que MEE n’a pas été en mesure de confirmer, le cheikh al-Jaleel a relayé d’autres atrocités perpétrées par les milices. Des hommes ont notamment été brûlés vifs et d’autres exécutés sommairement à la base militaire al-Mazra’a, où de nombreux hommes avaient été emmenés.

Ce qui se passe actuellement est une histoire trop familière. « Ce n’est pas la première fois dans la lutte du gouvernement contre Daech que des centaines d’hommes disparaissent », a déclaré Wilcke. Des dizaines d’hommes d’Amerli, al-Dour, Jurf al-Sakhar, Ramadi et Touz Khormatou ont été portés disparus au cours des années précédentes, a-t-il poursuivi. Personne ne sait aujourd’hui ce qui est arrivé à ces hommes, après que leurs villes « libérées » ont été prises par les milices des UMP. Maintenant que Falloujah est de retour aux griffes des forces gouvernementales, la guerre « est loin d’être terminée » a prévenu le cheikh al-Jaleel.

Malgré de nombreuses preuves des milices infligeant des dommages intentionnels à des innocents fuyant les zones autour de Falloujah, ce qui est moins clair selon Wilcke est de savoir « qui fera l’objet d’une enquête, quelles lois s’appliqueront et quels crimes seront retenus ». On ne sait même pas si l’organisme qui enquête actuellement sur les exactions est composé d’individus indépendants, qui ne sont pas directement nommés par le Premier ministre, ou bien liés à des blocs politiques ou des commandants de la milice. La protection des témoins est une autre zone grise qui, jusqu’à ce qu’elle soit éclaircie, continuera à alimenter les craintes d’intimidation des témoins.

Que le Premier ministre ait demandé des enquêtes et affirmé avoir arrêté plusieurs hommes n’est tout simplement pas suffisant, étant donné que des efforts similaires n’ont donné aucun résultat par le passé en ce qui concerne les sunnites. Les familles méritent de connaître le sort de leurs proches et de les récupérer sains et saufs.

À un moment où la confiance dans le gouvernement est au plus bas, l’incapacité de rendre justice aux familles des victimes ne suscite que davantage de peur et de méfiance. Leur localisation est encore inconnue, mais le gouvernement ne semble pas être d’humeur à régler ces questions non résolues. Comme l’a déploré Wilcke, le discours « ami et ennemi » a triomphé sur le « bien et le mal ».

 

- Nazli Tarzi est une journaliste indépendante dont les écrits et les films se concentrent sur l’histoire ancienne de l’Irak et sa scène politique contemporaine. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @NazliTarzi

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des membres des Unités de mobilisation populaire ssur le front lors d’une opération militaire contre des militants du groupe État islamique (EI) sur la route menant à Saqlawiyah, au nord de Falloujah, dans la province d’Anbar en Irak, le 19 août 2015 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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