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Un président ne devrait pas dire ça... Mais Hollande l’a fait

Dans des propos accordés aux auteurs d’un nouveau livre, le président français enflamme encore plus le débat sur les musulmans français qui polarise le pays

« La femme voilée d’aujourd’hui sera la Marianne de demain » : c’est ce que le président François Hollande, président le moins populaire depuis les années 1950, aurait confié à deux journalistes français, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, dont le livreUn Président ne devrait pas dire ça, paraît cette semaine.

Ces déclarations sont incendiaires dans le contexte français, où Marianne, symbole de la République française et de ses idéaux de « Liberté, Égalité, Fraternité », est associée au symbole présumé de la servitude, la femme musulmane voilée.

L’allégorie de la liberté, Marianne, sur le tableau de 1830 d’Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (Wikipédia)

Cette agitation survient quelques mois après la débâcle du « burkini », lors de laquelle le Premier ministre Manuel Valls avait déclaré : « [Marianne] a le sein nu parce qu’elle nourrit le peuple ! Elle n’est pas voilée, parce qu’elle est libre ! C’est ça la République ! », laissant entendre que les seins nus étaient en quelque sorte plus représentatifs de la conception par la République de la féminité idéalisée qu’une femme choisissant de se couvrir.

Bien que l’interdiction du burkini, décrite comme étant « manifestement illégale » par les tribunaux français, ait été annulée, l’opinion publique y est restée largement favorable, certains maires choisissant d’ignorer la décision, même au prix d’actions en justice intentées contre eux par des groupes de défense des droits de l’homme.

Les déclarations de Hollande font suite à plusieurs mois de manifestations à l’échelle nationale contre la loi Travail, de grèves syndicales, et des protestations du mouvement beaucoup plus large « Nuit Debout », lors desquelles plusieurs milliers de personnes motivées par un sentiment général de mécontentement public se rassemblent la nuit pour discuter d’un éventail d’enjeux sociaux.

Mais ces événements ont été largement éclipsés par une vision étroite centrée sur la tenue vestimentaire des femmes musulmanes. Encore une fois.

Les musulmans français sous les projecteurs des élections

Les révélations contenues dans ce livre pourraient bien être pour Hollande une tentative de reconquête de certains suffrages, alors même que le président est si désespérément bas dans les sondages qu’on ne sait même pas encore s’il se présentera pour un second mandat. Son propre parti ayant opté pour des primaires ouvertes, il s’agit de la première fois en plus de cinquante ans qu’un président français doit concourir pour l’investiture de son parti.

L’impopularité de Hollande est désormais bien connue, mais ses causes sont rarement pleinement assimilées

Les extraits du livre touchent certainement toutes les cibles – de sa relation avec l’actrice Julie Gayet à l’immigration, en passant bien sûr par l’islam.

L’impopularité de Hollande est désormais bien connue, mais ses causes sont rarement pleinement assimilées. Président socialiste, Hollande a fait pression en faveur de mesures que la droite française cherchait à légitimer depuis des années, comme l’adoption d’une révision constitutionnelle sur la déchéance de nationalité française pour les binationaux reconnus coupables de terrorisme (rejetée plus tard par le parlement) et des réformes du travail qui affaiblissent la protection des travailleurs français au lieu de la renforcer.

Rassemblement de « Nuit Debout » sur la place de la République de Paris, en août (AFP)

Le pays déjà divisé s’est davantage polarisé après la série d’attentats qui l’a touché, au cours de laquelle le président, ou « Flanby » de son surnom, n’est pas parvenu à unifier ou à rassurer la nation.

Encore une fois, les élections présidentielles à venir ont braqué les projecteurs sur les musulmans dans un pays où l’islam est une chair à canon politique, de la gauche à l’extrême droite. Nicolas Sarkozy a récemment insinué qu’il serait prêt à modifier la Constitution dans le but éventuel d’interdire le port du foulard dans les espaces publics, à l’instar du voile couvrant le visage, qui est déjà interdit.

Plongeant de tout son poids dans les discussions populistes sur les nouvelles restrictions à imposer aux musulmans français, le candidat des Républicains Bruno Le Maire a récemment déclaré que le port du voile couvrant le visage en France devait passer « d’une simple contravention à un délit ».

Le remède est pire que le mal

Dans un pays qui ne compte qu’environ 2 500 mosquées et salles de prière pour une population musulmane estimée à 4,7 millions d’habitants, le gouvernement a déjà prononcé depuis décembre la fermeture de plus de 20 de ces lieux, présentés comme des foyers d’extrémisme.

Le fait de voir le président en personne problématiser le droit internationalement reconnu qu’est le droit de culte est un signe de l’intolérance qui a fini par définir les débats publics français autour de l’islam

Les lieux de culte constituent eux-mêmes une question controversée dans l’Hexagone, où des permis pour de nouvelles mosquées sont régulièrement refusés et les retombées de la surpopulation des quelques espaces de prière existants éveillent un débat national opposant l’islam et la quasi-religion qu’est en France la laïcité, un modèle français toutefois très spécifique de laïcité.

« Qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n’en doute, déclare Hollande dans le livre. Il y a un problème avec l’islam, parce que l’islam demande des lieux [de culte], des reconnaissances. Ce n’est pas l’islam qui pose un problème dans le sens où ce serait une religion qui serait dangereuse en elle-même, mais parce qu’elle veut s’affirmer comme une religion dans la République. »

Salle de prière musulmane vandalisée, à Ajaccio, chef-lieu de la Corse, en décembre 2015 (AFP)

La formulation reflète l’incapacité actuelle de la France à accepter toute forme de religiosité publique quand il est question de sa minorité musulmane. Le fait de voir le président en personne problématiser le droit fondamental et internationalement reconnu qu’est le droit de culte – qui nécessite par essence des lieux de culte – est un signe de l’intolérance rampante qui a fini par définir les débats publics français autour de l’islam.

La campagne n’a pas encore commencé sérieusement, mais ses contours sont déjà clairs : Marine Le Pen a su définir les thèmes clés des dernières élections présidentielles, lors desquelles Sarkozy et Hollande ont rivalisé sur le terrain du Front national.

Cette fois-ci, une tendance similaire se dessine ; néanmoins, la différence majeure est que les deux principaux partis français sont profondément divisés et laissent la voie ouverte à la seule voix cohérente – bien que profondément intolérante – qu’il reste.

- Myriam François, journaliste franco-britannique, animatrice de radio et télévision, écrit des articles sur l’actualité, la France et le Moyen-Orient. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MyriamFrancoisC

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président français François Hollande (AFP).                        

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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