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Ambition à Casablanca : les centres d'appels au Maroc se syndiquent

Des élections révolutionnaires dans un secteur à croissance rapide affaiblissent le contrôle gouvernemental dans les organisations de travailleurs et stimulent des espoirs de conditions meilleures
Photo : Des travailleurs syndiqués lors d'une conférence de presse (Tansy Hoskins)

Le complexe Casanearshore à la périphérie de Casablanca ressemble à un campus universitaire futuriste. Des bâtiments de béton et de verre impeccables dominent des pelouses et des rues cuites par le soleil.

Des gardiens de sécurité sont postés à chaque point d'entrée, afin de procéder à la vérification des cartes magnétiques nécessaires pour y accéder. Le complexe possède une crèche, une salle de gym, des boutiques, des restaurants, un salon de coiffure et un spa : tout y est fait afin de ne pas avoir besoin d’en sortir.

Cette installation construite sur mesure est au cœur de l’industrie en pleine expansion du « Contact Center » ou centre d’appel de Casablanca, qui aide à gérer la relation client pour des entreprises internationales telles que Dell et Hewlett Packard. Avec 10 000 personnes employées sur ce seul site, le Maroc a acquis le surnom de « capitale européenne des centres d'appel ».

« De l'extérieur, tout est cool, mais à l'intérieur il y a tellement de problèmes », a déclaré Fatima Aggahra, qui, pendant six ans, a travaillé pour la société française Acticall, un « groupe de services intégrés spécialisé dans la gestion des relations clients », selon son site internet.

Fatima Aggahra est un exemple typique d'une nouvelle main-d'œuvre qui est jeune, bien éduquée, et dont plus de 50 % sont des femmes. Elle fait également partie d'une nouvelle vague d’employés des centres de contact qui affrontent le gouvernement marocain et les sociétés multinationales françaises, belges, américaines et espagnoles pour se syndiquer sur leur lieu de travail.

Pendant les dix premiers jours de ce mois, Casanearshore a été enfermé dans une bataille électorale à propos de qui doit représenter les travailleurs dans les conseils des travailleurs du secteur.

Dans les lendemains difficiles de l'époque où le Maroc a été colonisé par la France, le maigre pouvoir des syndicats sur les lois du travail repose sur le nombre de candidats qu’ils peuvent faire élire dans les conseils de travailleurs locaux et nationaux.

Les élections ont lieu dans de nombreuses entreprises tous les six ans, et les employeurs sont libres de présenter leurs propres candidats. Etant donné que les centres de contact sont une activité relativement nouvelle, il n'y avait pas encore de candidats syndicaux dans ce secteur, seulement une dispersion de candidats indépendants. En conséquence, les syndicats n’ont eu aucune reconnaissance ou droits de négociation dans un secteur d'au moins 70 000 personnes.

Cela a maintenant changé grâce au résultat du plus grand syndicat du Maroc, l'Union marocaine du Travail (UMT) qui a fait une campagne réussie pour obtenir l’élection de ses candidats à 89 sièges sur l'ensemble du secteur national. Cela signifie qu'il y a maintenant plus de 18 400 travailleurs, soit 26 % des travailleurs dans le secteur, couverts par la négociation collective et onze entreprises ont été syndiquées.

Sous le vernis extérieur

Un regard sous l'extérieur brillant des centres de contact révèle pourquoi la campagne syndicale a été un succès. A l'intérieur, les travailleurs sont assis dans des cabines ressemblant à des clapiers, chacune aussi étroite que possible, de sorte que leur nombre maximal puisse être augmenté à chaque étage. Beaucoup d’emplois commencent au salaire minimum, les heures sont longues, et les emplois sont très précaires avec des employés exposés à des licenciements sans recours.

En plus du stress, les travailleurs des centres de contact décrivent de nombreux maux physiques comme des problèmes auditifs dus aux casques portés constamment, des troubles des cordes vocales, des problèmes de vision à cause de la surutilisation d'ordinateurs portables, et des problèmes respiratoires engendrés par une mauvaise qualité de l'air.

Les activistes syndicaux comme Fatima Aggahra et ses amies Yasmine Siguel et Mounia Nemry sont connues comme des « militantes ». Parmi les problèmes tels que le stress constant et la précarité du travail qui les a motivées à se présenter comme candidates, un en particulier signifie beaucoup pour elles en tant que femmes : les autobus de l'entreprise font le trajet entre Casanearshore et la ville mais de nombreux travailleurs sont déposés à plus d'un kilomètre de leurs maisons.

Photo : Fatima, Yasmin et Mounir (MEE/Tansy Hoskins)

Pour les jeunes femmes, être seules dans les rues mal éclairées de Casablanca la nuit est synonyme de problèmes : « il y a de gros risques la nuit, en particulier pour les jeunes filles et les femmes », a déclaré Fatima Aggahra. « Il y a des voleurs, des gens agressifs, des accidents - ce n’est pas du tout sécurisé. »

Elle a décrit comment de nombreuses jeunes femmes des centres de contact ont été volées pendant qu’elles marchaient entre l’arrêt de l'autobus et leurs foyers. La mise à disposition d’un transport sûr est un problème que ces représentants syndicaux nouvellement élus sont déterminés à résoudre.

L’attrait offshore du Maroc

Les multinationales européennes ont afflué au Maroc pour mettre en place des centres de contact, attirées par des allégements fiscaux et une main-d'œuvre qualifiée, mais faiblement rémunérée. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) au Maroc est de 2 500 dirhams (258 dollars) par mois.

Ayoub Saoud, secrétaire général de la Fédération nationale des centres d'appels et de la délocalisation des employés, au sein de l'UMT, décrit l'intérêt du Maroc pour les entreprises : « Le Maroc est si près de l'Europe - tout juste quatorze kilomètres de distance. Nous parlons français et espagnol en raison des occupations [par les forces étrangères], et nous parlons aussi l'anglais. Le gouvernement a mis en place une grande infrastructure pour ces entreprises et les ministères de l'Industrie et de l'éducation ont des accords avec ces sociétés pour fournir des allégements fiscaux et une formation gratuite pour les travailleurs.

« La raison majeure pour les entreprises choisissant le Maroc est que le pays est une grande base de jeunes travailleurs qui sont hautement qualifiés et dont c’est la première expérience de travail, donc pouvant être facilement exploités », a déclaré Ayoub Saoud. « Ce sont des gens sans expérience syndicale ou politique. Ils sont neufs. »

Les jeunes travailleurs marocains et étrangers sont attirés par les centres de contacts en raison des niveaux élevés de chômage de la région et de la recherche de l’opportunité - de nombreux mariages ont résulté de réunions dans ces grands lieux de travail de la jeunesse.

Une section particulièrement précaire de la population active est représentée par les travailleurs du Sénégal. Farba Ndong est venu du Sénégal à Casablanca il y a six ans pour terminer ses études, puis est resté pour travailler au sein de la société française de télécommunications B2S où il forme maintenant les nouvelles recrues du centre de contact dans les techniques de télémarketing.

On estime à 6 000 les travailleurs sénégalais dans le secteur, bien que Farba Ndong croie que si on ajoute le secteur informel, ce chiffre passerait à 15 000. Les problèmes rencontrés par cette main-d'œuvre importante ont incité Farba Ndong à fonder l'Association des sénégalais de l'offshoring au Maroc (ASSOM ), qui travaille en étroite collaboration avec l'UMT.

« Les Sénégalais paient des impôts, mais quand ils reviennent au Sénégal, ils ne sont pas admissibles aux prestations d'emploi », a déclaré Farba Ndong. « Nous travaillons et payons des impôts tous les mois, mais il n'y a aucune assurance que dans dix ans ils vont payer notre retraite. Aussi, nous ne pouvons pas envoyer de l'argent légalement au Sénégal. Si nous voulons le faire, nous devons nous débrouiller nous-même. Le gouvernement marocain ne permet pas aux étrangers d'envoyer de l'argent. »

Photo : Centre d'appels au complexe Casanearshore (MEE/Tansy Hoskins)

Farba Ndong raconte que chaque travailleur sénégalais du Maroc envoie de l'argent à des parents au Sénégal, et ils n’ont pas d’autre choix que d'utiliser des réseaux informels qui rendent les gens vulnérables au vol. ASSOM espère donner une voix aux travailleurs sénégalais des centres de contact à Casablanca et éventuellement étendre son action à d'autres villes et entreprises.

Une approche globale

Aux élections à Casablanca se présente également Mongi Abderrahim, un syndicaliste tunisien vétéran qui aime à raconter des blagues acérées sur Zine el-Abidine Ben Ali, l'ancien dictateur tunisien qui l’a mis deux fois en prison à cause de son action syndicale.

Mongi Abderrahim est maintenant le coordonnateur pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord d'UNI Global Union, un syndicat international basé en Suisse, qui soutient les jeunes militants des centres de contact de l'UMT.

La Tunisie dispose elle-même d'environ 30 000 travailleurs dans les centres de contact, et Mongi Abderrahim décrit Casablanca comme un test pour la manière dont les travailleurs seront traités dans l’avenir sur leur lieu de travail.

« Les industries traditionnelles sont en déclin, mais les centres de contact sont pleins de jeunes travailleurs qui sont hautement qualifiés et consciencieux. Le secteur technologique est un secteur d'avenir ».

Avec UMT, Mongi Abderrahim a un message fort pour les entreprises européennes qui délocalisent en Afrique du Nord : « Si ces entreprises veulent s’installer dans le monde arabe, elles doivent respecter les droits des travailleurs et notre droit à l'égalité », a-t-il dit. « Nous ne serons pas seulement un espace où les travailleurs sont payés moins que les autres travailleurs. Nous allons insister sur la dignité ».

Sur un toit casablancais à la pleine lune, Yasmin Siguel se réjouit avec ses amies, un grand sourire sur son visage. La jeune femme de 26 ans vient d'être élue en tant que représentante syndicale au centre de contact Phonegroup. « J’ai gagné ! », sourit-elle.

Fatima Aggahra arrive peu de temps après que des « militants » de différentes compagnies aient téléphoné et envoiyé par SMS les résultats électoraux de chacun. « Ceci est le résultat de quatre années de militantisme », a déclaré Fatima Aggahra.

« Nous avons été confrontés à tant d'abus, comme le licenciement ou la mutation. Mais maintenant, les gens nous font confiance et nous l'avons fait. Cette semaine, les gens ont été encourageants quand nous passons, ils nous saluent et disent « vous êtes les gagnants ». Ils sont motivés à voter pour nous à cause de tout le travail que nous avons fait. C’est passionnant que les gens nous fassent confiance et n’aient pas peur maintenant d'être eux-mêmes délégués syndicaux dans l'avenir ».

Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.

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