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Au Liban, la production du cannabis pourrait devenir légale d’ici la fin de l’année

La légalisation du cannabis à des fins thérapeutiques pourrait soulager les problèmes économiques du pays, et même devenir un « secteur d’un milliard de dollars » dont espèrent jouir aussi les agriculteurs libanais
Un réfugié syrien montre du cannabis sec dans le village de Yammouné, situé dans la plaine de la Bekaa (AFP)

PLAINE DE LA BEKAA, Liban – La production de cannabis se rapproche un peu plus de la légalisation au Liban après la présentation d’un projet de loi proposant sa culture à des fins médicinales.

Antoine Habchi, un député libanais de la Bekaa élu récemment, a présenté la loi mercredi dernier comme un amendement à une loi existante datant de 1998.

Plus tôt cette année, le cabinet de conseil McKinsey & Co avait recommandé cette idée après que le gouvernement libanais l’eut consulté sur la manière de relancer l’économie en difficulté.

Le Liban cherche désespérément à stimuler son économie, qui est accablée par un endettement à hauteur d’environ 150 % du PIB, le troisième plus grand au monde.

L’équivalent en langue arabe du hashtag #légalisez_le_hashish est devenu viral en réponse à ce projet, les Libanais se montrant créatifs sur la façon dont le cannabis pouvait être utilisé. Beaucoup ont tweeté une photo de leur drapeau national avec une feuille de cannabis au lieu du cèdre emblématique.

La plaine de la feuille

La majeure partie du cannabis du Liban est cultivée dans la Bekaa, où Habchi est basé. Il a déclaré à Middle East Eye qu’il avait travaillé sur son projet pendant des mois avant même la publication du rapport McKinsey.

« Nous devons trouver un moyen de faire en sorte que les agriculteurs tirent de l’argent de la production de cannabis de manière légale », a-t-il soutenu. « Actuellement, seuls les commerçants, qui bénéficient de protections politiques, récoltent les bénéfices. »

« Nous devons trouver un moyen de faire en sorte que les agriculteurs tirent de l’argent de la production de cannabis de manière légale. Actuellement, seuls les commerçants, qui bénéficient de protections politiques, récoltent les bénéfices »

- Antoine Habchi, député des Forces libanaises

Selon son projet de loi, les agriculteurs agréés achèteraient des semis à des entreprises privées ayant « au moins vingt ans d’expérience ».

Ce commerce serait supervisé par le Département des stupéfiants du ministère de la Santé, qui distribuerait les licences aux entreprises privées et inspecterait les champs des agriculteurs chaque année avant le début de chaque saison. Les licences devraient également être approuvées par le gouvernement.

Raed Khoury, le ministre des Finances par intérim du Liban, a déclaré à Bloomberg que la légalisation du cannabis pourrait être une solution rapide pour une économie en difficulté, et même devenir un « secteur d’un milliard de dollars ».

Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le Liban est l’un des cinq premiers producteurs mondiaux de résine de cannabis, derrière le Maroc et l’Afghanistan.

Khoury a déclaré aux médias libanais que la production de cannabis devrait être gérée par l’État, de la même manière qu’est aujourd’hui organisée la culture du tabac au Liban. 

Une culture rentable

Les autorités libanaises sont pleinement conscientes du commerce illégal du cannabis depuis des décennies, mais elles ont soit détourné les yeux, soit mis en place des mesures punitives telles que l’aplatissement et l’incendie des récoltes, entraînant de violents affrontements avec les agriculteurs.

Cependant, ces mesures se sont adoucies depuis que l’armée s’est concentrée sur la sécurisation de ses frontières en raison du conflit dans la Syrie voisine.

Un champ de cannabis dans la plaine de la Bekaa au Liban (MEE/Sunniva Rose)

Le village chrétien de Deir el-Ahmar, où est basé Habchi, est entouré de champs de cannabis. La récolte est présente dans toute la région, poussant même aux pieds des soldats qui gardent un point de contrôle militaire à quelques centaines de mètres de l’entrée du village.

Les villageois et les fermiers disent soutenir la légalisation du cannabis à des fins thérapeutiques, dans la mesure où cela leur fournirait un revenu légal et bien nécessaire.

« Les politiciens savent qu’ils ne peuvent pas énerver les fermiers car ceux-ci pourraient se retourner contre eux. Ils sont dans une position difficile », a déclaré Tony, un cultivateur de cannabis qui a souhaité conserver l’anonymat par crainte de représailles.

« D’un autre côté, le gouvernement nous promet des cultures alternatives depuis 1992. Rien n’a changé et nous devons nourrir nos enfants », a-t-il ajouté.

Un fermier a indiqué qu’il gagnait 200 dollars par kilo de haschich, contre seulement 33 cents le kilo pour du blé ou des pommes de terre

Il a également déclaré que la ville de Yammouné, située plus haut dans la vallée, drainait Deir el-Ahmar de ses ressources naturelles. « Nous ne recevons pas assez d’eau ici pour cultiver autre chose que du cannabis. »

Son argument est également financier : il a indiqué qu’il gagnait 200 dollars par kilo de haschich, contre seulement 33 cents le kilo pour du blé ou des pommes de terre.

Antoine Habchi a convenu que l’État est incapable d’appliquer la loi dans la région.

« Quand un village n’a pas accès à ses ressources en eau parce qu’elles sont volées, et que les forces de sécurité vous disent qu’elles ne peuvent pas intervenir pour des “raisons de sécurité”, alors l’État doit commencer à prendre ses responsabilités », a-t-il déclaré.

« Nous devons convaincre les gens de respecter la loi. C’est un processus à long terme. »

Qui en a eu l’idée ?

Les producteurs de cannabis de Deir el-Ahmar ont déclaré avoir vendu leur production de cannabis à des commerçants qui l’ont ensuite exportée. « Nous ne sommes qu’un petit point par rapport à la production dans les régions chiites de la Bekaa », a déclaré le propriétaire d’une petite boutique du centre-ville, qui a ajouté qu’il vendait sa production aux « chiites ».

Aucun des villageois n’a voulu évoquer le fait que le Hezbollah, le puissant parti chiite du Liban qui domine la Bekaa et représente un acteur majeur de la politique nationale, pourrait être impliqué.

Toutefois, des champs de cannabis sont visibles dans les zones proches de Deir el-Ahmar, où les drapeaux du Hezbollah peuvent être vus flottant au vent.

« Ils ont finalement réalisé qu’une plante qui est cultivée depuis des siècles peut être utile pour le pays. Les gens de la Bekaa en ont marre d’être ignorés et les politiciens commencent à le sentir »

- Walid Joumblatt, leader druze

Le Hezbollah a été accusé par les États-Unis d’être impliqué dans le trafic de drogue, une allégation qu’il a démentie. Contacté par MEE, son bureau de presse s’est également refusé à tout commentaire sur la légalisation du cannabis à des fins médicinales.

Le silence du groupe est inhabituel : la plupart des politiciens libanais ont été prompts à saisir l’idée de la légalisation, beaucoup d’entre eux accordant peu de crédit au rapport McKinsey et affirmant qu’ils y avaient pensé les premiers.

Le leader druze Walid Joumblatt, le plus fervent partisan de la législation sur le cannabis ces dernières années, a déclaré à MEE : « Ils ont finalement réalisé qu’une plante qui est cultivée depuis des siècles peut être utile pour le pays. »

Cependant, pour lui, la raison pour laquelle l’idée peut enfin se concrétiser n’a rien à voir avec McKinsey. « Les gens de la Bekaa en ont marre d’être ignorés et les politiciens commencent à le sentir », a-t-il ajouté.

Lors des dernières élections parlementaires en mai, les habitants du coin ont critiqué publiquement les responsables politiques, y compris un ministre du Hezbollah, leur reprochant de ne pas se soucier de leurs préoccupations socio-économiques.

La police arrache des plants de haschisch dans la plaine de la Bekaa en août 2009 (Reuters)

Nabih Berri, le président du Parlement, a été le premier à annoncer que le Liban envisageait l’idée de légaliser le cannabis, le 18 juillet.

« Berri a eu l’idée quand il a récemment visité une pharmacie en Italie et a vu des produits dérivés du cannabis », a précisé Yassine Jabber, une députée d’Amal, le parti de Berri. 

Ali Hamdan, un proche conseiller du président du Parlement, a déclaré que la seule raison pour laquelle McKinsey avait inclus la proposition dans son rapport était parce qu’elle incorporait des idées de divers ministères libanais.

Mi-juillet, Berri a créé une commission pour étudier cette loi. Ali Hamdan pense qu’il est trop tôt pour la présenter mais espère qu’elle pourrait être adoptée bientôt. « Le Parlement se réunit deux fois par an : en octobre et en mars », a-t-il déclaré. « J’espère que la loi pourrait être votée à la fin de 2018. »

Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour trouver une réponse au commerce illégal du cannabis ?

Hamdan hausse les épaules. « Tout prend beaucoup de temps au Liban. L’idée n’est pas d’attaquer les administrations précédentes, mais de suggérer une nouvelle option pour l’économie et de mettre un terme au différend qui oppose la population de la Bekaa au gouvernement, un différend qui précède l’indépendance du Liban. »

À Deir el-Ahmar, certains sont plus cyniques. « Les politiciens parlent de légaliser le cannabis depuis des décennies », a grommelé un vieil homme assis sur son porche. « Pourquoi devrais-je croire que quelque chose va changer cette fois ? »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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