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Au Liban, l’île des Palmiers pourrait détenir la solution à la crise des ordures

Le Lebanon Water Festival a réuni des participants de toute la région venus pratiquer leur sport dans les eaux cristallines de l’île des Palmiers
Si des compétitions internationales y sont organisées, les plages du Liban deviennent des ambassadeurs pour le pays, motivant les municipalités à mettre en œuvre des initiatives de nettoyage (MEE/James Haines Young)

ÎLE DES PALMIERS, Liban – Fréquemment associée à la violence, à la pauvreté et aux tensions sectaires, Tripoli ne semble pas être le lieu indiqué pour une compétition internationale de kitesurf. Toutefois, cette année, le Lebanon Water Festival a réuni des concurrents de toute la région sur les rivages du nord du Liban pour pratiquer leur sport dans les eaux cristallines au large de l’île des Palmiers.

Située à seulement 10 kilomètres au large de la ville portuaire de Tripoli, la réserve naturelle de l’île des Palmiers est la seule vraie chaîne d’îles du Liban. Il faut environ une heure aux petits bateaux de pêche – remplis d’excursionnistes et de pêcheurs locaux – pour arriver sur les rives de cette île idyllique, qui dispose à la fois d’une plage publique et d’une réserve naturelle protégée connue pour abriter des tortues de mer et une faune marine unique.

Contrairement à l’eau polluée et souvent trouble au large de Beyrouth et d’autres villes côtières de la partie continentale du Liban, l’eau y est turquoise et claire ; les nageurs et les plongeurs peuvent voir jusqu’à son fond rocheux. Sur la plage elle-même, le sable est fin et blanc ; un calcaire érodé, qui, en plus de créer une plage de loisirs naturellement immaculée, aurait des propriétés curatives pour les rhumatismes et l’arthrite selon les pêcheurs locaux.

Aujourd’hui, les kitesurfeurs insufflent une nouvelle énergie à cette plage normalement fréquentée par la population locale, ravissant les baigneurs avec leurs cascades tandis qu’ils découpent les vagues impeccables et se font une petite idée du vent au large de la côte de l’île. C’est un monde totalement différent de la capitale libanaise étouffée par les ordures. À Beyrouth, les affrontements nocturnes entre la police anti-émeute et les manifestants, réclamant un terme à la crise des ordures qui dure depuis près de deux mois, sont couverts par les journaux internationaux. Cependant, malgré l’atmosphère très différente, les problèmes contre lesquels protestent les manifestants et ceux que tentent de combattre le festival sont liés, et tous partagent un objectif commun même si la méthode diffère.

« Les gens à Beyrouth ne devraient pas manifester dans les rues comme ils le font », a déclaré Simon Khoury (86 ans), manœuvrant son bateau autour de l’île tandis que les photographes à bord capturent les cascades des kitesurfeurs et le panorama de l’île vu de la mer.

Khoury est un légendaire champion de ski nautique libanais, qui a participé à des centaines de spectacles dans les années 50 et 60. Depuis qu’il a arrêté la compétition professionnelle, il est une figure de proue de l’évolution des sports nautiques dans le pays. Aujourd’hui, en tant que l’un des fondateurs du Lebanese Water Festival, il s’attache à la fois à promouvoir les régions côtières du Liban en tant que destinations touristiques locales et internationales et à sauvegarder ces zones en tant que ressources naturelles.

Il y a quatre ans, le festival a commencé à organiser des compétitions internationales de sports nautiques, un moyen à la fois d’attirer les touristes étrangers au Liban et de promouvoir les loisirs nautiques et la préservation de la nature.

Le Lebanese Water Festival espère que la nécessité de trouver un endroit pour la pratique sportive à court terme va conduire à une solution sur le long terme en ce qui concerne la sauvegarde de l’environnement (MEE/James Haines Young)

« Il reste encore plus d’un mois et demi avant de conclure la saison touristique – et maintenant les gens ne viendront plus, parce que le Liban ne rimera qu’avec instabilité », a-t-il poursuivi. « Les manifestants devraient être ici, à s’investir dans la nature : voilà comment vous apportez votre contribution à votre pays. »

Bien qu’ils s’opposent aux manifestations, Khoury et le Lebanese Water Festival se posent, en un sens, la même question que les manifestants. Dans un pays où la politique de gestion des déchets est (quasi-)inexistante et qui est renommé pour polluer son littoral et traiter ses ressources naturelles comme une décharge, comment les citoyens peuvent-ils sauver ce qui a été endommagé et préserver ce qui ne l’est pas encore ?

La préservation de l’eau au Liban

Malgré son adhésion à la Convention de Barcelone, une convention régionale élaborée pour protéger la mer Méditerranée de la pollution provenant des rejets des navires et des avions ainsi que des polluants terrestres, le Liban est loin d’atteindre ses objectifs.

Rédigée par seize États bordant la Méditerranée en 1975, cette convention vise à promouvoir la gestion durable des déchets et le développement de la côte méditerranéenne. Pour ce faire, elle propose de réduire les déchets marins, de traiter et d’éliminer de manière appropriée les eaux usées, les déchets solides et les eaux de ruissellement, et également de protéger l’environnement des côtes – en particulier les habitats sauvages.

Au Liban, la grande majorité des eaux usées est actuellement pompée directement vers la côte. Seule Beyrouth dispose d’installations de traitement des eaux usées, qui traitent l’eau et séparent les polluants avant qu’elle ne soit rejetée dans la mer. Les déchets marins et l’élimination des déchets solides est un problème significatif le long de la majeure partie de la côte. L’année dernière, une étude menée sur dix-neuf sites le long de la côte libanaise a trouvé de l’eau contaminée par des matières fécales à un niveau « bien au-dessus » des normes internationales de sécurité dans sept endroits. Deux sites ont été classés comme relevant d’un niveau « marginal », tandis que les dix autres étaient propres.

Cependant, Marwan Rizkallah, un expert de la gestion des déchets solides au Liban, estime que le gouvernement s’est engagé à respecter la convention et progresse dans certains domaines.

« Le gouvernement a accompli certaines choses », a-t-il déclaré à Middle East Eye. « Il y a un projet d’usines de traitement des eaux usées, certaines ont été construites mais ne sont pas encore opérationnelles. »

Le temps dira si cette infrastructure existante aura un effet quelconque.

La réserve naturelle de l’île des Palmiers

À bien des égards, l’île des Palmiers est un microcosme pour la capacité de gestion des déchets et de préservation de l’environnement au Liban. Tout d’abord, la réserve est mentionnée spécifiquement dans la Convention de Barcelone comme aire spécialement protégée de la Méditerranée en raison de son importance pour les oiseaux nicheurs et migrateurs, les tortues et les phoques.

« C’est le seul endroit au Liban à avoir cette diversité d’espèces », a déclaré à MEE Ghassan Jaradi, un expert en sauvegarde et président de la commission de la réserve naturelle de l’île des Palmiers.

Par ailleurs, malgré son éloignement, elle a connu et s’est remise de tous les aspects de l’instabilité politique passée et actuelle au Liban. Lorsqu’Israël a bombardé l’île en 1984 – alléguant que des combattants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) s’y cachaient pour lancer des frappes contre Israël –, l’armée libanaise a pris le contrôle et a passé les années suivantes à nettoyer l’île des munitions non explosées.

L’île a souffert à nouveau au cours de la guerre de 2006 avec Israël, quand ce dernier a bombardé la centrale électrique de Jiyeh provoquant une marée noire qui a déferlé sur les côtes de l’île des Palmiers, tuant les algues et la flore marine dont dépend le fragile écosystème pour survivre. Cette fois, l’île a été ressuscitée par une opération de nettoyage bénéficiant d’un financement international et la mise en place d’un système de contrôle strict (supervisé partiellement par le programme environnemental des Nations unies, qui gère les protocoles de la Convention de Barcelone).

En raison de cet effort rigoureux, la sauvegarde de l’environnement et les systèmes de gestion durable des déchets – tels que le recyclage – sont devenus des priorités pour les groupes travaillant sur l’île. Contrairement à de nombreuses plages au Liban, le tri et le recyclage des déchets sont obligatoires sur l’île des Palmiers. En plus de minimiser les détritus en interdisant les sources potentielles de déchets et de pollution (tels que les barbecues et les grils), les gardiens de l’île font respecter une politique strictement appliquée : tout ce qui est amené sur l’île doit aussi la quitter.

« Si vous arrivez avec quatre bouteilles d’eau, ils font en sorte que vous quittiez l’île avec quatre bouteilles d’eau », explique Annette Khoury, co-fondatrice du Lebanese Water Festival.

Si des ordures sont laissées, des bénévoles les trient puis les amènent dans des usines locales à Tripoli. En conséquence, l’île et l’eau environnante restent propres et sûres pour la pratique sportive, ce qui bénéficie au Lebanon Water Festival.

« Nous voulions organiser la compétition sur l’île des Lapins [surnom de l’île des Palmiers] pour valoriser le travail qu’ils font », a déclaré Khoury.

Si des compétitions internationales y sont organisées, les plages du Liban deviennent des ambassadeurs pour le pays, motivant les municipalités à mettre en œuvre des initiatives de nettoyage (MEE/James Haines Young)

Deux aspects d’un même problème

Paradoxalement, l’élan populaire suscité par la crise des ordures à Beyrouth complique plutôt qu’il ne facilite les efforts pour la sauvegarde de l’eau dans le reste du pays. Alors que des milliers de personnes ont défilé à Beyrouth pour protester contre les ordures qui étouffent les rues de la ville depuis le milieu de l’été, cet activisme – et l’urgence de trouver une solution aux problèmes environnementaux du pays – ne s’est pas étendu à la côte, ni à l’eau.

« Les gens ne prêtent attention qu’à la terre et ne réalisent pas que ce qui est sur terre va également dans l’eau », a indiqué Khoury.

On sait que les ordures sont accidentellement ou volontairement déversées dans la mer au Liban. Par exemple, une montagne d’ordures dans la ville méridionale de Saïda a récemment été emportée par la mer avec une telle vigueur que des déchets ont été rejetés sur les rives de Chypre.

Pour cette raison, Khoury a mis à profit le Lebanese Water Festival au Liban pour se concentrer sur la création de communautés basées autour des sports nautiques et de compétitions internationales impliquant des sports nautiques avec l’idée que plus les gens sont dans l’eau, plus la propreté des plages et de l’eau est nécessaire. Si des compétitions internationales y sont organisées, les plages du Liban deviennent des ambassadeurs pour le pays, motivant les municipalités à mettre en œuvre des initiatives de nettoyage.

« Si vous aimez le surf, il vous faut une plage et une eau propres », affirme Annette Khoury. « Si vous aimez la plongée, il vous faut des espèces sous-marines – ce que nous avons en quantité en Méditerranée. »

Le Lebanese Water Festival espère que la nécessité de trouver un endroit pour la pratique sportive à court terme va conduire à une solution sur le long terme en ce qui concerne la sauvegarde de l’environnement.

« Plus les gens sont dans l’eau, plus nous bâtissons une communauté qui imposera ces exigences. »
 

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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