Ce champion paralympique, qui vit sous le siège de Gaza, représente la Palestine à Rio
GAZA - Chaque jour, Husam Azzam, seul athlète paralympique gazaoui qualifié, se fait conduire avec son entraîneur à son club sportif local, Al-Jazeera, dans la ville de Gaza. Azzam est lanceur de poids et sait l’importance de s’échauffer avant le début d’une séance. Assis dans son fauteuil roulant, il commence par étirer ses muscles, pendant que son entraîneur prépare un siège métallique fixé au sol, spécialement conçu pour l’entraînement.
Il lui a fallu s’adapter à son handicap, mais ce ne fut certainement pas le seul obstacle qui s’est mis en travers de sa participation aux Jeux paralympiques de Rio cette année. Pour commencer, son programme d’entraînement fut entravé par le manque de disponibilité du petit espace offert par le club à proximité du terrain de football.
C’est aussi une gageure de trouver les bons équipements puisque la bande de Gaza est assiégée par Israël et par l’Égypte depuis l’arrivée du Hamas au pouvoir en 2007. À Gaza comme ailleurs dans les territoires occupés, la politique impacte inévitablement les sportifs en lice pour présenter le meilleur de leur pays aux Jeux paralympiques de Rio.
Mohammed Dahman, l’entraîneur d’Azzam depuis 2001, affirme que les conditions d’entraînement ne sont pas normales et ne respectent pas les standards internationaux, mais avec son athlète, ils sont très néanmoins reconnaissants du soutien que leur offre leur club de sport. « Le club Al-Jazeera nous a généreusement procuré un lieu d’entraînement, mais il ne dispose pas de l’équipement requis pour ce sport », explique Dahman.
« Cette chaise est rouillée, le sol sablonneux, et on ne peut pas faire plus de deux lancements : il est impossible de s’entraîner normalement », a-t-il ajouté.
Cependant, avec l’aide de son entraîneur, Azzam, il donne tout ce qu’il a et, du fond de son fauteuil d’entraînement, il parvient à lancer de toutes ses forces des poids de 7,260 kg.
Toute l’année dernière, Azzam a travaillé dur afin d’être au mieux de sa forme pour les jeux. Il souffre de poliomyélite depuis l’âge de 3 ans mais cela n’a jamais entamé sa détermination à obtenir une quatrième participation aux Jeux paralympiques, et sa foi est intacte.
« Quand, à l’âge de 3 ans, ma santé s’est détériorée, j’étais trop jeune pour comprendre vraiment que j’allais rester handicapé toute ma vie, et je me suis habitué à vivre avec. Quand j'ai compris que je ne serais plus capable de bouger mes jambes, j’ai décidé de surmonter mon handicap par le sport », a déclaré Azzam.
Si l’histoire de ce champion paralympique qui s’entraîne pour prendre part aux jeux est extraordinaire, c’est aussi en raison de la tragédie qui l’a frappé il y a sept ans. Azzam a perdu toute sa famille. Malgré le choc terrible de la perte de sa femme, de son fils et de ses parents, il est finalement revenu au sport et jeté son dévolu sur sa participation aux Jeux paralympiques de 2016.
Quand il est enfin arrivé à Rio, Azzam a fièrement représenté la Palestine en investissant toute son énergie dans sa quête d’une victoire pour son pays natal. Cette fois, cependant, Azzam n’a pas obtenu de médaille, mais il sera toujours une source d’inspiration pour les Palestiniens, où qu’ils soient dans le monde.
Succès internationaux et régionaux
Cet athlète de 40 ans pratique les handisports depuis dix-huit ans. « La première fois, ce fut en 1998 », raconte Azzam à Middle East Eye, pendant qu’il s’échauffe. « J’ai commencé comme joueur de basket-ball en fauteuil roulant. Puis, quand la Fédération sportive palestinienne pour handicapés a été créée, et que de nouveaux sports ont été ajoutés, j’ai choisi le lancer de poids car cette discipline exige autant de force que de détermination ».
En l’an 2000, lors des Jeux paralympiques d’été de Sydney, Azzam est entré dans l’histoire du sport en remportant la première médaille olympique de la Palestine. « Ma médaille de bronze à Sydney est celle dont je suis le plus fier. Ce fut la première médaille remportée par la Palestine à des Jeux olympiques, et c’est nous, les handicapés, qui avons eu l’honneur de la gagner », poursuit-il. « Cette réussite à Sydney m’a inspiré à travailler encore plus dur. La popularité des sports pour handicapés s’est aussi nettement accrue ensuite. Je pense que, cette année, nous avons vraiment contribué à sensibiliser le public aux handisports ».
La vie d’un Palestinien se trouve toujours impactée par la politique et les conflits, et c’est particulièrement vrai pour ceux d’entre eux qui habitent une région en état de siège comme Gaza.
« Après Sydney, les institutions nationales ont commencé à s’intéresser de plus près à nous et notre sport, mais la situation a changé suite à l’Intifada 2000 et au conflit Fatah-Hamas en 2007 ».
Azzam n’en a pas moins continué à gagner des victoires historiques, dont une médaille d’argent aux championnats du monde 2002 d’athlétisme en France. Il a remporté une autre médaille d’argent en battant un record paralympique aux jeux d'Athènes en 2004. « Ma passion ne rencontrait aucune limite. J’ai continué à remporter des médailles dans tous les championnats internationaux, asiatiques et arabes ».
« Mes expériences internationales m’ont appris à ne jamais baisser les bras et m’ont aidé à faire la connaissance d’athlètes du monde entier », se réjouit Azzam. « Ces relations m’ont mis au contact d’athlètes et d’entraîneurs de très grand talent, qui ont enrichi ma personnalité et mon expérience sportive ».
Une volonté de fer, en dépit d’une série de malheurs
En 2009, Azzam a décidé d'arrêter le sport pour des raisons sociales et personnelles. À l’époque, il vivait dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord de la bande de Gaza, d’où il fut évacué sous le feu de l’aviation israélienne.
Après la fin de l’agression, il est rentré chez lui et trouva que sa maison avait été directement visée par une roquette israélienne. Sa vie s’en est trouvée bouleversée à jamais. « J’ai perdu mes parents, ma femme et mon fils en très peu de temps, et me suis retrouvé dans un état de grande douleur et de profond isolement », a-t-il confié.
Quand il a décidé de reconstruire sa vie, il a cherché les médailles auxquelles il tenait le plus mais la plupart d’entre elles avaient disparu.
« J'ai aussi perdu la plupart de mes médailles lorsqu’un raid aérien israélien a pris ma maison pour cible pendant la guerre de 2008 contre Gaza. J’ai eu l’impression de ne jamais pouvoir m’en relever. »
Heureusement, il a tout de même retrouvé dans les décombres sa médaille de bronze, obtenue à Sydney. « C’est ma médaille préférée, ma première. J’en ai aussi retrouvé d’autres. Sincèrement, je n’ose même pas imaginer ce que je serais devenu si j’avais perdu celle-là aussi », confie-t-il.
Pendant sept ans, les athlètes palestiniens n’ont gagné aucune médaille dans des compétitions internationales ou régionales. Par conséquent, l’entraîneur d’Azzam et ses pairs l’ont encouragé à revenir sur sa décision de se retirer, ce qu’il a fait. « En 2015, j’ai décidé de reprendre l’entraînement en vue de participer aux Jeux paralympiques de Rio », raconte Azzam.
Après des années d’absence d’athlètes palestiniens sur les podiums, la Fédération sportive palestinienne pour handicapés n’a été autorisée à envoyer qu’un seul athlète à Rio. Un championnat interne a été organisé pour choisir le représentant de la Palestine et c’est Azzam qui l’a emporté. « Lors de notre précédente participation, nous avions plus de joueurs palestiniens. D’un côté, se retrouver le seul à défendre les couleurs de la Palestine est une grande responsabilité, mais de l’autre cela accroît encore ma détermination à gagner et me donner à fond », explique-t-il.
Siège et absence de soutien officiel
Azzam et son entraîneur étaient censés avoir accès à trois terrains d'entraînement à l'étranger – en Tunisie, au Chili et au Brésil. Or, suite à la fermeture permanente du point de passage de Rafah entre Gaza et l’Égypte, et vu l’extrême difficulté de sortir du pays par le passage d’Erez entre Gaza et Israël, ils n’ont jamais pu quitter Gaza pour bénéficier de ces terrains internationaux.
« Nous avons contacté certains de nos amis dans d’autres équipes nationales, et eux s’entraînaient depuis des mois dans des salles d’entraînement à l’étranger », déplore son coach. « C’est très décevant. Nous ne sommes pas des terroristes ou des combattants pour être éconduits de la sorte par tout le monde. Alors que le Comité international paralympique nous a officiellement invités, les autorités israéliennes nous ont refusé l’autorisation de sortir par Erez. Et emprunter le passage de Rafah reste un rêve lointain », regrette-t-il.
Pour Dahman, il est très important que les autorités officielles – Comité paralympique palestinien, Comité international paralympique et organisations de défense des droits de l'homme – veillent sur les droits et les besoins des athlètes handicapés car, de toute évidence, les athlètes handisport professionnels sont souvent oubliés. « Les responsables officiels s’imaginent que les handicapés pratiquent un sport pour se divertir. Ils ne se rendent absolument pas compte que les compétitions handisports ne sont en rien moins difficiles et disputées que d’autres. Nous disposons d’un groupe de très bons athlètes ici à Gaza, mais personne ne s’intéresse aux progrès de leurs résultats. De plus, nos sports ont besoin de nombreux équipements spéciaux – introuvables dans la bande de Gaza ».
L’équipe a continué à travailler sans aucune certitude d’obtenir les incontournables autorisations et visas. Quelques jours à peine avant le début des jeux, Azzam a déclaré : « Nous nous entraînons dans des circonstances anormales, sans l’aide de personne. Cela fait plus d’un an qu’on travaille, et nous ne savons toujours pas si nous allons pouvoir aller à Rio ».
Si Azzam et son entraîneur Mohammed Dahman ont finalement pu quitter Gaza par le passage d’Erez, le 3 septembre, ce n’est que grâce à l’intervention du Comité international paralympique. Ils ont rejoint Rio le 5 septembre, deux jours seulement avant le début des jeux. « Nous avions commencé à perdre espoir. Ce fut un miracle », se souvient Dahman.
L’avenir des handisports
« Nous avons 200 athlètes handicapés à Gaza, répartis dans quinze clubs locaux », a déclaré Ali al-Nazly, conseiller technique et membre du conseil d’administration du Comité paralympique palestinien. « Le rôle du comité demeure très limité en raison du manque de ressources et des effets désastreux du siège sur chaque habitant de Gaza. »
Selon Nazly le Comité paralympique et les clubs locaux coopèrent et s’efforcent d’améliorer la situation des handisports en Palestine. « Nous nous efforçons de fournir de meilleures conditions à nos athlètes. Nous avons des projets : construire de nouveaux clubs, installer des terrains et créer les institutions sportives, mais nous ne pouvons pas nous lancer sans les fonds et le soutien requis ».
Nazly a demandé à la communauté internationale d’accorder une plus grande attention au sort des athlètes handisport gazaouis. « La communauté internationale, le Comité international paralympique et l’organisations de défense des droits de l’homme doivent assumer leurs responsabilités envers les athlètes et faire respecter leurs droits, tout particulièrement celui de se déplacer librement. Dans ce sport, les terrains d’entraînement à l’étranger sont incontournables. Et n’oublions pas que certains athlètes ont besoin de voyager pour raisons médicales ».
« L’arrivée de Husam à Rio a inspiré tous ceux qui, comme lui, rêvent de participer à des événements internationaux. Son succès a fait de nombreux émules parmi les athlètes qui rêvent d’un parcours similaire. Dans les années qui viennent, nous allons travailler dur pour présenter plus d’athlètes professionnels capables de marquer l’histoire aux prochains jeux olympiques », promet Nazly.
Traduction de l'anglais (original) par dominique@macabies.fr.
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