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Expulsés : la guerre d’Israël contre les militants pro-palestiniens

Depuis janvier, Israël contraint de plus en plus de sympathisants de la Palestine à de longues heures derrière les barreaux ou à d’humiliants départs forcés
Pam Bailey, directrice du projet « We Are Not Numbers© », a rencontré certains des jeunes auteurs palestiniens qu’elle accompagne en avril 2016. Suite à son expulsion d’Israël, elle pourrait ne plus jamais les revoir (Photo gracieusement offerte par Pam Bailey)

NGO Monitor est une organisation d’extrême-droite étroitement liée au gouvernement israélien qui a publié de violentes attaques contre des groupes tels que Jewish Voice for Peace, Amnesty International, B’Tselem et Breaking The Silence. Elle a récemment publié ce qu’elle présente comme une fiche d’information sur l’« abus de visas touristiques par des militants radicaux d’ONG qui militent pour le mouvement BDS et la guerre politique ».

Le document commence par l’affirmation suivante : « les militants d’ONG ont systématiquement obtenu des visas touristiques pour entrer en Israël sous de faux prétextes et se sont ensuite employés à attaquer et à faire obstacle à l’Armée de défense d’Israël et au personnel chargé de la sécurité, à organiser et à prendre part à de violentes manifestations, à contacter des organisations terroristes, à promouvoir le mouvement BDS et la diabolisation, et à s’engager dans d’autres activités incohérentes avec le statut de touriste ».

Lorsque je suis arrivée à l’aéroport Ben Gourion avec ma lettre d’invitation et mon numéro de permis en main, on a pris mes empreintes digitales et on m’a photographiée

Le document donne ensuite une liste de plusieurs individus à qui l’entrée en Israël a été refusée suite à l’annonce faite courant août par le ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan, de la création d’un groupe de travail gouvernemental destiné à « empêcher les militants du mouvement BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) de continuer à exploiter les visas touristiques et à expulser les militants entrés illégalement dans le pays ».

Je figurais sur cette liste.

Cependant, je ne suis pas arrivée en Israël à la recherche d’un visa touristique à exploiter. (Et, d’ailleurs, bien que je soutienne ouvertement le mouvement BDS, je n’ai jamais attaqué le personnel de l’Armée de défense d’Israël, organisé ou pris part à de violentes manifestations, ni contacté des « terroristes »).

Au contraire, j’avais reçu – de la part de l’agence israélienne compétente – une autorisation d’entrer dans la bande de Gaza où une ONG suédoise m’envoyait pour participer à la mise en œuvre d’un programme en faveur des femmes. Je suis par ailleurs la secrétaire internationale de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme et la directrice de « We Are Not Numbers » qui se concentrent tous deux sur Gaza, comme l’a fait remarquer NGO Monitor.

Pourtant, lorsque je suis arrivée à l’aéroport Ben Gourion avec ma lettre d’invitation et mon numéro de permis en main, on a pris mes empreintes digitales, on m’a photographiée, emprisonnée pendant douze heures, renvoyée aux États-Unis et informée que je ne pourrai pas revenir pendant dix ans.

Cela semble dramatique – mais c’est plus ou moins le même scénario qui s’est joué de nombreuses fois depuis janvier de cette année.

De plus en plus de militants sont mis en détention et expulsés dès leur arrivée et sont condamnés à une interdiction de séjour de dix ans sur les territoires palestiniens par les autorités israéliennes (Photo gracieusement offerte par Pam Bailey)

Je ne suis pas la seule à avoir été expulsée

En 2015, seul 1 % des 384 « incidents » rencontrés par l’ONU et les employés et consultants d’ONG internationales ont abouti à des expulsions, selon des rapports soumis à l’Unité de coordination d’accès (ACU) du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. Au contraire, la grande majorité des problèmes (76 %) étaient des retards. La même tendance a été observée au cours des trois années précédentes.

Toutefois, en 2016, 8 % des 233 incidents signalés ont donné lieu à une expulsion, tandis que 18 autres ont conduit à l’« annulation de la mission ». Ces chiffres sont un minimum : ils ne prennent pas en compte les travailleurs indépendants, les universitaires et les militants qui représentent la majeure partie des personnes expulsées. Personne ne collecte de chiffres les concernant, à part, très probablement, le gouvernement israélien.

Des interviews menées auprès de plusieurs personnes expulsées en 2016 montrent qu’elles sont bien plus variées et bien intentionnées que NGO Monitor ne le laisse entendre. En voici quelques exemples :

Joe Weston, de Washington D.C., est animateur de séminaires internationaux et l’auteur d’un livre intitulé Mastering Respectful Confrontation (maîtriser la confrontation respectueuse). Il s’agit d’une spécialité plutôt ironique étant donné qu’il a été expulsé par Israël et frappé d’une interdiction de séjour de dix ans. Joe Weston disposait également d’un permis de séjour à Gaza où il se rendait afin d’animer plusieurs séances de formation pour l’ONG suédoise qui me parrainait. Toutefois, lorsque les gardes-frontières israéliens lui ont demandé qui étaient ses contacts à Gaza et qu’il a répondu qu’il n’en avait aucun, ils ont répliqué qu’ils ne le croyaient pas – et voilà tout.

Max (qui a préféré que son nom ne soit pas publié) est originaire du Royaume-Uni. Il se rendait en Cisjordanie pour travailler en tant qu’auteur pour un service de presse palestinien. Il a été interrogé à plusieurs reprises, tout d’abord sur ce qu’il devait y faire. On a ensuite fouillé son téléphone à la recherche de contacts ayant un numéro local. La conclusion ? Il représentait un risque pour la sécurité. « Lorsque j’ai entendu que j’allais être interdit de séjour pendant dix ans, c’était fini », a indiqué Max, qui avait démissionné de son précédent emploi pour s’installer en Cisjordanie. « Cela m’a anéanti. J’ai principalement dormi pendant les douze heures que j’ai passées en prison. »

« Lorsque j’ai entendu que j’allais être interdit de séjour pendant dix ans, c’était fini. Cela m’a anéanti. J’ai principalement dormi pendant les douze heures que j’ai passées en prison »

Max et moi avons été particulièrement frappés par le fait qu’au moment de prendre l’avion du retour, les gardes ont attendu le dernier moment avant de nous conduire directement à l’avion, sur le tarmac. Nous n’avons même pas été autorisés à entrer dans l’aéroport. Max se souvient : « J’ai demandé si nous arriverions à temps pour le décollage et les gardes ont répondu : "c’est notre aéroport. Les compagnies aériennes font ce qu’on leur dit" ».

Dans mon cas, la compagnie aérienne était United Airlines et l’équipage a appliqué les instructions du service israélien de contrôle des frontières, c’est-à-dire conserver mon passeport jusqu’à ce que nous soyons près d’atterrir. J’ai demandé pourquoi. On m’a répondu que si l’avion devait atterrir en urgence, je risquais d’essayer de « m’échapper ».

Lauren Jappe, originaire de Boston, se rendait à Bethléem pour le compte de sa branche locale de Jewish Voice for Peace afin de participer à une conférence sur les réfugiés. Elle avait endossé le rôle d’une « sœur » pour l’un des camps de réfugiés locaux. Toutefois, lorsque les gardes-frontières ont découvert qu’elle avait précédemment visité Ramallah – ce qu’ils ont, selon elle, probablement appris grâce à une recherche en ligne –, ils lui ont demandé l’autorisation de fouiller son téléphone et son compte de messagerie, tandis que l’un d’entre eux se vantait d’être expérimenté dans l’interrogatoire de « terroristes ».

Elle refusa, se fit crier dessus en raison de sa « mauvaise attitude » et fut expulsée. « J’avais entendu dire que ce genre de choses arrivait et un ami à qui j’avais réussi à envoyer un message depuis l’aéroport m’a dit ce qui arriverait ensuite », se souvient-elle. « Mais le moment où j’ai attendu le fourgon qui devait m’emmener en prison [pour y être détenue pendant onze heures] avec plusieurs femmes d’Europe de l’Est qui ne parlaient pas anglais a tout de même été le pire. Le fait de ne pas savoir combien de temps ça durerait. » Fait curieux observé par toutes les personnes interrogées, le centre de détention semblait abriter de nombreux Russes, Ukrainiens et Géorgiens qui ne semblaient pas être des militants.

Selon un ministre israélien, le mouvement BDS est une autre branche du terrorisme

La vague d’expulsions actuelle est alimentée par la participation du public et encouragée par les responsables gouvernementaux. « Si vous avez des informations sur une personne qui se fait passer pour un touriste mais est en réalité un militant du boycott qui séjourne en Israël, merci de nous le faire savoir et nous ferons le nécessaire pour l’expulser hors du pays », a déclaré Gilad Erdan, qui occupe également le poste de ministre des Affaires stratégiques, sur Facebook.

Certains indicateurs suggèrent que le début de l’année 2016 a marqué le lancement d’une vaste campagne visant à cibler et à expulser ou neutraliser les militants

Outre la chasse aux sorcières menée ostensiblement par Israël contre les partisans du BDS, les ONG qui travaillent avec les Palestiniens, notamment à Gaza, subissent également des attaques. Le gouvernement israélien a accusé les représentants de Vision du Monde et du Programme des Nations unies pour le développement de verser de l’argent au Hamas. Par ailleurs, le magazine Foreign Policy s’est entretenu avec une dizaine de cadres d’ONG et d’agences des Nations unies qui étaient pour la plupart réticents à témoigner officiellement (un problème fréquent). Les trois quarts ont indiqué qu’il était récemment devenu plus difficile de travailler à Gaza.

Selon le magazine, en 2015 et au début de l’année 2016, seuls 3 % environ des employés se sont vu refuser leur permis de séjour. Mais au cours des derniers mois, ce nombre est passé à presque 30 %.

Pendant ce temps, le cabinet de Gilad Erdan a annoncé qu’Israël avait conclu un accord avec les représentants de Facebook afin de créer des équipes chargées de déterminer comment contrôler et éliminer les « contenus incendiaires » du réseau social. Un projet de loi cherche à forcer d’autres réseaux sociaux à supprimer les contenus qu’Israël considère comme des incitations.

« Le mouvement BDS est une autre branche du terrorisme de l’ère moderne », a affirmé la ministre israélienne de la Justice, Ayelet Shaked, lors d’une conférence du Fonds national juif organisée à New York le mois dernier.

Tous les indicateurs suggèrent que le début de l’année 2016 a marqué le lancement d’une vaste campagne visant à cibler et à expulser ou neutraliser les militants et autres sympathisants qui sont toujours prêts à défendre les Palestiniens sur le territoire proclamé d’Israël.

On pourrait parler d’une guerre de volonté – et d’un usage brutal du pouvoir.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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