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Khan al-Ahmar : « S’ils détruisent, nous reconstruirons »

Ce n’est qu’une question de temps. La Cour suprême israélienne a donné son feu vert à la démolition de Khan al-Ahmar. Mais au lieu d’abdiquer, les 176 âmes de ce village bédouin ont décidé de résister
Un garçon brandit un drapeau palestinien devant des soldats israéliens à Khan al-Ahmar, le 4 juillet 2018 (Reuters)

KHAN AL-AHMAR, Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie) Depuis Jérusalem, il faut trente minutes pour atteindre Khan al-Ahmar. Caché derrière une autoroute, ce village bédouin n’est pas facile à trouver, il faut emprunter un chemin rocailleux, pentu. « Le mieux, c’est d’avoir un 4x4 », explique Ahmed, le chauffeur de taxi, qui connaît bien les lieux. Une fois l’âne et le drapeau palestinien en vue, l’entrée du village est à quelques pas. « Bienvenue », lance Ahmed.

À peine la portière de la voiture ouverte, une forte odeur de crottin de chèvre vous submerge. Rien d’étonnant, les bédouins sont des fermiers et, ici comme ailleurs, ils vivent de leur cheptel. Une cinquantaine de bovidés – chèvres et moutons –, dont ils tirent du fromage, du lait et de la viande pour leur consommation personnelle. Car les autorités israéliennes ne leur permettent plus de se rendre à Jérusalem pour faire du commerce. Depuis que l’existence du village est un point de discorde, les bédouins ne sont plus les bienvenus, même à Jérusalem-Est.

Une vie de misère

Tout comme leurs bêtes, les 176 bédouins de Khan al-Ahmar vivent dans des abris de fortune. D’ailleurs, de l’extérieur, difficile de savoir s’il s’agit d’une étable ou d’une chambre à coucher. Le village est une suite de tentes, faites de tôles et de tissus, trouées pour la plupart. Les plus chanceux ont une structure très sommaire de poutres en bois mais, régulièrement, les soldats israéliens viennent démolir ce qui est en dur.

Le camp de Khan al-Ahmar est essentiellement fait de structures en tôle et en bois (MEE/Yumna Patel)

« Il y a quelques jours, pendant la nuit, les soldats israéliens sont venus et ont détruit cinq tentes dans lesquelles il y avait cinq familles. Ils sont venus vers 4 heures du matin et ils ont même confisqué du matériel destiné à améliorer nos habitations », explique Hussein, l’un des habitants du village.

« Les soldats israéliens ne nous autorisent pas à construire un toit, ils font en sorte que l’on reste dans cet état. Si nous construisons un toit, ils viennent et le détruisent. Nous sommes au XXIe siècle, des gens marchent sur la lune, vont dans l’espace, et nous, nous n’avons même pas le droit de satisfaire nos besoins les plus sommaires, notamment un toit »

- Hussein, habitant de Khan al-Ahmar

« Les soldats israéliens ne nous autorisent pas à construire un toit, ils font en sorte que l’on reste dans cet état. Si nous construisons un toit, ils viennent et le détruisent. Nous sommes au XXIe siècle, des gens marchent sur la lune, vont dans l’espace, et nous, nous n’avons même pas le droit de satisfaire nos besoins les plus sommaires, notamment un toit », poursuit-il.

Au détour d’un chemin en contrebas, trois femmes discutent en gardant un œil sur leurs enfants. La plus âgée, Sara, accepte de nous parler et de lever les toiles qui servent de portes et de fenêtres à sa maison.

Première pièce, le salon. Deux matelas à même le sol, un tapis et un vieux ventilateur sont les seuls objets. La chambre à coucher n’est pas plus fournie. Dans un coin, huit matelas sont empilés. Dernière pièce, la cuisine. Pas de frigo, pas de cuisinière, mais une plaque de cuisson au gaz portable. De l’autre côté, des légumes sont entreposés et des cendres sur le sol laissent deviner un feu pour faire cuire la viande et le pain. Un peu gênée, elle explique que les sanitaires sont à plusieurs mètres de là, loin de la vue et de l’odorat des visiteurs.

La colonie israélienne de Maale Adumim vue depuis le village bédouin de Jabal al-Baba, dont les habitants sont eux aussi menacés de transfert forcé (MEE/Sheren Khalel)

À l’extérieur, une petite fille joue sur une balançoire. « Voici le parc d’attraction ! », lance Sara. La fillette doit avoir deux ans. Le visage noirci, cheveux au vent, son regard est triste. Dans ce village, le sol n’est qu’ordures et poussière sur lequel les enfants déambulent pieds nus. Les seules choses qui tiennent encore debout sont les dizaines de drapeaux palestiniens et ceux du Fatah.

L’État palestinien en jeu

À l’entrée du village, sous une immense tente, des centaines de chaises et de matelas attendent d’être occupés. C’est ici que se tiennent les veillées. Car en mai dernier, après des années de bataille judiciaire, la Cour suprême israélienne a ordonné la démolition du village. Plusieurs fois reportée, elle devrait être imminente, d’autant que tous les recours en justice ont été épuisés – et que la plainte déposée par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) auprès de la Cour pénale internationale pour crime de guerre ne devrait rien y changer.

« Si les Israéliens utilisent leur puissance militaire pour détruire le village, nous allons le reconstruire ! Nous n’abandonnerons jamais cet endroit parce que si on le fait, ça veut dire que l’on abandonne notre futur »

- Mustafa Barghouti, membre du comité central de l’OLP

Alors, toute la Cisjordanie s’organise. Chaque jour, des cars entiers arrivent de Naplouse, Qalqilya, Ramallah… Un homme aux longues moustaches et à l’œil rieur est allongé de tout son long sur un matelas. Il forme le V de la victoire avec ses mains : « Je viens du sud de Naplouse. Je suis ici en solidarité avec mes frères palestiniens. Nos joies, nos tristesses et nos chemins sont les mêmes ».

Des Palestiniens, mais aussi des activistes étrangers. Un seul mot d’ordre : maintenir une présence dans le village de jour comme de nuit et, en cas d’intervention israélienne, être prêts à s’interposer. C’était le cas le 14 septembre dernier. Face aux bulldozers israéliens, ils étaient des dizaines. Bilan : trois personnes arrêtées, dont Frank Romano, un professeur franco-américain de droit à la Sorbonne.

Beaucoup ont compris depuis longtemps l’enjeu que représente ce village bédouin. Coincé entre les colonies israéliennes de Maale Adumim et Kfar Adumim, Kahn al-Ahmar est le dernier verrou qui empêche l’encerclement de Jérusalem-Est par les colonies juives, l’ultime rempart pour éviter la scission entre le nord et le sud de la Cisjordanie.

« Je viens du sud de Naplouse. Je suis ici en solidarité avec mes frères palestiniens. Nos joies, nos tristesses et nos chemins sont les mêmes »

- Ismaïl, membre du comité de soutien à Khan al-Ahmar

Le combat de toute une vie pour Mustafa Barghouti, 64 ans, membre du comité central de l’OLP : « Si les Israéliens utilisent leur puissance militaire pour détruire le village, nous allons le reconstruire ! Nous n’abandonnerons jamais cet endroit parce que si on le fait, ça veut dire que l’on abandonne notre futur ».

Après Ahed Tamimi, l’adolescente palestinienne de 17 ans arrêtée pour avoir giflé un soldat israélien, ce village bédouin est devenu LE symbole de la lutte contre la colonisation. Y renoncer, ce serait tirer un trait sur l’espoir de voir naître un jour un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale.

La communauté internationale réagit

« Les Français arrivent », lance un homme d’une trentaine d’année en anglais. Accueillis par Mustafa Barghouti, les sénateurs du groupe d’amitié France-Palestine, Gilbert Roger, Loïc Hervé et Christine Prunaud, accompagnés du Consul général de France à Jérusalem, Pierre Cochard, font leur entrée dans le village.

Ce n’est pas leur première fois mais ils ont un message inédit à délivrer aux Palestiniens. « L’Union européenne et la France exigent qu’Israël rembourse leurs subventions engagées pour les constructions d’établissements publics comme des écoles [à destination des Bédouins], ce qui montre bien que l’Union européenne est en train de passer à une autre tranche de fermeté », explique Gilbert Roger, le président du groupe.

Eid Abou Khamis, maire de Khan al-Ahmar, Gilbert Roger, président du groupe France-Palestine, Mustafa Barghouti, membre de l’OLP, et Pierre Cochard, Consul général de France à Jérusalem, le 16 septembre (MEE/Cécile Galluccio)

Demander à Israël de rembourser pour, dans la foulée, reconstruire, voici la nouvelle stratégie de l’Union européenne, mais ce n’est pas vraiment ce à quoi aspirait Mustafa Barghouti : « Malheureusement, Israël se fout des déclarations, nous avons besoin que l’Europe dise à Israël : ‘’Si vous poursuivez cette politique contraire au droit international, il y aura des sanctions’’. Et ensuite, il faut les appliquer ».

Car que va-t-il se passer si Israël refuse de rembourser ? Probablement rien. La communauté internationale est habituée à condamner Israël sans pour autant le sanctionner.

De provocation en provocation

Vers 17 heures, une centaine de Palestiniens armée de pancartes et de drapeaux prend la direction de l’autoroute. Ce jour-là, ils ne comptent pas passer les rambardes ni bloquer la circulation comme ils l’ont déjà fait. C’est juste une manifestation de plus.

« Malheureusement, Israël se fout des déclarations, nous avons besoin que l’Europe dise à Israël : ‘’Si vous poursuivez cette politique contraire au droit international, il y aura des sanctions’’. Et ensuite, il faut les appliquer »

- Mustafa Barghouti

Quasi immédiatement, des véhicules de la police israélienne se positionnent près de l’entrée du village et les agents confisquent le drapeau palestinien.

« Allah Akbar ! Allah Akbar ! Allah Akbar ! » Aux cris de « Dieu est plus grand », les manifestants font fièrement face aux policiers. Seule la rambarde métallique les sépare. Dans chaque camp, une personne est chargée de filmer la scène. Des preuves en cas de débordement. Mais aujourd’hui, pas de confrontation, juste de la provocation. Moins d’une heure plus tard, plus personne ne manifeste.

Des policiers israéliens malmènent des habitants de Khan al-Ahmar en juillet 2018 (Reuters)

« Des provocations, il y en a de toutes parts », lance Gilbert Roger. Les bédouins ont notamment du mal à encaisser les propositions de relocalisation du gouvernement israélien. Dernière en date, à la périphérie d’Abu Dis, une ville palestinienne située au sud de Khan al-Ahmar, plus proche de Jérusalem-Est. Israël affirme que les déplacés bénéficieront de services de pointe : cliniques de santé, transports en commun, écoles…

« Déjà, ils veulent entasser ces centaines de personnes dans quatre ou cinq caravanes. Et en plus, l’endroit proposé est tout près de la zone où se déversent toutes les eaux usées de Jérusalem. C’est dangereux ! Ce n’est pas une proposition viable, c’est une proposition pour les tuer »

- Mustafa Barghouti

Une farce de plus pour Mustafa Barghouti : « Déjà, ils veulent entasser ces centaines de personnes dans quatre ou cinq caravanes. Et en plus, l’endroit proposé est tout près de la zone où se déversent toutes les eaux usées de Jérusalem. C’est dangereux ! Ce n’est pas une proposition viable, c’est une proposition pour les tuer ».

Pour le gouvernement de Benyamin Netanyahou, le plus à droite de l’histoire d’Israël, Khan al-Ahmar a été construit sans permis, en toute illégalité. Situé dans la zone C, sous contrôle complet de l’autorité israélienne en matière d’administration et de sécurité (conformément aux accords d’Oslo), le village aurait dû, avant sa construction, recevoir l’autorisation des autorités responsables. Or ces dernières n’octroient quasiment aucun permis de construction aux Palestiniens, alors que les colonies juives, elles, prospèrent.

À LIRE ► « Nettoyage ethnique » : comment Israël chasse les Palestiniens du Grand Jérusalem

La communauté internationale répond d’ailleurs aux autorités israéliennes que le transfert forcé de populations est considéré comme une violation des conventions de Genève du 12 août 1949. Des traités internationaux mis en place après la Seconde Guerre mondiale pour éviter, entre autres, de reproduire les atrocités qu’avaient notamment subies les juifs.

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