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La déclaration de patrimoine, nouvelle arme de la Tunisie contre la corruption

Dès mardi, 150 000 hauts responsables et fonctionnaires sont appelés à déclarer leur patrimoine auprès de l’Instance nationale de lutte contre la corruption

Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (AFP)

TUNIS – « Je garde mes mains propres » : l’inscription sur le gel désinfectant offert par l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) aux visiteurs annonce la couleur.

Samedi 13 octobre, l’INLUCC présentait une « opération blanche » pour montrer comment effectuer sa déclaration de patrimoine, obligatoire à partir de mardi, pour quelque 150 000 responsables politiques, hauts fonctionnaires, responsables d’ONG, etc.

Une disposition de la loi 2017-89 contre l’enrichissement illicite et les conflits d’intérêts dans le secteur public, qui a été adoptée par le Parlement en juillet dernier.

Les plus hauts responsables – ministres, chefs de cabinet, présidence... – verront leurs déclarations de patrimoine publiées

« Jusqu’ici, il n’y avait pas de texte clair », explique Chawki Tabib, président de l’INLUCC à Middle East Eye. « Par exemple, la loi n’interdisait pas à un PDG d’une télévision tunisienne de faire affaire avec l’entreprise de sa femme. D’un autre côté, un simple fonctionnaire pouvait devenir milliardaire sans que personne ne puisse lui demander des comptes. Il fallait fournir les preuves du délit. »

Les sanctions encourues prévoient jusqu’à cinq ans de prison. La déclaration de patrimoine, à l’entrée en fonction, puis tous les trois ans ou à chaque évolution de la richesse, se veut un outil pour détecter toute fraude. D’autant plus que les plus hauts responsables – ministres, chefs de cabinet, présidence... – verront ces déclarations publiées. 

Une dépendance problématique

Si les ONG ont encouragé l’adoption d’une telle loi, elles se montrent cependant prudentes. Chez I Watch, Mohamed Cherif El Kadhi estime que l’INLUCC est déjà débordée de travail et note, par ailleurs : « Cette instance est dépendante, puisqu’elle est rattachée au Premier ministère [qui nomme le président et le conseil de l’instance]. Cela pose un problème de neutralité ». 

À LIRE ► Déclaration de patrimoine en Tunisie : les députés hésitent

L’INLUCC devrait être remplacée prochainement par une instance constitutionnelle indépendante. Seulement, sa création prend du retard.

Mohamed Haddad, directeur exécutif de Barr al Aman, une ONG qui s’intéresse à l’amélioration des politiques publiques, juge le texte trop flou : « La prise de fonction, qui justifie la déclaration de patrimoine, est mal définie. Est-ce que la date retenue sera la nomination, la cérémonie de passation de pouvoir, la publication au Journal officiel ? Il est arrivé qu’il y ait six mois d’attente entre la nomination d’un ministre de l’Intérieur et la publication au Journal officiel, par exemple. » 

Seuls sept bureaux avec deux conseillers chacun recevront les déclarations d’environ 150 000 personnes

Il estime également que l’INLUCC n’a pas les moyens de sa mission : « Il lui faudrait une rallonge budgétaire pour 2018 », précise-t-il à MEE

La nouvelle loi est effectivement un réel défi logistique pour l’instance provisoire : seuls sept bureaux avec deux conseillers chacun seront ouverts à partir de mardi pour recevoir les déclarations qui toucheraient environ 150 000 personnes.

« Nous sommes en phase d’ajustement et de recrutement. Nous aurons bientôt dix bureaux, puis nous verrons en fonction du flux des déclarations », explique Nadia Saadi, cheffe du projet à l’INLUCC, à MEE.

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