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Le Fatah et le Hamas parlent de réconciliation – mais les Palestiniens sont-ils convaincus ?

L’initiative du Hamas reflète les pressions qu’il a subies après un été marqué par des coupures de courant de plus en plus importantes
Des Palestiniens agitent des drapeaux égyptiens dans la ville de Gaza, le 25 septembre, pour remercier le Caire pour son soutien en faveur de la réconciliation palestinienne (Mohammed Asad/MEE)

GAZA, Territoires palestiniens – Sari Rabaya s’est vidé de son sang pendant plus de quatre heures après avoir essuyé des tirs de l’armée israélienne dans son jardin, dans l’est d’al-Burayj, en janvier 2006.

Il a perdu son rein gauche et une partie du droit, subi des blessures au foie, deux fractures dans le dos et une dans la poitrine. Depuis, il est cloué dans un fauteuil roulant.

Sari Rabaya a essayé à plusieurs reprises de se rendre en Allemagne pour suivre un traitement, mais sa demande de permis pour quitter Gaza a toujours été rejetée – ce qu’il reproche à la division, longue de onze ans, entre les dirigeants palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.

« Ce n’est pas une question d’optimisme ou de pessimisme ; nous, à Gaza, nous nous sentons paralysés »

– Sari Rabaya 

Les efforts récemment déployés pour réconcilier les deux parties – le Hamas et le Fatah – ont été ravivés. Le Premier ministre palestinien Rami Hamdallah se rendra à Gaza le 2 octobre, a annoncé lundi son gouvernement, dans le cadre des efforts visant à résoudre le conflit entre les forces au pouvoir à Gaza et en Cisjordanie.

Mais cette nouvelle n’a que peu réjoui Sari Rabaya, diplômé en design et artiste de hip-hop de 28 ans. « Ce n’est pas une question d’optimisme ou de pessimisme ; nous, à Gaza, nous nous sentons paralysés, affirme-t-il. Ce n’est pas la première fois que les deux parties nous disent qu’elles vont se réconcilier, et nous ne voyons toujours rien sur le terrain. »

« Trop, c’est trop, j’en ai assez. Même s’ils se réconcilient, je ne resterai pas à Gaza. Je veux recevoir mon traitement et vivre le reste de ma vie dignement. »

Entre blocus, coupures de courant et guerre

Le conflit entre le Hamas et le Fatah, les deux principaux partis politiques de la Palestine, remonte à 2006 et à la victoire électorale du Hamas à Gaza. L’année suivante, l’Autorité palestinienne s’est scindée : depuis, le Hamas constitue le gouvernement de facto de la bande de Gaza et le Fatah administre la Cisjordanie.

Des Gazaouis protestent contre les réductions de salaire imposées par l’Autorité palestinienne (MEE/Mohammed Asad)

Dans le même temps, Israël a assiégé Gaza par les airs, la mer et la terre. Le blocus a réduit d’environ 50 % le PIB de la bande côtière, tandis que le taux de chômage – 60 % – est le plus élevé au monde.

Des restrictions ont également été appliquées à la liberté de circulation, même pour ceux qui – comme Sari Rabaya – recherchent des services de santé indispensables, tandis que des suppressions de postes ont été imposées par l’Autorité palestinienne depuis la Cisjordanie.

Le Hamas a rencontré des agents de renseignement égyptiens la semaine dernière au Caire et a annoncé le 17 septembre qu’il allait dissoudre la commission administrative formée début 2017 suite aux accusations du Fatah selon lesquelles il s’agissait d’un gouvernement fantôme formé pour rivaliser avec l’Autorité palestinienne. Le Hamas a également promis de tenir des pourparlers avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas sans conditions préalables.

« Nous avons également affirmé à plusieurs reprises que Gaza ne serait pas l’État palestinien et qu’il ne pouvait y avoir d’État palestinien sans Gaza »

– Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne

Le fait que le Hamas soit à l’origine de cette initiative reflète les pressions qu’il a subies de la part d’Israël et d’Abbas. Au cours de l’été, les coupures de courant à Gaza ont augmenté tandis que le Qatar – pris dans la tourmente de la crise du Golfe – a cessé de financer le Hamas ainsi que de nombreux projets dans l’enclave côtière.

S’exprimant à l’Assemblée générale des Nations unies le 20 septembre, Mahmoud Abbas a salué les dernières initiatives du Hamas, notamment la dissolution de la commission.

« Nous sommes reconnaissants de ces efforts déployés dans le but d’annuler les mesures prises par le Hamas à la suite de la scission », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Nous avons également affirmé à plusieurs reprises que Gaza ne serait pas l’État palestinien et qu’il ne pouvait y avoir d’État palestinien sans Gaza. »

Pour le Hamas, la balle est dans le camp du Fatah

Musheer al-Masri, un haut responsable du Hamas, a déclaré à Middle East Eye que l’évolution actuelle des choses ouvrait la voie à une occasion historique de mettre fin à la division palestinienne et que les parties devaient s’y investir immédiatement.

« Nous attendons des mesures pratiques de la part de l’Autorité palestinienne, a-t-il déclaré. Nous attendons que le gouvernement d’unité palestinien dirigé par Rami Hamdallah vienne à Gaza pour assumer ses responsabilités et mette fin aux sanctions que Mahmoud Abbas a infligées dernièrement à la bande de Gaza. »

Eaux usées sur la plage de Gaza, en juillet 2017 (AFP)

Au cours des dernières années, ces « sanctions » destinées à affaiblir le Hamas ont compris des coupures d’électricité importantes pouvant atteindre vingt-et-une heures par jour. Cela signifie que seulement 3 % de l’eau de Gaza est propre à la consommation humaine, tandis que 73 % du littoral est désormais dangereusement contaminé par les eaux usées.

« Si l’AP [Autorité palestinienne] ne répond pas positivement à la réconciliation, cela entraînera une nouvelle catastrophe palestinienne », a ajouté Masri. « Ce sera un coup massif porté aux efforts égyptiens. »

« Si l’AP ne répond pas positivement à la réconciliation, cela entraînera une nouvelle catastrophe palestinienne »

– Musheer al-Masri, haut responsable du Hamas

« Nous attendons une action sérieuse de la part de l’Autorité palestinienne depuis que nous avons dissous la commission administrative, qui était selon le Fatah le plus grand obstacle à la réconciliation. »

Ibrahim Madhoun, analyste politique du Centre de recherche palestinien, allié au Hamas, a déclaré qu’il était trop tôt pour déterminer si les efforts de réconciliation actuels allaient se concrétiser – mais qu’il était clair que les deux parties étaient prêtes à discuter.

La balle est maintenant dans le camp du Fatah, a-t-il soutenu. « Il est également clair que le Hamas répond rapidement au Fatah, tandis que le Fatah est lent et hésitant. »

« Le Hamas et le Fatah ont appris une leçon douloureuse » 

Abu Juda Nahal, membre du Conseil révolutionnaire du Fatah, a déclaré à MEE que le parti était disposé et prêt à se réconcilier avec le Hamas – mais que cela allait prendre du temps.

« Nous devons résoudre tous les problèmes accumulés à cause de la division palestinienne et des conséquences de onze années de blocus, et cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. »

« Les Gazaouis ne nous font plus confiance en tant que dirigeants palestiniens ; nous devons maintenant nous occuper des problèmes et des obstacles potentiellement susceptibles de réduire à néant les efforts de réconciliation. »

Le Caire a fermé le poste frontalier de Rafah pendant de longues périodes depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas (AFP)

Il a déclaré que les salaires et la sécurité des employés nécessitaient une attention immédiate et a demandé la tenue d’élections le plus tôt possible.

« Il n’y a aucune excuse pour ne pas donner aux employés à Gaza leur salaire complet à partir de novembre », a-t-il déclaré. « Les Palestiniens ont le droit de choisir leur gouvernement. La création d’[un gouvernement d’]unité nationale constitue la seule solution pour mettre fin à la crise humanitaire dans la bande de Gaza. »

« Le Hamas et le Fatah ont appris une leçon douloureuse ; nous devons former un gouvernement d’unité palestinien parce que notre véritable ennemi est Israël. »

« Il n’y a aucune excuse pour ne pas donner aux employés à Gaza leur salaire complet à partir de novembre »

– Abu Juda Nahal, membre du Conseil révolutionnaire du Fatah

Nahal a également évoqué le rôle que l’ancien chef du Fatah, Mohammed Dahlan, a joué dans les pourparlers avec le Hamas en Égypte. Sa popularité n’a fait qu’augmenter à Gaza depuis qu’il a négocié l’ouverture du poste de contrôle de Rafah avec l’Égypte et mis en place des mesures d’indemnisation pour les familles des personnes tuées au cours de violences interpalestiniennes.

De nombreux observateurs voient désormais en lui un successeur d’Abbas, âgé de 82 ans, lorsqu’il se retirera ou à sa mort.

« Israël ne permettra pas la réconciliation »

Actuellement, ces efforts de réconciliation font beaucoup parler les Palestiniens sur les réseaux sociaux.

Mais dans les rues et les cafés de Gaza, l’humeur du public est très différente de celle des responsables politiques. Alors que beaucoup de Gazaouis ont tenté de se montrer positifs...

https://twitter.com/jameel_deeb/status/912619913487011841

Traduction : « La seule chose que nous pouvons faire au sujet de cette réconciliation, c’est être positifs. C’est la seule chose qui peut mettre fin au cauchemar que nous vivons depuis onze ans. »

... d’autres semblent moins convaincus.

Traduction : « Cette réconciliation est encore une fois une tentative vouée à l’échec, il n’y a rien de convaincant sur le terrain. »

Tandis que certains sont tout simplement en colère.

Traduction : « Cela fait onze ans que nous attendons la réconciliation alors que l’avenir d’un million de jeunes à Gaza a été anéanti. Est-ce maintenant la bonne manière de penser ? Si vous vous réconciliez après toutes ces années, pourquoi nous avez-vous tués pendant onze ans ? »

Nombreux sont ceux qui affirment avoir perdu confiance dans les dirigeants palestiniens, indépendamment de leur affiliation politique, et qui, conscients du passé, ne pensent pas que la réconciliation soit possible. Outre les restrictions sur l’électricité, les salaires, l’emploi et la circulation, la population a également été emportée dans des guerres contre Israël en 2008, en 2012 et en 2014.

Mohammed Daher, un photographe indépendant de 27 ans, s’est dit incapable de trouver un emploi à plein temps avec un salaire permanent depuis qu’il a obtenu son diplôme en 2012.

« Je ne peux pas construire un avenir avec ma fille et mon épouse. Avant de discuter des exigences du Hamas et du Fatah, ils doivent réfléchir aux nôtres »

– Mohammed Daher

« Je ne peux pas construire un avenir avec ma fille et mon épouse. Avant de discuter des exigences du Hamas et du Fatah, ils doivent réfléchir aux nôtres », a-t-il affirmé.

« Le même scénario de réconciliation a été répété au cours des dernières années », a affirmé Mai Nasser, une étudiante en administration des affaires de 21 ans. La division a affecté nos vies – pas de salaire, pas d’électricité, pas de frontières. Ces onze années de division ont détruit la vie de milliers de personnes. La réconciliation ressemble plutôt à un rêve qui ne se réalisera jamais. »

Yasser Hamouda, un technicien de maintenance de 38 ans qui travaillait avec l’AP avant 2006, s’est entretenu avec MEE au parc al-Jundi al-Majhoul de Gaza. « Ils réduisent constamment mon salaire depuis 2006. Cela fait onze ans que j’attends de récupérer mon salaire complet. »

« Israël ne permettra pas la réconciliation, surtout après le discours d’Abbas à l’Assemblée générale des Nations unies », a-t-il prédit, d’un air grave.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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