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Le Front al-Nosra soutient les attentats de Paris, malgré son opposition avec l’État islamique

Le principal groupe de rebelles syriens a condamné les attentats de Paris, mais le groupe affilié à al-Qaïda a exprimé son soutien
Des combattants du Front al-Nosra brandissant une bannière sur laquelle il est inscrit : « Nous combattons en Syrie ... et nos yeux sont rivés sur Jérusalem » (AFP)

Le Front al-Nosra, affilié à al-Qaïda en Syrie, s’est distingué des autres groupes d’opposition syriens en exprimant son soutien suite aux attaques sanglantes, survenues vendredi à Paris, malgré l’hostilité ouverte du groupe envers l’État islamique.

« Nous sommes heureux de constater qu’une secte déviante a été capable de mettre en œuvre une opération, couronnée de succès, à l’encontre des Kufaar (infidèles). » Tels sont les mots figurant dans une déclaration publiée par le groupe (depuis un compte Twitter désormais supprimé) au cours du week-end, ajoutant que le Front al-Nosra aurait préféré être le groupe à l’origine desdites attaques.

« Des érudits, comme Ibn Taymiyya, ont mis en lumière le principe suivant : nous choisissons le camp le mieux avisé des deux. »

Un autre porte-parole d’al-Nosra a également salué les attaques, perpétrées quelques jours plus tôt à Beyrouth, tout en précisant que cela n’était en aucun cas une marque de soutien à l’État islamique.

« Je continue d’affirmer que l’État islamique d’Irak et de Syrie est un groupe composé de tyrans s’apparentant aux chiens des enfers », a écrit Sheikh Abu Mariyah al-Qahtani, porte-parole, lundi en utilisant un acronyme alternatif, ISIS, pour désigner l’État islamique. 

« Et, ils sont ceux qui ont détruit le djihad en Irak et en Syrie. Ils sont également ceux qui ont tué les Sunnites. Mais je me réjouis de leurs frappes contre Hizbou Shaytaan », a-t-il dit, en faisant référence au Hezbollah – dont les membres sont basés dans le district de Beyrouth qui fut bombardé jeudi – en utilisant le mot arabe signifiant Satan.

Les remarques contrastaient fortement avec les déclarations émanant d’autres groupes rebelles importants combattant en Syrie, Ahrar al-Sham et Jaish al-Islam, qui ont tous deux condamné les attentats de vendredi, qui ont coûté la vie à 132 personnes.

« La seule réaction possible aux actes méprisables de terreur ayant ravagé Paris est la condamnation absolue et sans réserve », a écrit Labib Alnahhas, porte-parole des affaires étrangères du groupe Ahrar al-Sham.

Entre-temps, le groupe Jaish al-Islam a condamné les attentats « dans les termes les plus durs possibles ».

Les deux groupes, Jaish al-Islam et Ahrar al-Sham, ont combattu aux côtés d’al-Nosra en Syrie, dans le cadre de la puissante coalition Jaish al-Fatah qui s’est emparé de la province du nord d’Idleb en juillet.

Ahmed Shaheed, un combattant du Front al-Nosra, a dit à Middle East Eye que les attaques à Paris étaient prévisibles suite aux bombardements français contre l’État islamique en Syrie.

« Ce que vous avez vu à Paris, c’est une vengeance », a-t-il dit à MEE par le biais d’une application de messagerie sur mobile. « Alors, vous n’avez aucune raison d’être tristes. Si un pays décide d’en bombarder un autre, il doit s’attendre à des représailles. Rien de plus simple ».

Ahmed Shaheed, d’origine australienne, est, semble-t-il, basé à Alep, bien que cela n’ait pas été formellement vérifié.

Malgré la rivalité, de longue date, entre le Front al-Nosra et l’État islamique (IS), il a dit qu’ils pourraient unir leurs forces contre les « tyrans ».

« Voyez-vous, l’État islamique est engagé dans une guerre, depuis 10 ans. Malgré l’invasion américaine, le groupe continue de résister et ce, peu importe le nombre de bombes et d’attaques réussies, ou de tentatives. Que l’État islamique soit affaibli ou fort, il y aura toujours une menace si l’Occident ne met pas un terme aux agressions », a-t-il écrit.

« Vous avez désormais deux groupes qui s’affrontent pour savoir lequel des deux causera le plus de préjudices à l’Occident. Haha. »

« Attendez-vous à des événements de même ampleur, sinon pires »

En général, al-Qaïda est vu comme le groupe souhaitant le plus organiser des attaques dont les cibles sont situées en Occident, contrairement à l’État islamique dont la principale mission était de mettre en place les fondements du pouvoir en Irak et en Syrie.

Les attaques de janvier contre le magazine Charlie Hebdo à Paris ont été perpétrées par des militants ayant des liens avec al-Qaïda basé au Yémen dans la péninsule arabique.

En réponse aux questions relatives à d’autres attaques similaires éventuelles organisées par al-Nosra contre les pays occidentaux, Ahmed Shaheed a répondu qu’il était un « simple soldat ».

« Je ne connais pas les plans d’al-Nosra – je sais une chose, néanmoins. Si l’Occident continue de soutenir des dictateurs contre les musulmans et continue de les bombarder alors attendez-vous aux mêmes événements, sinon pires », a-t-il dit à MEE.

L’apparente divergence entre le Front al-Nosra et les autres groupes est devenue plus flagrante lorsque les groupes Ahrar al-Sham et Jaish al-Islam ont mis en œuvre des mesures visant à modérer leur image et à tendre la main aux pays occidentaux ayant eu peur par le passé que leurs idéologies – portant l’étiquette de « djihad salafiste » qui caractérise le Front al-Nosra – faisant d’eux des alliés inacceptables.

En 2013, Zahran Alloush, le leader charismatique du groupe Jaish al-Islam, a exprimé son désir de « nettoyer la saleté des Rafida et du Rafidisme » en Syrie, en utilisant des termes désobligeants pour parler des chiites et des alaouites.

Dans un autre discours de janvier 2014, il a également déclaré que le groupe Jaish al-Islam « dénonce clairement la démocratie ».

Néanmoins, dans un entretien de mai 2015 avec le journal McClatchy implanté aux États-Unis, il semblait avoir changé radicalement de point de vue, précisant qu’il souhaitait seulement créer un État dépourvu de « discrimination sectaire » à l’encontre des sunnites de Syrie.

« Nous souhaitons créer un État dans lequel nos droits sont respectés », a-t-il dit. « Après cela, les gens devront choisir l’État dans lequel ils souhaitent vivre. »

Mais, plus important encore, il a déclaré que les alaouites faisaient partie « du peuple syrien » et que seuls ceux qui ont du sang sur les mains devaient être punis.

« Comme lors de la coexistence avec les minorités, cela a été la situation en Syrie depuis des centaines d’années », a-t-il dit au journal.

« Nous ne souhaitons pas imposer nos idées aux minorités ou pratiquer l’oppression à leur encontre. »

« Un groupe islamique sunnite dominant »

La position du groupe Ahrar al-Sham comme étant potentiellement la force rebelle la plus importante en Syrie signifie que son ouverture sur le monde occidental a été minutieusement suivie par des analystes y portant le plus grand intérêt.

Le groupe Ahrar al-Sham est allé jusqu’à publier un éditorial dans le Washington Post dans lequel il critiquait la classification globale des groupes d’opposition syriens en tant que groupes « modérés » ou « extrémistes ».

« Nous nous considérons comme un groupe islamique sunnite dominant dirigé par des Syriens et des combattants en Syrie » a écrit Labib AlNahhas.

« Nous combattons au nom de la justice pour le peuple syrien. Nous avons néanmoins été accusés à tort d’avoir des liens organisationnels avec al-Qaïda et d’avoir adopté l’idéologie d’al-Qaïda ».

Malgré la référence à al-Qaïda, le groupe Front al-Nosra n’a pas été nommé précisément, et les groupes ont continué de combattre côte à côté et ce, malgré les rapports faisant état de tensions nuisant à leur relation.

À ce jour, il semble qu’un accord mutuel ait été mis en place par les deux groupes visant à écarter les différends en matière d’idéologie.

« Nous n’approuvons en aucun cas le projet du groupe Ahrar al-Sham », a dit Ahmed Shaheed. « Car ils se bercent d’illusions dans la mesure où ils pensent pouvoir atteindre leur but en agissant avec diplomatie avec les kuffars [infidèles], alors que nous pensons que nous devons soumettre les infidèles avant qu’un quelconque processus politique puisse être mis en place. »

Il a reconnu, néanmoins, que les différences idéologiques devaient être mises de côté vu la conjoncture actuelle.

« Tant que nous aurons un ennemi commun, la guerre entre nos deux groupes sera suspendue » a-t-il dit, sans oublier d’ajouter que les objectifs divergents finiraient un jour par « poser problème ».

Traduction de l’anglais (original) par STiiL.

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