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Le prince héritier des EAU a demandé aux États-Unis de bombarder Al Jazeera, révèle un câble de 2003

Selon le câble diplomatique publié par Wikileaks, Mohammed ben Zayed estimait que l’influence de la chaîne qatarie devait être « contenue »
Mohammed ben Zayed lors d’une réunion à Paris (Reuters)

Le prince héritier d’Abou Dabi a demandé aux États-Unis de bombarder Al Jazeera lorsque ceux-ci se préparaient à envahir l’Irak, selon un câble diplomatique rapportant sa conversation avec un haut fonctionnaire du département d’État des États-Unis.

Selon le câble, Mohammed ben Zayed (MBZ) « a rappelé en riant » à Richard Hass une conversation entre son père, Cheikh Zayed, et l’émir du Qatar, Hamad al-Thani, dans laquelle Hamad s’était plaint que MBZ eût demandé aux États-Unis de « bombarder Al Jazeera ».

« Selon MBZ, Zayed [son père] a répondu avec dérision : ‘‘Est-ce que tu le blâmes ?’’. »

Lors de cette conversation, qui a eu lieu à l’approche de l’intervention américaine en Irak en 2003, MBZ a averti que l’opinion publique du monde arabe au cours de l’invasion – qu’il qualifiait de « maîtrisable » si la guerre était courte et efficace – pourrait être vivement enflammée par la couverture médiatique de la chaîne de télévision qatarie, conseillant de contenir son influence.

MBZ a déclaré que « la raison pour laquelle les Qataris continuaient à enflammer l’opinion publique [par le biais d’Al Jazeera] était un mystère pour lui […] et suggéré que les États-Unis utilisent leur poids pour faire pression sur Doha ».

Selon le câble, MBZ a « insisté sur le besoin que les États-Unis travaillent avec les Qataris pour contenir Al Jazeera ».

En avril 2003, le bureau d’Al Jazeera à Bagdad a été frappé par un missile américain qui a tué un membre du personnel et en a blessé un autre. Un porte-parole du Commandement central des États-Unis avait alors déclaré à la BBC que la chaîne « n’était pas et n’avait jamais été une cible ». En 2001, le bureau de Kaboul d’Al Jazeera a été frappé par deux bombes lors d’une autre attaque américaine, sans faire de victime.

Ces paroles de MBZ semblent prouver une longue hostilité entre le Qatar et les Émirats arabes unis (EAU) concernant Al Jazeera, une hostilité qui a refait surface récemment avec le blocus imposé par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte contre le Qatar et la demande de fermer la chaîne.

La semaine dernière, Riyad a présenté une liste de treize conditions que Doha doit remplir pour obtenir l’arrêt du blocus, notamment la fin de son soutien aux Frères musulmans, une diminution des liens diplomatiques avec l’Iran et la fermeture d’une base militaire turque près de Doha.

À LIRE : Le bûcher des vanités : les injonctions saoudiennes exposent la peur et la haine du Qatar

Selon le câble, cependant, MBZ a minimisé les tensions entre les Saoudiens et les Qataris, notant que les deux populations « partage[aient] les mêmes racines wahhabites ».

Plus inquiétantes, a-t-il dit, étaient les relations entre les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, que MBZ aurait qualifiées de « beaucoup plus complexes ».

Il a attiré l’attention de son interlocuteur sur le « différend frontalier gênant entre Abou Dabi et Riyad [le champ pétrolier d’al-Shayba] ».

« Néanmoins, les Émiratis, qui sont toujours pragmatiques, ont reconnu la nécessité de traiter avec les Saoudiens et ont ainsi maintenu de bonnes relations avec Riyad. »

Le câble note toutefois que MBZ « voyait d’un mauvais œil » certains membres du gouvernement saoudien – « notant sarcastiquement que les manières empotées du ministre de l’Intérieur, Nayef, suggéraient que ‘‘Darwin avait raison’’ », et que le roi Fahd n’avait pas « le contrôle de toutes ses facultés ».

Nayef ben Abdelaziz al-Saoud est le père de Mohammed ben Nayef – qui s’est vu la semaine dernière évincé de sa position de prince héritier d’Arabie saoudite par le roi Salmane, qui a nommé à la place son fils Mohammed ben Salmane (MBS) héritier du trône.

On pense que ben Nayef avait une antipathie personnelle envers MBZ.

Des courriels récemment divulgués de l’ambassadeur émirati aux États-Unis ont indiqué que les Émirats arabes unis étaient impliqués dans la tentative de faire accéder ben Salmane à une position de pouvoir en Arabie saoudite.

« Je pense que nous devrions tous convenir du fait que ces changements en Arabie saoudite sont absolument nécessaires », a déclaré Yousef al-Otaiba, l’ambassadeur des EAU aux États-Unis.

« Notre travail consiste à présent à faire tout notre possible pour que MBS réussisse. »

Le câble de 2003 met également en évidence le soutien tacite de MBZ à l’époque pour le gouvernement de Bachar al-Assad en Syrie, dont l’éviction du pouvoir est maintenant officiellement demandée par les pays du Golfe.

MBZ « a encouragé la coopération continue du gouvernement américain avec Bachar, notant que sinon, ‘‘les mauvais gars’’ combleraient le vide ».

« MBZ estime que Bachar est actif et ‘‘veut faire du bien’’, même si sa jeunesse relative et son inexpérience sont de véritables inconvénients. »

Traduit de l’anglais (original).

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